Oncle Henry

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Résumé : Oncle Henry, vieil homme aigri raconte son passé glorieux a son neveu. Il fut un grand acteur, puis directeur de théatre qui a tout perdu.

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Oncle Henry était un peu vieux jeu. Je n'aimais pas aller chez lui, ça sentait le renfermé et lui-même ne sentait pas très bon. Et puis il y avait tous ces objets amassés qui trônait sur des étagères poussiéreuses aux cotés de photos jaunies ou il apparaissait, jeune, souriant, aux cotés de femmes toujours différentes. Mon père disait toujours que son frère était un sacré coureur de jupons et, même s’il ne le montrait pas, je sentais comme un pointe de jalousie dans sa voix qui me mettait mal à l'aise. Ma mère avait, quand a elle, abandonné depuis longtemps les visites à ce membre de la famille qu'elle disait ne pas aimer.

"Oncle Henry n'a jamais été marié ?" osais-je demandé un jour à père.

"marié ? ce mot n'est pas dans le vocabulaire de ton oncle, je crois qu’il ne sait pas ce que l'amour réel pour une femme peut être. Pour lui elles sont des trophées à conquérir pas des compagnes qui sont a coté de vous pour la vie" répondit-il, un brin amer.

Cette explication ne me satisfaisait pas vraiment et je me suis toujours dit qu’un jour ou je serais seul avec le vieux brigand, je lui poserais directement la question. Toutes ces femmes posant a ses côtés attisait ma curiosité. Je ne pouvais m’empêcher de regarder discrètement ces multiples photos et de me dire que décidément ça n'allait pas avec le personnage grincheux et misanthrope qu'étais devenu oncle Henry.

L’age est communément évoqué pour expliquer le caractère acariâtre des vieilles personnes. Henry n'avait pourtant que dix ans de plus que mon père, donc un peu plus de soixante ans, ce qui n'est pas si âgé que cela. Je connaissais de jeunes retraités dans mon quartier qui n'étaient pas aussi désagréables et irascibles que pouvait l’être cet homme qui faisait fuir tous ceux qui osaient s’intéresser un peu à lui. Il ne tolérait que les membres de sa famille proche, et encore, si ceux-ci venaient le voir avec modération, c’est-à-dire : une fois par mois, ni plus ni moins.

L'occasion se présenta un dimanche de pâques. Mon père et moi étions venu pour notre visite mensuelle lorsque son téléphone portable sonna. Une urgence l'obligeait a me laisser avec mon oncle. Avant que nous n'ayons eu le temps de réagir, Henry en s'opposant au fait que je reste et moi manifestant mon désir de rentrer immédiatement a la maison, mon père avait disparu dans l'entrée en courant.

« Je passe te récupérer ce soir, 18h au plus tard » lança-t-il en guise d'au revoir

Je devais apprendre plus tard la raison de ce départ soudain, mais en attendant j'étais là assis face à Oncle Henry. Lui me regardait, l'air agacé, assis de l'autre côté de la table de la cuisine ou nous étions attablés. Après un long silence gêné, il finit par dire

"Je crois que ton père m'a confié ta garde pour cet après midi, ça ne m'enchante guère, je ne te le cacherais pas, mais…"

Il se tut de nouveau pendant un moment, puis repris

"...c'est sûrement l'occasion de mieux te connaître et de voir si tu tiens du côté sage ou du côté fou de la famille" fit-il, un sourire énigmatique au lèvres.

J'étais encore sous le choc du départ précipité sans autres explication de mon père. L'idée de rester une demi-journée avec ce homme qui m'avait tout l'air d'un vieux fou ne me plaisait guère, mais n'ayant pas le choix je décidais d'en profiter pour assouvir ma curiosité a son égard.

"Qui sont toutes ces femmes a tes côtés ? " fis-je montrant les photos.

"eh bien tu perds pas de temps ! " répondit Henry "Je ne suis pas obligé de te répondre, mais ton audace me plaît, je vais donc essayer d'éclairer ta lanterne"

Il prit le temps de se préparer un café et de me resservir un peu de jus d'orange avant de poursuivre.

« Regarde bien ces femmes et dis-moi ce que tu en penses » fit-il

j'étais quelques peu surpris par sa réponse, mais je m''exécutais volontiers. Après un long moment, une évidence me frappa l'esprit. Toutes ces femmes avait un étrange air de famille.

