Déménagement

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Je passais le plus clair de mon temps avec Marc, nos chambres se faisaient face. Au cours de mon séjour, une fois le loyer réglé, j’avais déménagé deux fois en à peine un mois. Trois chambres à trois étages différents. L’immeuble, appelé Beilou[1], en comptait cinq. Seuls les étrangers habitaient là, ou bien les Chinois riches. Les autres dormaient dans des dortoirs de six à huit lits, sans salle de bain ni toilettes, réglés avec un couvre-feu.

Les logements servaient également d’hôtels, et les chambres étaient donc relativement spacieuses. Nous bénéficiions de salle de bain et de toilettes privées ainsi que d’un balcon pour admirer la vue imprenable sur le campus. Après un séjour sous dix mètres carrés à Séoul, où toutes les pièces se retrouvaient condensées en une seule, je vivais dans le paradis.

Mon premier colocataire était un Japonais d’origine coréenne. De ceux qu’on déteste parce qu’ils récupèrent toutes les filles à la sortie du bar. Cheveux bien en place, regard de braise. Il faisait partie d’un programme d’échange universitaire semblable au mien, à la différence que sa fac organisait de nombreuses sorties et activités. Une sorte de voyage scolaire de six mois. On rappelle l’implication de la mienne dans la choucroute.

Malheureusement, à cause d’un téléphone et d’une connexion peu coopératifs (je compatissais, le Wi-Fi nous rendait tous fous), il n’avait pas accès aux conversations de groupe ni aux informations relatives à l’échange. Ainsi, il me demanda de changer de chambre avec l’un de ses amis. J’étais là depuis quelques semaines et, par chance, ma valise n’avait presque pas été déballée.

Mon second palace possédait un avantage non négligeable : situé au premier étage, j’étais plus proche du distributeur d’eau, placé au rez-de-chaussée[2]. L’eau du robinet n’est pas potable en Chine, comme dans de nombreux pays d’Asie. Il arrivait même qu’elle ressorte jaunâtre de notre lavabo. Plutôt que de consommer son argent en bouteille plastique (ce que nous faisions déjà par pure flemme), chaque bâtiment bénéficiait d’une machine abritant le Saint Graal. Selon la température sélectionnée, on obtenait une eau glaciale ou bouillante (pour les ramyuns[3] ou le thé). L’université nous confiait à tous une carte rechargeable à appliquer sur la machine. Une seconde de jet équivalait à un yuan. Je ne me souviens pas avoir eu besoin de remettre de l’argent dessus, malgré les litres que j’avalais, surtout l’été.

Mon second colocataire était coréen. Une aubaine pour moi, qui voyait là un moyen d’exercer deux langues pour le prix d’une. Je n’allais pas être au bout de mes surprises. Assez spécial, il révisait son vocabulaire à voix haute, en pleine nuit, avec toutes les lumières allumées. Un véritable bonheur.

En dehors de ce détail, il était tout à fait charmant et nous avons cohabité pendant un mois, avant qu’il ne décide de quitter le campus pour un appartement étudiant indépendant. Je me retrouvai donc seul dans une chambre double, tout le confort au même prix.

C’était sans compter sur l’optimisation de l’espace des Chinois. Peu avant la Toussaint, un post-it collé sur ma télé attira mon attention.

L’accueil des logements souhaitait me parler.

On n’est jamais serein face à ce genre de message. Pourtant, je n’avais rien à me reprocher. Mon loyer était en règle, personne ne dormait illégalement dans le lit libre et je respectais le sommeil de mes voisins.

À mon arrivée, la secrétaire en surpoids, dont le mandarin tranché et négligé donnait des envies de meurtres, me remit tout de suite. Ma situation particulière lors de la première semaine avait suffi à imprimer mon nom dans les bases de données de l’administration. Elle hurla :

— Wang Long Li ![4]

Difficile de détecter s’il s’agissait d’un reproche ou d’une bonne nouvelle.

— Nous allons devoir te demander de déménager.

La tuile. J’aurais mieux fait de louer un camping-car, à cette allure-là. Mes bagages changeaient plus souvent d’hôtes que des chromosomes consanguins.

— Pourquoi ?

— Tu vis seul dans une chambre double. Nous avons quelqu’un au cinquième étage dans la même situation. Il faut que l’un de vous emménage avec l’autre afin de libérer une chambre pour d’autres clients.

L’explication n’émettait aucune négociation. Elle ne m’avait pas appelé pour parlementer.

— De quelle nationalité est-il ?

Je me fichais de savoir qui allait vivre avec moi, mais ma curiosité dépassait ma raison sur ce point. J’appréciais la compagnie des Coréens, peut-être grâce à leur souci aigüe de l’hygiène.

— Japonais.

Neutre. Sans antécédent pour me prononcer. La secrétaire m’amena donc jusqu’à la chambre 607[5], presque la dernière d’un long couloir. Elle ouvrit sur une pièce en désordre où chaque déchet menait vers un jeune homme à lunettes, recroquevillé sur son bureau, le nez penché sur ses livres de mandarin.

La réponse était déjà en ordre dans ma tête : j’allais être celui qui déménagerait.


[1] 北楼 = Immeuble du nord, par opposition au second hôtel du campus, Nanlou, l’immeuble du sud (南楼)

[2] En Chine ou en Corée, le rez-de-chaussée est appelé « premier étage ». Je vivais donc au deuxième étage, selon la dénomination chinoise.

[3] 라면, ou ramens en japonais : nouilles instantanées.

[4] 王龙力= le Roi, le Dragon et la Force. Mon nom chinois (plutôt passe-partout, loin des traductions de noms occidentaux grillés à trente kilomètres).

[5] Comme expliqué précédemment, la chambre se situait au cinquième étage du bâtiment pour nous, au sixième pour les chinois. Les chambres du rez-de-chaussée démarraient à 100.

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