Chapitre 5

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 21 h 25. Émilie, 16 ans, se regarda dans le miroir. Elle ne vit qu’une pauvre fille minable, “qui ne ressemble à rien”. Ce soir, elle allait en finir une fois pour toutes.

Depuis le collège, elle était victime de harcèlement. Ça avait commencé avec des petites phrases. “T’es moche”, “Boloss”, ou “ Salut la calculette” en référence à ses boutons d’acné. Avec le temps, les insultes étaient devenues de plus en plus violentes. “T’auras jamais d’amis”, “Tu sers à rien”, “Sale pute”, “T’aurais jamais dû venir sur terre”, “Va crever”, “On va te faire la peau”... Tous les jours, à l’école, via les réseaux sociaux, ou par SMS, c’étaient les mêmes commentaires, les mêmes moqueries, les mêmes camarades de classe qui donnaient l’impression d’être bien élevés mais faisaient leurs coups en douce.

Elle encaissait.

À la maison, elle essayait de faire bonne figure. Son père ne se doutait de rien. Elle vivait seule avec lui depuis la mort de sa mère, quatre ans plus tôt. Lorsque sa maman était encore là, son père et elle avaient un peu de mal à se comprendre. Il leur arrivait de se disputer, comme souvent les adolescentes avec leur père. Mais l'épreuve du deuil, au lieu de les rapprocher, les avait un peu plus éloignés l'un de l'autre. Elle s'était renfermée sur elle-même tandis que son père s'était consacré corps et âme à son métier de flic, sombrant dans le mutisme et la dépression. Aujourd'hui, ils s'évitaient. Et quand ils se croisaient, les mots échangés étaient rares. Son père serait probablement le premier surpris lorsqu’il découvrirait son corps inanimé. Elle avait de la peine pour lui, car elle savait qu’il l’aimait même s’il ne savait pas exprimer ses sentiments. Il allait être dévasté...


Mais ce soir, elle n’avait plus la force. Elle était fatiguée de tout ça. Elle allait en finir, et marquer le coup pour son grand départ.

Elle avait tout préparé. Elle alluma son ordinateur portable, se connecta à Facebook, puis lança le Live, pour se montrer en direct à tous ses contacts.


“Salut, c’est Émilie. Ouvrez grand vos yeux ! Ce soir, je vais me tuer devant vous, regardez-bien les dégâts que vous avez causés.”


Elle raconta à la webcam, en direct, comment tout avait débuté. Puis, pendant une heure, elle ressortit un à un chaque SMS. Elle lut chaque message Facebook et Instagram, chaque petite insulte entendue au détour d’un couloir, chaque petit mot griffonné par ses “camarades” alors qu’elle était en classe. Elle mentionna à chaque fois le nom de l’auteur des insultes, et la date. Elle avait tout noté, tout gardé depuis 5 ans. C’était le soir du grand déballage.


“J’espère que ma mort servira à quelque chose. Que toutes les filles victimes de harcèlement comme moi trouveront la force de se battre, car moi, j’en peux plus. Je prie pour que tous mes bourreaux soient punis. Adieu à vous. Honte sur vous. Tout a commencé avec des insultes d’enfants. Tout va finir avec un enterrement.”


Elle saisit un tube de cachets qu’elle avait subtilisé à son père, l’ouvrit, et posa les comprimés devant elle, en tas. Du Prazepam. Un anxyolitique puissant. Pris en grande quantité, il lui permettrait de partir sans douleur.


Une ombre apparut alors dans le champ de la caméra, derrière elle. Sur son écran, elle vit la silhouette s’approcher sans bruit, un couteau à la main.

Émilie se retourna brusquement pour faire face à l’intrus. Il était là, debout, le couteau levé, tout habillé de noir. Terrifiée, elle poussa un hurlement strident.


L’homme suspendit son geste et la fixa. Il semblait décontenancé. Au même moment, on entendit un bruit de verre brisé, puis des pas en provenance de l’étage. Quelqu’un venait de bondir, alerté par le cri de la fille.


Le tueur leva les yeux en direction du bruit, grogna, et s’enfuit en courant.


Le commissaire Marc Le Guyader déboula dans la chambre de sa fille. Son œil de flic vit la webcam, la boîte de médicaments, son contenu vidé sur le bureau, et Émilie livide désignant la porte en murmurant d’une voix blanche “Un homme, avec un couteau…”. Son cerveau de flic associa cette histoire aux deux meurtres de la journée, et il comprit immédiatement que sa fille n’allait pas bien du tout, qu’il était passé à côté de beaucoup de choses. Il s’adressa à elle en la regardant droit dans les yeux :  “Surtout, ne fais pas de connerie, je reviens. Ne me laisse pas tomber, je t’en supplie. Je t’aime.”

Jusqu’ici, il n’avait jamais dit “Je t’aime” à sa fille. Emilie fit “oui” de la tête.


Sur ce, il fila.


Une fois dehors, il regarda à gauche, puis à droite, et vit un homme courir au loin, dans la lumière des lampadaires. Il le prit en chasse, prenant soin d'avancer dans les zones non éclairées pour ne pas se faire repérer par le fuyard qui avait déjà ralenti sa course, croyant probablement qu’il n’était pas poursuivi. À grandes enjambées, Marc parvint à réduire la distance, quand tout à coup, le suspect bifurqua à droite et disparut de son champ de vision.  Il accéléra.

Lorsqu’il parvint à l’endroit où le fuyard avait tourné, Le Guyader s’arrêta. Une petite villa en granit se trouvait là, au bout d’une longue allée de graviers. Y était-il entré ou s’était-il enfui par derrière ? Était-ce la maison du tueur ? Il n’avait pas le choix, il fallait y pénétrer pour en avoir le cœur net. Il sortit son flingue, s’approcha lentement et, sans faire de bruit, ouvrit la porte d’entrée.

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