Réveillon 2016

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Notre Nouvel An ne représente rien dans le calendrier lunaire chinois. Toutefois, avec tout le brassage culturel que le pays a subi au cours du dernier siècle, certains jeunes sortent tout de même s’émécher le soir du réveillon.

Pour nous, petits francophones de Dawai, l’occasion se devait d’être marquante. La plupart d’entre nous (à vrai dire, tous sauf Marc) n’allaient pas repasser un tel événement en Chine une seconde fois. Aussi, Marc, Fu, Maya et moi partîmes à la découverte de la capitale de la province du Liaoning (où Dalian ne se situe qu’en seconde position), l’illustre Shenyang. Moins célèbre que sa sœur côtière bien que tout aussi importante. C’est en effet depuis ses locaux que les étudiants coréens ont pu par exemple voter pour leur nouveau président en 2017, après l’éviction de la précédente pour corruption.

Je n’ai jamais vu de ville si triste et monochrome que celle-ci. Les habitants semblaient exempts de toute âme et notre seul loisir fut de s’amuser sur le lac gelé bordant la ville. Nous y avons également fait de la luge en bois, des courses effrénées nous rappelant l’enfance. À part quelques musées vétustes et les vestiges de palais mandchous, l’architecture de la cité reste pauvre.

Le soir, tout était blindé, même les gigantesques karaokés qui s’étendaient sur plusieurs étages. Nous devions patienter presque une heure, ou bien lâcher le double du tarif pour la salle la plus large, hors de prix pour quatre personnes.

Le dimanche premier janvier 2017 entama donc sa course dans une chambre d’hôtel bon marché, accompagné par des cadavres de soju et de Tsingtao.

Ai-je oublié de mentionner que cette fête n’est pas fériée en Chine et que nous avions dû embarquer dans le premier train pour Dalian afin d’être frais et dispo pour les cours du lundi. À l’instar de Tianjin, cette escapade d’un week-end nous laissait des souvenirs courts mais intenses, à chérir pour le reste de notre existence.

En revanche, les chinois se permettent de prendre jusqu’à un mois de congé pour l’événement le plus important de leur calendrier : le Nouvel An Lunaire (aussi appelé Fête du Printemps[1]).

La maison est un élément central dans la société chinoise : jia, un toit sur la tête du porc, le « foyer ». Tout comme les ancêtres et la piété filiale, aspects primordiaux du confucianisme, l’importance des proches n’émet aucune contradiction. Cependant, le même fléau qui touche l’Europe, la solitude des seniors, arrive dans les pays d’Asie. La nouvelle génération, citadine, se moque de retourner dans sa campagne natale pour saluer ses aïeux. Le Nouvel An Lunaire est le seul qui déroge à cette règle et continue de soumettre cette population insolente.

Située entre janvier et mars, la Fête du Printemps est un phénomène majeur en Asie. Chunjie en chinois, Seolnal en coréen, le « nouveau jour » est célébré de manière très similaire d’un pays à l’autre. Un festin en famille, où toutes les générations mettent la main à la pâte, et où les aînés distribuent aux plus jeunes de grasses enveloppes rouges, nommées hongbao[2], qui contiennent un début de fortune, souvent plusieurs centaines d’euros par paquet.

C’est également l’occasion, si vous avez pêché toute l’année, de vous purifier pour la suite. Les chinois ont pour coutume d’attacher à leur porte un losange rouge et or portant le caractère Fu, symbole de bonne fortune et de chance, à l’envers, afin d’attirer le bon œil.

Qui dit nouvelle année dit nouveau signe du zodiaque. Adieu Balance, Vierge, Cancer, Poissons et autres entités cosmologiques. Place aux animaux du folklore : Lapin, Singe, Cochon, Dragon etc.

Ah ! Le Dragon, l’emblème de la Chine. Créature fantastique aux mille visages. Le serpent divin, rougeoyant de puissance. La cause du baby-boom de 2012, année du Dragon d’Eau, la complémentarité, l’équilibre des forces.

