Del 6

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Lika barn leka bäst.

 La semaine se déroula à peu près sans incident jusqu’au jeudi. Je poursuivais mon travail d’identification d’objets anciens, attendant avec impatience ma première rencontre avec le client -ou plutôt le solliciteur, comme le disaient les Vermeils. Je savais que les pays anglo-saxons utilisaient le terme « client », et me demandais donc si le choix de vocabulaire de l’agence Vermeil était culturel ou leur était spécifique. Toujours est-il que j’avais hâte de voir de mes propres yeux le travail de terrain du chaïréticien.

 Pour être franc, j’attendais aussi de cette expérience une démonstration des compétences de mon tuteur de stage. Si celui-ci ne s’était pas montré spécialement plus désagréable pendant les deux jours précédant son rendez-vous, il n’avait pas non plus fait montre d’une quelconque amélioration. Il fallut le reprendre plusieurs fois de son comportement. L’exemple le plus éloquent fut le moment où il tenta de m’appeler en claquant des doigts. Face à mon manque de réaction, il héla Elodie afin de lui dire, je cite, « je crois que le stagiaire est sourd. » Je sentis qu’Elodie allait prendre ma défense, mais ma fierté était en jeu ; je répondis donc le premier. « Je vous entends très bien quand vous communiquez de façon civilisée », ce à quoi il répliqua qu’il faudrait me couper la langue.

 Je me surprenais quelquefois de la violence de mes propos à son égard. Toutefois, puisqu’il n’avait pas l’air de s’en offusquer, je me dis que c’était sans doute comme cela qu’il fallait discuter avec lui. Il avait aussi la fâcheuse tendance à me gratifier d’épithètes douteux. De mémoire, j’avais eu droit à « beau-gosse », « chaton » et « beau-cul ». Dans le dernier cas, nous fûmes deux, sa sœur et moi, pour lui tomber dessus.

 Je voyais plutôt clair dans le jeu de Matthias. Il instillait dans ses rapports avec moi des éléments de séduction dans le but de faire comprendre qu’il était intéressé, mais il le faisait de façon suffisamment ténue pour faire passer le tout pour une plaisanterie. En clair, je lui plaisais sans doute physiquement. Non pas que ce ne fût jamais arrivé que l’on me désirât uniquement pour mon corps, mais soyons honnête : c’était Matthias. Il était loin d’être laid ; j’irai même jusqu’à dire qu’il avait un certain charme, mais c’était tout. S’il était sûrement moins haïssable qu’il ne le laissait paraître, ainsi qu’Elodie me l’avait bien signifié, il en restait malgré tout détestable.

 J’espérais bien que nos relations deviennent plus cordiales avec le temps, mais l’idée même qu’il puisse y avoir quelque chose entre nous deux m’était pénible. Aussi pénible que lui, ajouterai-je. Si Matthias Vermeil s’imaginait pouvoir m’entraîner en sa couche, il s’enfonçait lourdement le doigt dans l’œil.

 Bien. Assez parlé de lui. Parlons plutôt de ce fameux jeudi.

 J’étais arrivé un peu en avance à l’agence. Puisque j’avais désormais un double des clés, je m’installai à l’intérieur. Sur mon bureau étaient étalés les articles que j’avais analysés. Je les regardai chacun en détail, pas peu fier de ce que j’avais déjà accompli. Je les rangeai ensuite dans des boites et y apposait une étiquette détaillant le contenu. Tout en faisant cela, je repensai à l’affaire qui nous occuperait aujourd’hui.

 D’après le dossier, Catherine Marcili, soixante-cinq ans, avait contacté l’agence Vermeil lorsqu’un esprit s’était manifesté dans sa maison. Le mail qu’elle avait envoyé datait du vendredi précédent. Cela voulait donc dire que l’esprit était présent depuis presque une semaine. Était-ce beaucoup ? En vérité, je ne connaissais pas les délais d’intervention d’un chaïréticien. Dans tous les cas, j’avais de nombreuses questions et attendais donc avec hâte que Matthias arrive pour nous rendre chez la cliente.

