Chapitre 45 : Recommencer

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Du côté de Zenfei, la situation avait l’air sereine. Grâce à Whckl, Seth semblait retrouver sa bonne humeur. Néanmoins, l’absence de sa mère ne paraissait pas facile au quotidien. Il apprit tant bien que mal à subsister sans elle depuis qu’il pratiquait l’arkball. Il parvenait ainsi à canaliser sa colère et l’expulser. Whckl incarnait un véritable modèle pour lui. Ses grands-parents se sentaient un peu délaissés, mais tant qu’il demeurait heureux, cela leur suffisait. Seth alla aux côtés de Whckl à sa première rencontre au stade Magnark. Il n’avait jamais rien vu ou ressenti quelque chose d’aussi vivant. Les cris de la foule faisaient vibrer l’atmosphère. L’entrée sur le terrain de chaque équipe se trouvait épique. Elles jouaient leurs hymnes d’introduction avec une performance digne des plus grandes œuvres orchestrales qui alimentaient la renommée de l’Opéra de Zenfei. Le public demeurait en émoi le plus complet alors que les affrontements n’avaient pas encore commencé. Et pourtant, il s’agissait bien d’une compétition sportive et non musicale.

Draggar retourna sur les lieux de son ancien poste avec Glisa et Baryton. À son arrivée sur l’île, il ne souhaitait pas reprendre sa vie d’avant la Liste Noire. Mais après toutes ces années, l’art lui manquait. Et l’engouement de son fils pour la dramaturgie le poussait à remettre le pied à l’étrier. La principale crainte qui l’empêchait de réincarner Stanton Baum, sa lointaine et véritable identité reposait sur le fait qu’il ne voulait pas faire face de nouveau à la mort de sa femme. Mais depuis sa confrontation avec la bête de Bovrag, il réussit à effectuer le deuil de cette dernière. Désormais, plus rien ne le retenait. Lorsque lui et son fils franchirent le hall d’entrée de l’opéra, Baryton reconnut au loin le guide qui l’avait accueilli la fois précédente. Celui-ci accompagnait une foule de touristes. Ensemble, ils réalisèrent le tour de l’édifice. Comme à l’accoutumée, la visite se termina devant la fierté des lieux.

— Afin de ponctuer notre circuit, je vais pour présenter le bureau vacant du directeur, déclara le guide.

Alors que lui et son groupe arrivèrent à proximité des doubles portes, il ne revint pas de ce qu’il vit.

— Monsieur Baum ! Est-ce bien vous ? questionna-t-il stupéfait.

— Stanton Baum, pour vous servir, répondit-il. Veuillez me pardonner, je me trouve incapable de remettre votre nom.

— Mesdames, messieurs, permettez-moi de vous annoncer que vous assistez au plus grand des privilèges : rencontrer le seul, l’unique, le directeur de l’Opéra de Zenfei, clama-t-il jovialement.

Après le départ du groupe de touristes, le guide revint à la rencontre de Stanton. Il n’arrivait pas à le croire. Il ne pensait pas le revoir un jour. Draggar justifia sa disparition et celles de ses enfants, mais jugea bon d’omettre les détails concernant la Liste Noire. Il put reprendre possession de son logement de fonction situé dans l’aile adjacente à son bureau. Leurs affaires paraissaient intactes. Glisa et Baryton redécouvrirent la maison de leur jeunesse. Au fur et à mesure de l’exploration, les souvenirs se ravivèrent. Le moment que redoutait le plus Draggar arriva. Il se tenait droit, en face du lit parental. Il semblait encore pouvoir percevoir l’empreinte de sa femme dans les draps. Il s’allongea et ferma les yeux.

Seysus n’osait pas s’aventurer à l’extérieur de la maison familiale. La peur d’être reconnu paraissait trop forte. Pour l’aider, le docteur Bramanion décida de jouer de ses relations à la polyclinique. Il connaissait une spécialiste de l’esthétique en chirurgie. Il la consulta pour trouver une solution peu invasive pour modifier l’apparence de Seysus. Elle lui recommanda l’usage de lentilles de verre de couleur. Ils demeuraient simples d’utilisation et faciles à poser à même la cornée. Les yeux représentaient la principale caractéristique pour déterminer l’identité d’une personne. Elle lui confia une paire de bonnettes vertes. À son retour au domicile, Seysus les essaya. Le résultat s’avéra stupéfiant. Il devint méconnaissable. Celui-ci pouvait enfin agir sereinement au sein de la ville.