"On dirait des sœurs " lançait-je

"Ce n'est pas le cas, il s'agit d'une seule et même femme" répondit-il

Surpris, je digérais l'information en regardant de plus près les photos et bientôt il me fut évident qu'il disait vrai, les visages étaient identiques, seules les coupes et couleurs des cheveux et parfois des sourcils changeait. C'était bien la même personne grimée différement à chaque fois, et a mesure que je regardais ce visage, je ne pouvais m’empêcher de me dire que je le connaissais.

"J'étais acteur, puis directeur d'un théâtre, cette femme était ma meilleure comédienne, et je l'aimais plus que tout" dit Henry

l'image de coureur de jupons aigri en repensant a son passé de charmeur invétéré s’effaçait soudainement pour laisser place a celle d'un autre homme.

"J'ai l'étrange impression de la connaître" fis-je

"rien de surprenant, il s'agit de ta mère jeune, bien avant qu'elle ne préfère le confort et la sécurité que lui a apporté ton père, mon frère "

j'étais sous le choc de la révélation. Maman ! comment étais-ce possible, et pourquoi ne l'avait pas reconnu instantanément ? c'est ma mère tout de même.

« Elle et vous étiez ... ? » dis-je hésitant

"Amants " continua Henry " incontestablement, mais je t’arrête tout de suite, je ne suis pas ton père, je suis stérile, c'est une des raisons pour laquelle Helena a préféré ton père : elle voulait des enfants. "

Il fit une pause et enchaîna

"En plus tout cela c'est passé bien avant que tes parents se connaissent. Helena était jeune, vingt ans, j'en avais trente. Elle était actrice, voulait faire ce métier nous étions fous amoureux."

Je ne conprennais pas ce qui avait pu se passer, pourquoi s’ils s'aimaient, pourquoi n'étaient-ils pas restés ensembles ? Devant ma mine incrédule, Oncle Henry continua

"Tu te demandes pourquoi notre histoire s'est arrêté ?"

"Bah oui ? " répondis-je un peu agacé par mon air idiot

"A cause de mon orgueil, de ma bêtise, tu as devant toi l'homme le plus stupide de la terre !" dit-il, l'air triste. "Je n'ai pas reconnu le grand amour et je le regrette depuis. Je fais le malin, mais au fond tout est de ma faute. Je l'ai trompée avec une autre actrice, plus âgé, plus expérimentée, je pensais que mon histoire avec Helena était une passade, elle était si jeune !"

Il avait les larmes aux yeux, et même si cette histoire avait sûrement plus de trente d'après mes calculs, je sentais que pour lui c'était comme si c'était hier

"Helena a découvert cette relation et ne m'a pas pardonné. Et le pire dans tout cela c'est que l'autre actrice elle aussi ne nous a pas pardonné, elle était persuadée qu'Helena était bien plus belle qu'elle et que je la préférerais donc. Alors, elle l'a défigurée"

Je comprenais soudain pourquoi je ne l'avais pas reconnu, et tout s'éclaira dans mon esprit.

« mes parents se sont rencontré a l’hôpital, je crois » dis-je

« Oui, Helena était hospitalisée dans le service ou ton père était jeune interne, étudiant en chirurgie »

J'étais estomaqué par cette histoire, elle expliquait pourquoi Henry était devenu si aigri et pourquoi ma mère ne voulait pas venir a cette visite familiale mensuelle. Une question restait cependant en suspend : mon père connaît-il cet histoire ? Et d'ailleurs, pourquoi est-il parti précipitamment, me laissant avec son frère ?

J'allais poser la première question lorsque mon géniteur entra. Le temps avait passé bien vite ou il était revenu plus tôt que prévu. Henry qui allait parler ne dit rien finalement et je compris a son regard que son frère ne connaissait pas la véritable histoire de Maman avec cet homme.

« papa, tu es revenu ! » m'exclamais-je

"Oui c'était un canular, un imbécile m'a laissé un message me faisant croire que ta mère avait eu un malaise et était aux urgences de l’hôpital, heureusement que j'ai eu l'idée de l'appeler pour vérifier l'information. Du coup, je suis revenu. Alors qu'avez vous fait tous les deux ?"

"On a parlé de chose et d'autres" répondit l'oncle.

Je me demande depuis ce jour si le vieux grigou n'est l'auteur du canular pour pouvoir avoir l'occasion de me raconter cette histoire.

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