L'administration à la chinoise

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Ces aventures de chambre et de déménagement m’ont fait comprendre une chose : tout devait passer par l’administration.

Vous pensiez qu’en France, les allers et retours à la préfecture représentaient l’apogée de la galère ? Bienvenue en Chine, où chaque requête recevait la même réponse :

— Allez voir le Ban Gong Shi [1]!

Le Ban Gong Shi, notre seconde maison dans cette organisation désarticulée. Tout le monde nous y connaissait, dans le mauvais sens du terme. Comme je l’ai dit, les Chinois avaient la fâcheuse tendance à se laisser écraser par la hiérarchie. Pas nous.

En tant qu’étudiant autant d’anglais que de chinois, notre université d’origine exigeait que l’on prenne des cours, non inclus dans notre emploi du temps actuel. Nous étions donc allés faire un tour du côté du département concerné, afin de leur expliquer la situation.

— Ah mais non ! s’était écriée la professeure en charge du secteur. Vous ne pouvez pas assister aux cours d’anglais. Vous êtes étrangers, ça va perturber nos élèves.

Comprenez bien qu’avec nos faciès de Blancs, nous étions forcément bilingues. Certains m’ont même prêté des origines russes, comme la ville se trouvait près de la Sibérie.

Nous n’avions eu d’autre choix que de forcer la porte. Il nous fallait valider au moins deux cours d’anglais, peu importait le niveau et le sujet, pour obtenir notre diplôme en France. La minute d’après, la secrétaire nous tendait une longue liste de classes disponibles avec pour seule consigne : « Prenez ce qui vous intéresse ».

Il ne nous fallut pas longtemps pour distinguer que le Ban Gong Shi transpirait de mauvaise foi. Peu avant la rentrée, l’administration convoqua les étudiants pour l’achat des livres (encore un détail omis par la France). Nos résultats aux tests de répartition, passés une semaine avant, et auxquels j’avais laissé naviguer le stylo au gré de ses envies, nous dispatchaient dans différentes classes. Chacune comprenait son lot de fascicules.

Le tas de bouquins se monnayait six cents yuans (environ quatre-vingts euros), une somme non négligeable pour un étudiant, de surcroit lorsqu’un tel pactole permettait de manger pendant plusieurs semaines. Les billets rentraient directement dans la trésorerie de l’université, qui nous remettait un reçu tamponné du large logo rouge de l’établissement.

Une amie en échange avec moi, Maya, déjà peu chanceuse dans la vie quotidienne, atteignit le paroxysme de la loose avec ces achats.

Maya, jeune savoyarde dont les origines espagnoles ont laissé un sang bouillant, régulait son tempérament explosif grâce au sport. Autant vous dire que la plénitude chinoise n’avait que peu fonctionné avec elle, encore moins ce jour-là.

Comme tous les autres élèves, Maya avait payé ses livres en monnaie sonnante et trébuchante, puis récupéré son ticket validé. Seulement, quelques semaines après la rentrée, une dame du bureau la héla.

Erreur ! Lorsque le Ban Gong Shi vous appelait, vous étiez parti pour des heures de débat sans queue ni tête pour leur faire comprendre que si, si le reçu était dans sa poche, c’est qu’elle avait bien payé ses livres.

La trésorière n’avait pas retrouvé l’argent de Maya et lui demandait d’aligner à nouveau les billets. Celle-ci, écarlate, dégaina le papier tamponné et hurla dans la langue de Molière :

— Et ça, c’est du flan ?

Peu lui importait que la Chinoise l’observe sans comprendre, dépassée par la situation, il fallait qu’elle extériorise sa frustration.

— J’ai envie de leur coller une baffe à tous, rugissait-elle encore après l’incident.

Marc était venu prendre le relais en mandarin. Il haussa le ton et remit en place la pauvre employée, victime de sa hiérarchie.

La semaine suivante, le bureau avait miraculeusement récupéré la liasse manquante et le problème fut enterré.

[1] 办公室 = le bureau

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