Chapitre VI : L'auberge du Farfadet Fourbe

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Le vent s'était mis à souffler, et avait chassé la brume blanche et matinale qui recouvrait les prés et les forêts qui entouraient la route. Ihlo, encore fébrile après les évènements qui s'étaient déroulés durant la nuit, marchait d'un pas tranquille, se frictionnant parfois les mains pour les réchauffer. Elle n'avait pas emporté grand chose lorsqu'elle était partie de la maison de Sigrida et Jolfur, et son ventre commençait à gargouiller. Pourtant, elle marchait depuis bien une heure, et la route semblait s'étendre à l'infini. De plus, ses chaussures trempées la faisaient frissonner de froid.

Contrairement au jour où elle avait passé la frontière, elle ne croisa personne. Il devait être très tôt, et le brouillard rendait le chemin plus difficile. Ihlo se contentait de suivre la route, allant là où elle la mènerait. Lorsqu'elle en aurait l'occasion, se promit-elle, elle irait acheter une carte de Rhulvas pour ne pas se perdre dans l'immensité du royaume.

Midi approchait à grands pas quand elle aperçut, au loin, sur une colline, les hauts murs d'une cité. Une joie mêlée d'une excitation sans nom s'empara de la jeune gnome, qui était épuisée par sa trépidante nuit et par sa longue marche. Elle s'empressa de gravir la route et les quelques marches menant à la ville. À son entrée, elle fut brèvement contrôlée par ses soldats de l'Empire aux regards moroses, qui la laissèrent enfin entrer. Ihlo n'était sans doute pas prête pour le spectacle qui l'attendait, à l'intérieur de l'enceinte.

Une foule d'habitants, humains, elfes, farfadets, nains, et même nymphes circulait dans la rue principale de la cité. Les maisons, immenses, étaient au premier étage faites de pierre, puis de bois sombre et visiblement résistant. On entendait des cris, des rires, des discussions animées ou des tons qui montaient de partout ; tout cela était nouveau et parfaitement entêtant, pour notre pauvre Ihlo ! Perdue, elle se faisait bousculer de tous les côtés, mais n'y prêtait pas la moindre attention, tant son esprit était omnibulé par la richesse de la ville ! Elle apprit d'un passant - qui l'avait sans doute prise pour une naine, car il ne lui avait pas parlé avec dédain - qu'elle se trouvait dans une cité Impériale de nom d'Akedef, surnommée « Cité des Mélanges » en raison des nombreux peuples qui y habitaient. Cependant, un détail retint l'attention d'Ihlo : aucun gnome ne circulait ici. Peut-être vivent-ils dans un autre quartier ? songea-t-elle. Mais elle eut beau marcher le long de la rue principale, jamais elle ne vit une petite tête ornée de cheveux auburn. Une pointe de tristesse lui serra le coeur. Ainsi était-ce vrai, que les gnomes étaient aussi méprisé, en Rhulvas ? Mais l'excitation prit le dessus, et Ihlo se promena dans les rues d'Akedef durant toute la journée.

Son ventre hurlait famine lorsqu'elle se décida enfin à pousser la porte d'une taverne du nom du Farfadet Fourbe, qu'elle avait remarqué durant l'un de ses passages. La crainte d'être découverte en tant que gnome lui serrait le ventre, mais elle s'efforça de marcher d'un pas normal, tête baissée et capuchon rabattue sur la tête. Sans prononcer un mot, elle s'assit sur un banc, face à une longue table où seule une personne soupait en silence. C'était un homme de grande taille, vêtu d'une chemise de travail noire, et d'un gilet de cuir bouilli. Une cape noire comme le charbon recouvrait ses épaules, et son visage était dissimulé par un large chapeau de la même teinte. La jeune femme lui trouvait un air mystérieux et sombre qu'elle n'avait jamais décelé chez quiconque, auparavant. Cela ne lui déplut pas, bien que l'homme paraîsse un peu inquiétant.

