Blancs et préjugés

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L’adjectif qui qualifie le mieux les Chinois est, selon moi, brutal. Bien que teintés de bienveillance, leur manque de tact apporte une certaine rugosité aux relations qu’ils entretiennent. Pour des habitués de la culture, cela ne pose aucun problème. Mais pour nous, Occidentaux aux coutumes si lointaines, le choc fut rude.

Fu est un exemple parfait pour illustrer cette sensation. Sa franchise n’a de limite que les règles de bienséance fixées dans son pays, pas les nôtres.

Au détour d’un repas, croisant le regard d’une camarade de classe, je l’entendis hurler :

— Hey ! Toujours aussi grosse !

Et elle de renchérir :

— Hey ! Ferme ta gueule !

Puis les deux d’enchaîner sur les devoirs du jour et leur emploi du temps, sans aucune animosité. En France, ce système de ping-pong acide est fréquent entre amis proches, en tout cas ceux qui le permettent. En Chine, à partir du moment où la hiérarchie ne fait pas obstacle, tout le monde en prend pour son grade. J’arrêtais de compter le nombre de matins où Fu m’accueillait d’un :

— T’es vraiment moche aujourd’hui.

Certains auraient pleuré pour moins que ça. Pas en Chine.

Cette dissension culturelle ne s’est pas uniquement illustrée durant mes relations avec les gens mais avec tout l’univers du quotidien. Le racisme est un concept encore peu ancré dans l’imaginaire collectif chinois.

Une publicité de 2016 pour de la lessive illustrait une jeune femme lavant son linge. Son petit-ami, noir, arrive et cherche à la distraire. Il la drague et commence à l’enlacer. Celle-ci se prête au jeu puis l’enfonce la tête la première dans la machine à laver. À la fin du cycle, un bel Asiatique à la peau de porcelaine en ressort, tout brillant.

Ce spot avait fait polémique à l’époque, mais trop peu pour alerter un mode de pensée millénaire, où hiérarchiser les différences n’a jamais eu le mauvais rôle. Je me souviendrais toujours, au détour du rayon Soin et Bien-Être de la supérette du campus, ce dentifrice au slogan ravageur : « Le dentifrice des Noirs » couplé avec le logo de la marque représentant un Afro-Américain en costume. Comment se permettre d’exposer ce genre de produit dans une université de langues étrangères qui accueille une bonne vingtaine de ressortissants de couleur ? Le détail ne semblait même pas inquiéter les gérants qui en avaient rempli toute une étagère.

Nous avons tous, dans nos sociétés occidentales, des idées préconçues sur la Chine, sur le mode de vie et les idéologies confucianistes. Le contraire est également vrai, et je l’ai découvert au cours des différentes classes d’anglais auxquelles mes camarades de Lyon et moi-même devions participer.

Pratiquer son anglais à Dalian est un bien grand mot. Jeff se montrait volontaire pour pratiquer et se soulager de ses heures à se torturer le cerveau. Toutefois, le mandarin restait notre objectif à tous.

De plus, les étudiants chinois, tout comme les Japonais et les Coréens, possédaient une méthode peu efficace dans le cadre d’une langue vivante : mémoriser et régurgiter le savoir imprimé. Certains ne s’exerçaient même pas à l’oral, puisque les examens étaient tous écrits. Dans le cas de celui de kouyu[1], il leur suffisait d’apprendre par cœur en amont des textes déjà préparés par leurs soins.

Les têtes de ma classe, coréennes, obtenaient donc des résultats presque parfaits, et pourtant se retrouvaient incapables d’aligner trois phrases correctes lorsqu’elles étaient lâchées dans la savane.

J’étais de ceux qui privilégiaient la communication pragmatique à quelques chiffres sur un bout de papier cartonné.

Quoi qu’il en soit, les cours de culture et d’histoire américaine, puis britannique, m’en ont appris plusieurs bonnes dont même Jeff n’était pas au courant. La professeure chevronnée, l’air sévère, le genre qui ne remettait en aucun cas en cause le parti, n’éprouvait aucun scrupule à annoncer aux élèves qu’en tant que peuple jaune, silencieux et assidu, ils feraient partie d’une minorité aux États-Unis et ne pourraient jamais s’intégrer convenablement. Malgré les nombreuses régulations américaines antichinois des dix-neuvième et vingtième siècles, je doute que les Asiatiques de la côte ouest ne se soient pas intégrés au style de vie du pays.

Les livres de référence, tous imprimés à l’université de Pékin et rédigés par des professeurs de la capitale, énonçaient ce qui sonnait comme des vérités absolues. Chaque chapitre listait toute une série de stéréotypes et de clichés, tels que les habitudes alimentaires des Britanniques, absolument non représentatives des sociétés actuelles. Même si c’est encore très largement répandu, les Anglais ne s’arrêtent pas tous les jours à cinq heures de l’après-midi pour déguster leur succulent Earl Grey Tea avec un nuage de lait et quelques scones. En ce qui concernait Jeff, à cette heure, il entamait déjà sa quatrième tasse d’Americano, un café allongé infect avec surtout de l’eau et peu de caféine, de quoi vous envoyer aux toilettes toutes les cinq minutes.

Cet état des lieux culturel avec l’étranger offrait également l’occasion de comparer les points de vue avec le modèle chinois. Il était intéressant de voir que certains étudiants n’hésitaient pas à exprimer leur intérêt pour ces manières occidentales. La grande majorité soulignait toutefois une nette préférence pour les habitudes asiatiques.

Afin de valider nos cours, nous devions exposer à l’oral une question relative à l’un des chapitres traités. Bien entendu, aucun choix libre, le professeur nous dressait une liste de questions. Nous ne pouvions pas travailler sur le même problème, aussi le bon vieux système du premier arrivé, premier servi opérait sur chacun.

C’est ainsi que j’exposai mon point de vue sur la question suivante : « Que pensez-vous des mariages interraciaux ? Quels sont les bons et les mauvais côtés ? Seriez-vous capable de vous marier avec quelqu’un d’une autre race que vous ? » Les derniers termes m’arrachèrent plusieurs grimaces à la lecture.

Le concept de race, que nous nous efforçons d’annihiler en France au profit d’une communauté hétéroclite, n’a pas prononcé son dernier mot en Chine. Il n’est pas rare de passer devant un groupe d’inconnus et d’entendre des éclats de voix, le doigt lancé :

— Oh ! Un Blanc ! (La variante était encore plus insultante pour une personne de couleur, car ils n’hésitaient pas à vouloir toucher les cheveux typiques des Africains, comme si ces derniers débarquaient d’une autre planète).

Être qualifié de Blanc n’avait plus rien de vexant une fois passée la barrière de glace culturelle.

La plupart des étudiants, à la question du mariage interracial, avait répondu aux antipodes de mes choix. Moi, qui n’avais aucun problème à me marier avec une femme d’une autre origine, du moment que nous nous aimions, m’étais heurté aux arrêtés idéologiques de mes camarades. Pour eux, être en couple avec un étranger ne posait pas de problème (seulement s’il était européen, bien entendu, dans le cas d’un musulman, sûrement pas). Toutefois, le mariage est sacré et le, ou la, prétendant(e) doit être accoutumé(e) aux principes du confucianisme, berceau de la culture de l’Extrême-Orient.

Pour d’autres, épouser un Coréen ou un Japonais restait passable, bien qu’un Chinois soit la meilleure option disponible. Un Marocain ou un Brésilien ? Hors de question ! La famille en serait déshonorée.

[1] 口语 = Langue orale

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