Chaque signe est associé à un élément qui permet des combinaisons inouïes : l’eau, le feu, le bois, le métal et la terre. La mienne est celle du cochon de bois. Allez savoir ce que cette combinaison donne.

Je ne me lancerais pas de fleurs, mais je trouve que les caractéristiques liées au cochon me correspondent : honnête, travailleur, curieux. De plus, l’un des chiffres porte-bonheur qui lui est associé est le cinq, mon jour de naissance.

Cependant, on pourrait arrêter là la comparaison, si ce n’est que le signe astrologique équivalent peut être Scorpion. Je suis Balance. À quelques semaines près, c’est un sans-faute.

En réalité, il est difficile de confier une quelconque croyance en ces signes, selon moi, qu’ils soient astrologiques ou non. Cela dépend avant tout de l’individu et n’indique aucune destinée. J’ai récupéré sur le net une courte liste de certains « Porcs » célèbres, et ces profils n’ont rien en commun : Alfred Hitchcock, Arnold Schwarzenegger, Fabien Barthez, Jean-Pierre Foucault, Gad Elmaleh, Tupac Shakur ou encore Patrick Bruel.

Cherchez le lien, autre que la présence de cochon lunaire dans les veines.

Pour cet événement majeur, tous les chinois retournent dans leur province d’origine, ce qui crée une augmentation soudaine du prix des billets de train ou d’avion. Même si l’envie vous prenait de venir visiter le pays durant cette période pour y voir de beaux défilés ou déguster de succulents jiaozi[3], prenez soin de réserver votre vol avant ou après les congés, sinon votre porte-monnaie risque de vous en vouloir.

L’été, en France, les journaux télévisés évoquent le fameux chassé-croisé des juilletistes et des aoutiens. Le Nouvel An aborde une toute autre perspective : le « chunyun[4] », ces quelques semaines de trafic intense où circuler devient une plaie plutôt qu’un plaisir.

Pour ma part, je commis l’erreur impardonnable. Je retournai en France pendant les trois semaines de février où la Chine explosait. Mes parents, venus visiter le pays en janvier, ont quand même pu admirer le début des préparations, notamment dans le quartier traditionnel de Shanghai.

D’un côté, je m’en veux de pas être resté pendant un événement aussi important, profitant aux premières loges de festivités grandioses. De l’autre, j’appréhendais ce moment. Le Nouvel An lunaire n’est pas uniquement un défilé de dragons sur un air oriental dans une rue bondée d’acrobates. Il s’agit avant tout d’un repas partagé avec sa famille, toutes générations confondues.

Ainsi, le campus était privé de sa vie. Les étudiants adeptes de la coutume, comme les coréens ou les japonais, rentraient tous au pays. Ceux qui ne restaient qu’un semestre, comme Na ou Hong, rentraient chez eux définitivement, et les autres, comme Marc ou Jeff, profitaient d’une occasion offerte par des amis de profiter de la tradition dans un foyer chinois. N’ayant pas cette chance, je refusais de me morfondre dans la solitude d’une université déserte. Tous les commerces aux alentours étaient fermés et les bus ne circulaient plus. J’ai donc profité de trois semaines pour me ressourcer, revoir ma famille, mes amis du lycée, mes animaux et un lit bien douillet. Ce n’était pas pour me plaindre mais les matelas durs comme le roc qui supportaient notre dos dans les chambres ne m’avaient pas apporté que du repos.

Trois semaines de fraîcheur, donc, de fromage et de charcuterie, avant le retour aux révisions dès le mois de février.


[1] 春节 en chinois, car elle marque le début du printemps dans le calendrier lunaire

[2] 红包 = enveloppe rouge distribuée au Nouvel An

[3] 饺子 = raviolis, dumplings

[4] 春运 = Le rush du Printemps

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