Un barde était debout sur une table autour de laquelle festoyaient des travailleurs déjà ivres. L'homme chantait des poèmes de sa création, et sa voix déraillait par moment, signe d'une grande consommation d'alcool. Les servantes se promenaient entre les clients de la taverne, souriant aux hommes aux yeux luisants, mais ne les laissant jamais leur toucher les hanches. Certaines applaudissaient lorsque le barde avait fini de chanter, et les hommes levaient leurs chopes en riant. Jamais Ihlo n'avait vu cela. Hameek semblait si morne à côté de l'ambiance qui régnait au Farfadet Fourbe !

Tout en gardant sa capuche, Ihlo commanda une assiette de pois et un filet de saumon. L'argent gagné à la ferme de Sigrida et de Jolfur lui servait bien, maintenant qu'elle était en ville. On lui aporta son repas, et elle commença à souper. Le poisson était succulent, jamais elle n'en avait goûté de semblable ! Les pois étaient fades, sans goût, mais cela lui remplit l'estomac. Elle paya aussi une bière simple, pressée de goûter à cette boisson que les nains et les hommes aimaient tant. C'était très aigre, amère, mais Ihlo la finit, assoiffée.

Elle terminait son assiette quand l'homme aux habits sombres prit place à côté d'elle et murmura :

— Vous cherchez du travail ? J'en ai à offrir, et je paye en bulirs.

Un peu décontenancée, la gnome tourna la tête vers lui, les yeux ronds.

— Je ne cherche pas du travail, juste de l'aventure, souffla-t-elle. Je suis en voyage à travers Rhulvas.

L'inconnu lui faisait un peu peur, avec sa capuche sombre. Pourtant, loin de s'en tenir là, il poursuivit.

— C'est pareil, c'est une aventure aussi. Si vous tenez vraiment à le faire gratuitement, et bien, allez-y. Je vous garantis que vous allez vous amuser. Tenez, réfléchissez à ma proposition, et venez me retrouver demain ici même, à la même heure, si vous êtes tentée.

À ces mots, il se leva et quitta l'auberge après avoir payé sa soupe auprès du tenancier de la taverne.

Ihlo était partagée. L'homme encapuchonné avait parlé d'aventure, de bulirs, d'amusement... Elle était tombée sur une personne qui savait comment elle pourrait enfin vivre sa propore expérience, et elle avait failli refuser sa proposition ! J'y songerai demain, se dit-elle, tout en se levant. Elle paya son repas, puis loua une chambre d'auberge, et monta à l'étage pour se coucher. Sa chambre était toute petite, et disposait d'un lit et d'une armoire, ainsi que d'un coffre rempli de livres qu'elle pouvait lire avant de se coucher. Cependant, Ihlo tombait de fatigue, et choisit de se glisser dans ses couvertures. Elle ferma les yeux, et ne pensa vite plus à rien...

Le lendemain matin, Ihlo descendit au rez-de-chaussée pour prendre un petit déjeuner revigorant. Une fois ses tartines englouties et son thé fort avalé, elle sortit de l'auberge, la capuche lui couvrant toujours le visage et les cheveux. Elle choisit de parcourir les nombreuses rues de la ville à la recherche d'une boutique spécifique. Beaucoup d'échoppes proposaient des livres, des sucreries, des habits, mais ce n'était pas cela qu'elle cherchait.

Elle finit enfin par trouver un petit magasin nommé "Des nuances et des couleurs", situé au coin d'une rue. Les vitrines avaient une vue plongeante sur trois quart de la chaussée, et proposaient de nombreux seaux et flacons de produits colorés.

Un petit carillon métallique sonna lorsqu'elle poussa la porte. Un humain moustachu attendait derrière le comptoir, assis sur un grand tabouret. Il ne prit même pas la peine de saluer sa cliente. Sans y faire attention, Ihlo s'approcha d'un présentoir à fioles remplies de teintures rouges, bleues, vertes... La jeune femme s'en saisit d'une noire, puis alla payer, et ressortit. Enfin, elle regagna sa chambre d'auberge.