 Quelques instants plus tard, un klaxon retentit dans la ruelle. Je regardai par la fenêtre tandis que le klaxon se montrait insistant et vis Matthias au volant d’une 106 dont la peinture bleu sombre commençait à s’écailler par endroits. Sa vitre était descendue et lorsqu’il me remarqua, il se mit à me faire de grands signes de la main. Je descendis donc le rejoindre sans oublier de prendre avec moi la mallette contenant le matériel d’intervention.

 Une fois en bas, je fus accueilli par deux nouveaux coups de klaxon accompagnés de Matthias, criant « Sta-giaire ! Sta-giaire ! », son stupide sourire narquois fiché au coin de ses lèvres. Je fus pris de l’envie de lui flanquer une baffe. Comme quoi il avait suffi de trois jours pour qu’un rien venant de lui soit déjà trop. Fort heureusement, il arrêta son cirque assez rapidement.

 Elodie me souhaita alors le bonjour depuis la place passagère -place du mort songeai-je soudain, avant de traverser la portière pour sortir.

- Bonjour, Elodie » dis-je. « Oh, et bonjour aussi à vous, monsieur Vermeil…

- Rôlala ! Je sais pas si t'as vu, mais dès que tu es vexé, tu me vouvoies.

- Finement observé, monsieur Vermeil. On appelle ça de la distanciation dialectique.

- Tu sais quoi ? Je crois que tu parles trop bien français à mon goût. » Puis il grommela « Distanciation dialectique mon cul…

- Bon, » trancha Elodie en s’appuyant sur le capot, « je peux vous laisser tous les deux seuls sans qu’aucun ne finisse ligoté dans le coffre ?

- Pas d’inquiétude » répondit Matthias. « C’est pas dans le coffre que je veux que Raphaël me ligote. » Et il me fit un clin d’œil.

- Je ne suis plus aussi sûr de vouloir partir avec lui.

- Je décooone… Allez, monte » conclut-il en tapotant le siège à sa droite.

 Ce geste, effectué là où j’allais poser mon postérieur, me mit assez mal à l’aise. Je m’installai malgré tout. Au moment où j’enfilai ma ceinture, l’appréhension d’être coincé avec Matthias dans un espace clos s’accentua. Je descendis la vitre.

- Les enfants, soyez sages pendant le travail, ok ? » nous dit Elodie en levant l’index. « Sinon, maman va se fâcher. Allez. Bon courage !

- Un petit bisou pour la route ? » lui demanda Matthias.

- Rêve !

 Elodie donna alors une pichenette sur le front de Matthias, le traversant. Matthias fut alors pris d’un rire d’enfant, et pour la première fois, je trouvai son sourire naturel.

- Bon ! » s’exclama finalement Elodie. « A plus tard, les garçons.

- A plus dans l’bus, Didie !

 Le moteur vrombit alors, et un coup de pédale plus tard, nous étions partis à l’aventure… et pour environ deux heures de route.

 L’aller se passa calmement. Par cela, j’entendais que peu de mots furent échangés entre Matthias et moi. Il en échangea toutefois beaucoup avec les autres conducteurs. Oh, non pas qu’il conduisît mal, mais il conduisait du moins sportivement. Nous arrivâmes ainsi chez Mme Marcili un quart d’heure avant le rendez-vous. Matthias en profita pour faire une pause cigarette. Pendant ce temps-là, j’allai regarder la maison.

 C’était une de ces plaisantes maisons de village, plusieurs étages, un jardin autour. D’une certaine façon, elle me rappelait un peu les cottages de la banlieue près de chez moi… en plus grands… et moins tassés.

 L’espace d’un instant, je repensai à la maison de mes parents à Port Eynon, près de la mer. Cela me semblait si lointain… dans une autre vie. Je n’y étais pas retourné depuis si longtemps… Je ne tenais pas vraiment à revoir mes parents ; deux fois par an me suffisaient. Et chaque fois que je retournais chez eux, je me rendais un peu plus compte des différences qui se creusaient entre nous. Nos valeurs qui n’étaient pas les mêmes. Mes choix qui ne leur convenaient pas. Leur insatisfaction continuelle à mon égard. En fin de compte, bien qu’ils fussent mes parents, je n’étais plus si certain de tenir à eux.

