Confidences

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Ma journée terminée, je rentre chez moi d'un pas enjoué. La perspective de ma soirée avec Dimitri me donne des ailes. S'il n'y avait pas autant de monde dans la rue, je crois que je danserais et sauterais partout ! Les gens qui me croisent, me fixent avec un air un peu surpris. Lorsque je croise un regard, je remarque un léger sourire se dessiner. C'est étrange, mais j'ai l'impression que ma bonne humeur est contagieuse. Ce sentiment est plutôt agréable !

Un peu plus loin, un homme âgé que je n'ai jamais rencontré, me croise à l'angle de ma rue. Il m'interpelle : « Mademoiselle ! Vous avez un sourire à faire pâlir les anges ! » Sa voix rocailleuse trahit un passé de fumeur acharné. Son visage est d'ailleurs parcheminé de taches brunes. Son compliment me déstabilise un peu. Mal à l'aise, je le remercie timidement avant que mon regard ne fuie ses yeux pour se visser à mes chaussures. Mes pieds accélèrent légèrement jusqu'à la porte de mon immeuble. Une fois à l'intérieur, je vérifie machinalement ma boîte aux lettres. Sans que je puisse l'expliquer, le vieux fumeur m'a fait peur. Une petite voix me souffle que cette personne est malsaine. Grimpant les marches deux à deux, je retrouve le confort sécurisant de mon appartement.

Je fais un peu de ménage avant de recevoir la visite de mon géant blond. J'ai retrouvé ma bonne humeur grâce un petit message de sa part : Ma journée n'en finit plus de s'allonger ! J'ai l'impression que ma montre ralentit à chaque fois que je la regarde. J'ai hâte de vous retrouver ce soir. Le rock'n'roll rebondit sur les murs de mon trois pièces, me traversant de ses ondes de folie ! Je me trémousse sur du Elvis Presley, mon balai en guise de micro. J'exécute des pas de twist en poussant la poussière, quand mon téléphone choisit de joindre ses notes à l'ambiance musicale. Tiens ! C'est Caroline ! Je décroche avant de baisser le son :

  • Salut ma belle ! dit-elle avec enthousiasme. Dis-moi tout ! Je veux tout savoir !
  • Coucou ! C'est que maintenant que tu te réveilles ? la taquinais-je.
  • Tu es injuste ! se plaint-elle. J'ai passé toute la journée en formation pour le boulot avec un tortionnaire ! Quand j'ai reçu ton message, il est devenu tout vert, et m'a ordonné d'éteindre mon téléphone.
  • Mais tu exagères là ! Il ne pouvait être aussi méchant que ça ! Tu te cherches une excuse, lui dis-je pour la faire mariner un peu plus.
  • Non. Je t'assure ! Je viens juste de rentrer. Ne me fais pas attendre plus longtemps, supplie-t-elle. Dis-moi, tu sais très bien que je ne sais pas deviner !
  • Bon d'accord ! J'ai revu Dimitri.
  • Le demi-dieu grec ? Quand ça ? Que s'est-il passé ? Aller ! Raconte ! Me demande-t-elle tout excitée.

Je lui raconte notre dîner de la veille et ma frustration suite à son départ précipité. Puis je lui fais part de notre déjeuner ce midi, en lui cachant les détails beaucoup trop intimes. Je me surprends à rougir à ces pensées. Je termine en lui avouant mon impatience de le revoir ce soir. Et bien entendu elle ne peut pas s'empêcher de me donner ses impressions :

  • Je trouve ça génial, tu es enfin sortie de ton cocon... Mais tu ne vas pas un peu trop vite ? Moi, je pensais que tu prendrais exemple sur moi pendant quelque temps avant de tomber amoureuse !
  • Mais de quoi tu parles ? Je ne suis pas amoureuse ! Je le connais à peine, m'offusquais-je.
  • Attention à ce que tu dis ma belle ! Tu oublies que je te connais mieux que personne sur cette terre ! Ça fait à peine une semaine que tu l'as rencontré et tu as déjà couché deux fois avec lui, ce qui ne te ressemble pas ! En plus, tu t'entends parler de lui ? Tu me dis que t'es impatiente de le revoir, qu'il est beau, qu'il est charmeur, attentionné... Sérieusement ! Je peux presque te voir rougir à travers le téléphone. Tu m'entends Léa ? Soit prudente, je t'en pris ! Je ne veux pas te ramasser à la petite cuillère encore une fois.
  • ... Tu penses vraiment ce que tu viens de dire ? Tu crois que je suis en train de tomber amoureuse ?
  • Je pense chaque mot ! m'assure-t-elle avec un sérieux que je ne lui connais pas.
  • Qu'est-ce que tu me conseilles ? demandais-je abasourdie.
  • Si tu veux le voir ce soir, fais ce que tu veux, mais promets-moi que tu laisseras ta libido au placard. Poses-lui un tas de questions personnelles pour mieux te faire une idée. Et une fois qu'il en aura marre de répondre, tu le reconduis gentiment à la porte avec un doux baiser pour qu'il ait envie de te revoir.
  • Mais qui êtes-vous madame ? Qu'avez-vous fait de Caroline ? dis-je pour me remettre de son élan de sagesse.
  • Ne te fous pas de moi ! Je sais être sérieuse quand il faut ! S'il te plaît, suis mon conseil. Et appelle-moi demain. Promets-le-moi.
  • D'accord ! Je te promets que je t'appelle demain. Merci oh grand sage pour tes précieux conseils, dis-je sur un ton exagéré.
  • Ouais ! C'est ça ! Pour une fois ça change, mais ne compte pas sur moi pour tenir ce rôle tout le temps ! Il ne me va pas au teint ! s'exclame-t-elle en riant de bon cœur.

