L'Arrivée partie 3

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Après une bonne heure de route dans la campagne chinoise, les édifices rectangulaires de notre future maison se dégageaient parmi les arbres. Malgré son nom, l’Université des Langues Étrangères de Dalian, abrégée en DUFL (Dalian University of Foreign Languages[1]) ou en Dawai pour reprendre son nom chinois, ne se trouvait pas en centre-ville, ou, tout du moins, n’y s’y trouvait plus. Avec l’explosion des inscriptions, un campus plus récent avait été construit près de la mer, dans un quartier appelé Lüshun. Sur le papier, 120 000 âmes parcouraient ces terres désertiques. En France, je n’habite pas en plein milieu de Lyon mais au bord des vignes et des vallées, je suis donc habitué au calme de la campagne. Pourtant, Lüshun n’arborait que désolation et silence. Où vivait tous ces gens ?

Une autre fac, spécialisée dans la médecine, que les Chinois surnommaient Dayi[2], bordait la nôtre. Les deux se livraient une cordiale rivalité et organisaient de temps à autre des événements interuniversitaires.

À l’arrivée du bus, nous récupérâmes nos chambres. Les étudiants disposaient de plusieurs choix pour s’installer. Ceux qui souhaitaient vivre dans leurs appartements propres, à l’extérieur de l’école, devaient se débrouiller et contacter les propriétaires directement. Pour nous autres, brebis égarées qui n’osaient pas encore sortir de l’enceinte, plusieurs forfaits s’offraient à nous : des logements de six personnes munis de trois chambres de deux ; des chambres de deux personnes puis leur version en solitaire. Les bâtiments qui nous accueillaient servaient également d’hôtels aux invités, il n’était donc pas rare de croiser des familles d’étudiants chinois ou japonais, le temps de quelques jours.

On nous avait envoyé les forfaits par mails quelques semaines auparavant. Je décidai d’une chambre double. La secrétaire me fixa, d’un grand sourire, et m’annonça dans un mandarin châtié :

— 6 500 yuans[3].

J’avais déjà sorti ma carte lorsqu’elle m’arrêta :

— Désolé, nous n’avons pas de machine, il faut payer en liquide.

Hic ! L’amour des Chinois pour le liquide. Vous n’avez jamais remarqué, dans les grandes rues parisiennes, ces groupes de touristes qui arpentent les magasins de luxe en trainant des liasses avec eux ? Ne doutez plus, ce sont des Chinois. En revanche, personne ne m’avait prévenu, dans mon université d’origine, de préparer autant d’argent. 6500 RMB, presque 850 euros, en petites coupures dans sa valise, ça ne se sort pas comme ça, à moins d’être un parrain de la mafia russe.

Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, mon plafond de retraits sur les distributeurs étrangers étaient limités : pas plus de trois opérations dans le mois, sans pouvoir dépasser 400 euros au total, soit 3000 RMB. Autant vous dire que j’étais marron dès mon premier jour !

Mon front dégoulinait de sueur, sans que je puisse expliquer la situation à la secrétaire qui s’impatientait. C’est là que Dieu Na arriva à la rescousse. Je lui racontai ma mésaventure en coréen et lui se chargeait de la traduire, puis de me transmettre les réponses. Je pus disposer ainsi d’une semaine supplémentaire pour payer le logement pour la durée du semestre. Sept jours pour rassembler une somme exorbitante dans un pays que je fréquentais depuis moins de vingt-quatre heures : même les plus illustres scénarios catastrophes possédaient de meilleurs départs pour leur héros.

Je pris alors une décision que je me refusais jusque-là : appeler mes parents. Je tombais dans la facilité, j’en conviens, mais je n’avais vraiment pas le choix. C’était ce coup de fil, ou bien un billet direction Lyon.

À nouveau, j’exprimais mon urgence, et ma mère réussit à transférer le montant via Western Union. Il ne me restait plus qu’à rejoindre une banque, leur donner le code associé au virement, et récupérer le trésor tant attendu pour régler mes dettes. Là encore, Super Na sauva la mise : il me jeta dans un taxi et indiqua au chauffeur de m’emmener au centre de Lüshun, où se trouvaient des magasins et de nombreux bâtiments administratifs.

Le Shushu[4] (les personnes d’âge moyen sont souvent appelées oncle, ou tante, en Chine), d’une gentillesse extrême, me mena devant la banque et me prit même la main pour y pénétrer, à l’instar d’un chiot égaré. Il tentait de me parler, mais son accent du Dongbei[5] m’était indéchiffrable. J’agitai la tête afin d’éviter de le contrarier puis le suivis jusqu’au guichet. J’osai espérer qu’il transmette correctement ma demande à l’employée pour résoudre mon problème au plus vite. J’assistai, impuissant, à leur conversation houleuse. On me fila un numéro, semblable à ceux distribués chez le poissonnier des grandes surfaces, et le chauffeur m’indiqua un siège où patienter. À ce moment, je compris vaguement qu’il ne pouvait rien faire de plus pour moi, que je devais attendre et me diriger ensuite vers un comptoir où la dame parlait anglais. Je le remerciai et m’installai sur un des canapés rouges en faux-cuir. Leur mollesse les rendait inconfortables. Un coup d’œil autour de moi me suffit pour comprendre que j’étais le seul Blanc de la salle. Une vingtaine de paires d’yeux me fixait, intriguée.


[1] Université des Langues Étrangères de Dalian

[2] Dalian Yike Daxue : 大连医科大学 (Université de Médecine de Dalian)

[3] 元 : classificateur de la monnaie. La monnaie chinoise est le RMB (Ren min bi 人民币)

[4] 叔叔 (prononcé chou-chou) : oncle

[5] 东北 : Région du Nord-Est de la Chine, ancienne Mandchourie

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