Elle posa une bassine au-dessus de sa tête, et se mouilla les cheveux, puis appliqua la teinture sur ses mèches brun-roux. Une dizaine de minutes plus tard, une tignasse sombre et humide recouvrait sa tête. Ihlo se sècha le crâne à l'aide d'une serviette de chambre, puis tressa ses longs cheveux, et vida la bassine dans un conduit qui menait très certainement aux égouts d'Akadef. Satisfaite du résultat, elle descendit en ville, cette fois-ci sans prendre la peine de se couvrir de son capuchon. Avec ses longues mèches noires, elle avait tout l'air d'une fière naine.

La gnome avait eu l'idée en plein milieu de la nuit. Elle avait songé que, en mentant sur sa véritable identité, et en se faisant passer pour une de ces naines bouffies d'orgueil, il lui serait plus simple d'accéder à l'ensemble de Rhulvas. Tous la considéraient désormais comme une habitante des montagnes.

Ihlo passa sa journée en ville, dépensant les bulirs qui cliquetaient dans sa bourse tout d'abord en vivres, mais surtout en souvenirs et en autres bêtises. Elle s'offrit même un petit poignard, le moins cher de l'étal de l'armurier, dont la lame de fer était courte et le manche recouvert de bandelettes de cuir. Le fourreau était simplement fait de peau d'une espèce locale de vache à longues cornes, un cuir solide et résistant. Ihlo n'en avait eu que pour dix bulirs.

Les souvenirs de sa confrontation avec la sorcière de Mavën étaient déjà loitains pour notre héroïne, qui exultait d'enfin pouvoir marcher tranquillement sans avoir à subir moqueries ou regards des autres. De plus, comme c'était la première fois qu'elle visitait une aussi grande ville, elle préférait ne pas faire de vagues. La teinte de ses cheveux avait été une libération.

Quand le coucher de soleil se fit sentir dans la ville, Ihlo songea à l'homme encapuchonné et à son rendez-vous au Farfadet Fourbe. La jeune gnome hésitait à y aller, suspectant un coup monté ou une tromperie. Cependant, n'ayant d'autre idée pour donner un sens à son aventure, elle se résolut à aller trouver l'inconnu.

Comme la veille, la taverne était déjà remplie de travailleurs assoiffés et festifs. La bière et l'hydromel coulaient à flot, et des effluves de viande grillée montaient de la cuisine. Comme prévu, elle vit l'homme masqué assis à la même table que la soirée précédente. Elle le vit tenant un glaive poli et tranchant, qu'il faisait miroiter à la lueur du foyer. L'arme était d'une incroyable beauté, qui dépassait largement celle de sa misérable dague de fer.

Ihlo s'assit à ses côtés, et ce fut l'homme qui parla en premier :

— Avez-vous réfléchi à ma proposition ? demanda-t-il.

— Je suis partante, répondit la gnome avec assurance. Cependant, je tiens à vous préciser que, si je m'étais montrée réticente la veille, c'est en partie car c'est ma première aventure...

— Ce n'est pas grave, grogna-t-il. On se contentera de rester discrets. Maintenant, je vous conseille d'aller dormir ; une longue journée nous attend, demain.

À ces mots, il se leva et quitta la taverne d'un pas décidé. Bien qu'il l'effraie un tantinet, Ihlo avait hâte de vivre enfin une véritable aventure. Ce fut toute excitée qu'elle monta se coucher. En réalité, l'appréhension lui tordait le ventre. Mais surtout, elle ignorait encore à quoi cette quête allait aboutir. La perspective de s'être fait rouler dans la farine la retenait.

Cette nuit fut l'une des pires d'Ihlo.

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