Après avoir raccroché, je me rembrunis un peu. Est-ce que Caroline a raison ? Peut-on tomber amoureux en une semaine ? Je m'avance vers la chaîne hifi et je choisis de la musique plus sage. Du classique pour m'aider à réfléchir. Allongée sur le canapé, je fixe une tâche au plafond en repensant à ce que venait de me dire ma meilleure amie. Elle a peur que je reproduise ce que j'ai vécu avec mon ex. Je me suis assez torturée, lamenté sur le fait qu'il m'ait trompé, cherchant une raison à ses actes. Mais aujourd'hui je suis juste convaincue que c'est un salaud. Je ne peux pas dire si je tombe amoureuse de Dimitri. Caroline a raison sur un point : je ne le connais presque pas... Je m'emballe trop vite ! Comme avec Bastien ! À l'époque, j'étais en quête d'émancipation familiale, mais la solitude est pesante lorsqu'on se retrouve vraiment seul. Je n'avais pas beaucoup de fréquentations, et Bastien était là, insistant, mais tout de même sympa. Ce que j'ai été naïve ! Il m'a fallu une bonne dose de souffrance avant d'avoir le courage d'affronter ma peur de la solitude.

Décidé à ne pas reproduire les erreurs du passé, je me redresse brusquement. Ce soir, pas de maquillage, des habits décontractés et je suis les conseils du sage Caro ! Je me dirige vers la cuisine pour préparer mon dîner.

Mon téléviseur crache des notes d'une émission musicale alors que je m'installe sur le canapé pour déguster une crème au chocolat. J'ai détaché mes cheveux, mais ils ont pris un pli bizarre à cause du chignon. Je les laverais bien, mais il est bientôt vingt et une heures. Ce n'est que quelques minutes après que l'on sonne à ma porte.

J'observe mon visiteur à travers le judas. Il ne s'est pas changé depuis notre déjeuner. Avant que mes pensées ne dérivent vers notre intermède torride, je me ressaisis en inspirant un grand coup. J'ouvre la porte avec un sourire timide alors que Dimitri me sourit franchement. Il m'adresse un doux « Bonsoir Léa », et je m'efface pour le laisser entrer. Il m'offre ses lèvres en un baiser tendre avant d'aller s'installer dans le canapé.

Je me sens un peu perdue entre l'avertissement de Caroline et ce que je ressens en présence de cet homme. Il a dû remarquer mon trouble car il me demande :

  • Est-ce que tout va bien ?
  • Oui, ce n'est rien, affirmais-je en lui souriant.
  • Vous paraissez si sérieuse ce soir. Quelque chose vous préoccupe ? m'interroge-t-il.
  • Rappelez-vous votre promesse ! dis-je en m'asseyant à ses côtés sur le divan. J'attends de comprendre pourquoi vous êtes partis comme un voleur hier soir.
  • Vous avez raison. Je ne sais pas par quoi commencer, déclare-t-il en repoussant une mèche blonde.
  • Commencez par me dire de quoi souffre votre mère, suggérais-je.
  • Eh bien, les médecins qualifient ça de dépression chronique et de troubles paranoïaques, mais ce sont des termes barbares. Son passé est la cause de ses soucis. Elle a eu une enfance difficile doublée d'un mauvais mariage.

Il fait une pause avant de reprendre le visage grave.

  • La vie s'est acharnée à détruire son moral avec beaucoup de violence ! Elle a déjà tenté de se suicider, confit-il les yeux rivés sur ses pieds. Son moral semblait pourtant s'améliorer depuis que nous nous sommes installés ici. »

Face à cette révélation, je ne sais pas comment réagir. J'ai l'impression que je vais le perdre, alors je glisse ma main sur son genou. Il relève les yeux vers les miens et j'essaye une autre question :

  • Que s'est-il passé hier soir ? Pourquoi vous a-t-elle appelée ?
  • Elle... Elle a pensé voir quelqu'un au bas de l'immeuble, hésite-t-il.
  • Qui ça ?
  • Un homme du passé... Qui ne devait jamais réapparaître. J'ai vérifié tout le quartier. J'ai même questionné les voisins, mais personne ne l'a vu, dit-il le regard fuyant à nouveau.
  • Il faisait nuit, elle a sûrement aperçu un passant, rassurais-je en pressant doucement son genou.
  • Attention ! Ma mère n'est pas folle comme le prétendent certains psychiatres, s'énerve-t-il en me dévisageant.
  • Ce n'est pas ce que j'ai dit.

Je l'observe attentivement. Ses traits sont crispés par l'inquiétude. Deux rides se sont formées entre ses deux sourcils froncés. Il est très attaché à sa mère visiblement. Je fouille son regard. Je cherche le Dimitri doux et avenant que j'ai rencontré quelques jours plus tôt. Celui qui se tient à côté de moi semble en colère et perdu. J'attends patiemment qu'il se calme avant d'oser demander :

  • De qui, votre mère a-t-elle peur ? De qui voulez-vous la protéger ? murmurais-je pour ne pas le brusquer.
  • ...
  • Écoutez, l'autre jour, je me suis confié à vous, et je suis contente que vous le fassiez à votre tour. Si c'est trop dur à dire, je ne vous en voudrai pas, ajoutais-je plus froidement que voulu.
  • Léa, je ne sais pas si...
  • Ne vous en faites pas, affirmais-je en me levant un peu vexée.

Il me retient par la main le regard paniqué. Il m'attire vers le canapé avant de lancer :

« Il s'agit de mon père. »

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