- Alors, tu as trouvé la maison de tes rêves ? » m’interrompit Matthias.

- Non. Je préfère la mer à la campagne.

 Il sortit son cendrier de poche et y rangea son mégot.

- Alors, on va voir madame truc-machin ?

- Marcili.

- C’est ce que j’ai dit…

 Matthias alla sonner, et une dizaine de secondes plus tard, une femme de taille moyenne aux cheveux blond platine nous ouvrit. Elle portait du rouge à lèvres prune, un chemisier à fleurs et des créoles dorées.

- Vous êtes ?

- Agence Vermeil. Vous nous avez contacté la semaine dernière pour une histoire d’esprit. Je suis Matthias Vermeil, et voici mon assistant Raphaël Parsen.

 Mme Marcili nous détailla de la tête aux pieds d’un air suspicieux.

- Je vous trouve bien jeunes… J'avais déjà des doutes lorsque j'ai envoyé mon mail, mais là... Et vous me garantissez que ce n’est pas une arnaque ?

 Je vis la mâchoire de Matthias se crisper et décidai de répondre à sa place.

- Pas d’inquiétude à avoir. Nous allons régler votre problème !

- Ce n’est pas à vous que je posais la question mais à votre patron.

Ce fut mon tour de grincer des dents.

- Comme il vient de le dire, nous sommes ici pour régler votre problème. Si cela vous convient.

 Mme Marcili plissa les yeux.

- Vous pouvez entrer…

 Elle nous conduisit donc à son salon. Nous nous installâmes dans les fauteuils crapauds disposés autour d’une table basse en acajou, le tout sans que Mme Marcili ne se départisse de son air méfiant. J’espérais que tous les clients… solliciteurs n’étaient pas comme elle.

 Matthias prit alors les choses en main.

- Madame Marcili, vous nous avez dit dans votre mail qu’un esprit s’était manifesté chez vous la semaine dernière. Est-il réapparu depuis ?

- Non. Juste vendredi dernier.

- Ah… Et pourriez-vous nous expliquer ce qu’il s’est passé exactement ?

- Eh bien, je revenais de la boulangerie avec ma baguette et mon pain de campagne, et quand je suis rentré dans la cuisine, j’ai vu comme un fantôme. Je me suis mise à crier et il a disparu. C’est tout.

- Et… le fantôme… Est-ce qu’il faisait quelque chose dans votre cuisine ?

- Oui, il avait griffonné quelque chiffres sur un post-it.

- Intéressant. Vous avez toujours ce post-it ?

- Bien sûr que non ! Vous ne vous attendiez tout de même pas à ce que je garde un... un objet maudit ? Dieu sait ce que ce fantôme a pu faire comme sorcellerie avec !

 Matthias fit un magnifique facepalm.

- Vous ne vous êtes pas dit que ça pouvait être important ?

- Dîtes donc, jeune homme ! Vous êtes peut-être habitué aux abracadabras et autres esprits malins, mais apprenez que les gens normaux n'ont pas la moindre envie d'être mélés à ces... à ces sataneries !

 Je sentis que Matthias allait répondre quelque chose de néfaste à la conversation ; je pris donc la parole en premier.

- Et… est-ce que vous vous souvenez des chiffres en question ?

- Bien sûr que non, c’était la semaine dernière…

- Ah… c’est embêtant…

 Alors que je réfléchissais à un moyen de retrouver ce que l’esprit avait écrit, Matthias se leva. Je crus au départ qu’il en avait déjà assez et abandonnait cette affaire, mais il nous annonça qu’il allait chercher sa mallette. Je me fendis d’un « ah oui, c’est vrai… »

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire de mallette ? » demanda soudain Mme Marcili, de nouveau soupçonneuse.

- Vous allez voir, madame » lui répondis-je. « Nous allons essayer d’entrer en contact avec l’esprit.

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