Chacun semblait avoir trouvé sa place au sein de leur nouvelle vie à Zenfei. Malgré tout, ils ne devaient pas perdre de vue leur mission. Ils demeuraient les renforts pour permettre l’exfiltration d’Aniah, Seneth et Wain. Accessoirement, ils devaient s’attendre à livrer des combats. Whckl n’avait pas besoin de se faire prier. Il ne possédait qu’une envie : se venger de Zoobohz. Pendant que son petit protégé se trouvait à l’école, il continuait de perfectionner ses talents de protéistes. Sa forme exaltée requérait énormément de ressources pour être maintenue. Son temps record sous cette évolution restait de plus ou moins deux minutes. Après maintes reprises, Whckl comprit qu’il devait gérer un problème de puissance. Il devait réussir à stabiliser ses constantes vitales pour parvenir à pérenniser cette métamorphose et ne pas se vider ses réserves d’énergie.

— Puis-je me joindre à toi ? lança Draggar.

— Tu n’es pas censé travailler ? rétorqua Whckl.

— Argh ! Je demeure trop vieux pour ces choses-là, répondit-il. Ce n’est plus pour moi de rester enfermé dans un bureau. J’ai besoin d’espace. Je suis en train de passer le flambeau à Baryton.

C’était donc à deux qu’ils menaient leurs entraînements.

Seysus paraissait égaré au beau milieu de la ville. Il se retrouvait à errer seul, sans but. Il avait certes regagné sa liberté, mais il avait perdu le sens de sa vie. Malgré le fait qu’il vivait avec sa famille, il ne pouvait pas s’empêcher d’éprouver de la solitude. Il ne se sentait pas aimer en tant qu’individu ni même apprécier pour la personne qu’il demeurait au-delà du lien du sang. Seysus déprimait. Et contrairement à Whckl, lui ne savait pas combattre. Il avait l’impression de paraître un boulet. Les autres devaient s’occuper de lui, et il se révélait parfaitement inutile. Sa situation le pesait tellement qu’il envisagea le suicide. Il se rendit au sommet de la tour du Temple de Mwrida. Une fois arrivé tout en haut, il s’avança sur le rebord, prêt à sauter.

— Allons, Seysus, la journée s’annonce beaucoup trop belle pour qu’elle s’arrête maintenant, déclara une voix approchante.

— Qui est là ? demanda-t-il paniqué.

Glisa se trouvait assise non loin d’ici. Elle adorait les points d’observation en hauteur. Zenfei demeurait une ville magnifique. Elle descendit de son perchoir et partit à la rencontre de Seysus.

— Allez ! viens, suis-moi, lança-t-elle.

— Où veux-tu m’emmener ? s’enquit-il.

— Te ramener sur terre évidemment, répondit-elle amusée.

Glisa aussi paraissait troublée depuis son arrivée à Zenfei. Elle ne vivait pas très bien son changement de statut en tant que sœur de Baryton et fille de Draggar. Elle avait besoin de beaucoup de recul. Hormis ces deux-là, elle n’avait rien dans la vie non plus. Pas d’emploi, pas d’identité propre, et elle n’avait pas eu le temps d’établir les choses au clair avec Arch. Elle semblait déjà tout savoir de Seysus, sans même qu’il n’ait eu l’occasion de lui raconter ce qui le tracasser. Compte tenu de son récent passé, elle devinait parfaitement ce qu’il ressentait en ce moment.

— Permets-moi de te donner une suggestion, ne gâche pas cette occasion, partagea Glisa. Dans la vie, on a rarement la chance de pouvoir tout recommencer de zéro. Tu peux devenir qui tu veux. Oublie ton histoire et écris ton avenir, lui conseilla-t-elle.

Seysus fut saisi par les propos de Glisa. Il ressentait pour la première fois de l’attention sincère. La journée demeurait effectivement splendide pour que tout s’arrête maintenant.

Baryton se trouvait aux anges. Même dans le plus beau de ses rêves il n’aurait jamais imaginé incarner le directeur de l’Opéra de Zenfei. Mais avant d’assumer à plein temps cette fonction, il souhaitait s’adonner à sa passion. Une nouvelle pièce de théâtre paraissait en préparation dans laquelle il tiendrait certainement le premier rôle. Nul doute que la notoriété de son père lui avait permis de le favoriser par rapport aux autres candidats. Il répétait tous les jours sans relâche, et parfois même seul tout au long de la nuit. Il donnait l’impression de ne vivre que pour cette représentation, à un point tel qu’il avait oublié la raison pour laquelle il était venu à Zenfei.

Draggar poursuivait son entraînement avec Whckl. L’étendue de ses capacités de shamans le surprenait. L’acquisition de la Bête de Bovrag en tant que fantôme gardien fit de lui un guerrier plus que redoutable. Mais il éprouvait beaucoup de mal à maîtriser cet esprit. La quantité d’énergie spirituelle nécessaire pour faire appel à ses pouvoirs demeurait bien trop grande pour lui. Il se retrouvait dans la même situation qu’avait connue Arch auparavant, alors qu’il combattait le terrible Sauren aux côtés de Mwrida.

— Dis-moi Draggar, j’aimerais savoir une chose. Comment as-tu fait pour persuader ce monstre de te suivre ? questionna Whckl curieux.

— Cela ne s’avérait pas très compliqué. À la base, je suis parti l’affronter pour effectuer le deuil de ma femme. J’en avais besoin si je voulais reprendre mon ancienne vie. Notre combat sembla interminable et éprouvant. Finalement, j’ai réussi à obtenir l’avantage, mais celui-ci ne comptait pas abandonner tant qu’il n’était pas mort. Lorsqu’il décéda, son corps sombra au fin fond de l’océan. Durant le trajet retour, son esprit apparut à bord, comme si de rien n’était. Il voulait me remercier de l’avoir libéré de sa situation, car il se trouvait prisonnier de ces eaux depuis bien trop longtemps. Dès lors, il décida de me suivre et me protéger, raconta Draggar.

— Ah ! Je vois. Lui as-tu demandé s’il se souvenait vous avoir attaqués, toi et ta famille ? interrogea Whckl.

Celui-ci mit en avant un point très intéressant. Désormais, la bête lui appartenait. Il pouvait simplement fusionner son âme à la sienne et parcourir sa mémoire. Mais comme évoqué précédemment, l’esprit de son gardien demeurait très puissant et requérait beaucoup d’énergie spirituelle. Il devait affûter sa maîtrise pour lui permettre d’en gérer une plus grande quantité. Et il en aurait besoin d’encore plus s’il souhaitait vraiment explorer les souvenirs de son fantôme. Pour l’heure, il parvenait à maintenir une fusion stable pendant une dizaine de secondes. C’était bien loin de paraître suffisant.

Seysus se cherchait. Il pouvait devenir qui il voulait. Il n’avait pas la moindre idée de qui pourrait lui faire envie. Pour commencer, il se rendit à l’opéra pour découvrir cet univers. Il se mit à observer Baryton chaque jour. Il trouvait impressionnant le travail de celui-ci. Il le connaissait et il était ébloui par sa capacité à incarner une autre personnalité.

— Tu veux t’essayer à la dramaturgie ? demanda Glisa qui adorait regarder son frère sur scène.

— Je ne sais pas, en le voyant, cela à l’air facile. Mais, je ne crois pas pouvoir réussir à m’exprimer devant une vraie audience, répondit-il.

— Allons, tu n’as même pas expérimenté, rétorqua-t-elle.

— Tu penses que je peux le faire ? questionna-t-il peu confiant.

— Bien évidemment ! Le contraire semblerait totalement étonnant, clama-t-elle

Avec le soutien de Glisa, Seysus décida de tenter sa chance. Baryton était ravi de l’aider dans sa démarche. Depuis que Draggar avait quitté le poste de directeur, l’engouement du peuple pour les œuvres de la scène avait grandement faibli. En tant que successeur, le fils de celui-ci souhaitait se montrer digne en redorant le blason du sixième art. Durant sa vie à la Liste Noire, il avait composé çà et là des scénarios pour du théâtre. Il rêverait de pouvoir les réaliser. Avec Seysus à ses côtés, il sentait qu’il pouvait le concrétiser. Il avait également pu toujours compter sur le soutien indéfectible de sa sœur.

Comme chaque soir, avant de rentrer à la maison, Draggar aimait se détendre dans les fauteuils confortables du parterre à contempler Baryton, s’épanouir sur scène. Mais pour la première fois, il ressentit quelque chose d’étrange. Il semblait détecter la présence d’une personne avec une aura spirituelle très forte. Ses entraînements lui permirent d’aiguiser ses sens et percevoir plus précisément son environnement. Il partit inspecter les alentours. Arrivé près des balcons, il perdit toutes traces, il ne discernait plus rien. En revanche, il vit au sol une lettre. Cette dernière comportait un dessin d’un jeune garçon. Draggar n’avait pas la moindre idée de qui il était. En tout cas, la situation demeurait très étrange.

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