Chapitre 18 : Amour ou amitié ?

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Un contre-la-montre était lancé. Seysus ne disposait que de quelques secondes pour tenter de la sauver. Il avala la centaine de mètres qui le séparait de l’arbre monte-charge en une douzaine de secondes. Cette fois-ci, il ne pouvait pas aller plus vite que le mécanisme d’ascenseur. Il dut prendre son mal en patience. Cela faisait déjà une vingtaine de secondes et il n’avait toujours pas atteint la surface. Il priait pour qu’elle tienne encore un peu plus longtemps, il n’allait plus tarder. Une fois à l’extérieur, il plongea immédiatement en direction de Glisa. Malgré le fait qu’il était bon coureur, sous l’eau son agilité ne rivalisait pas avec celle de Seneth. Il commençait à l’apercevoir au fond du lac. Il se saisit de ses bras et les passa autour de son cou. Il nagea aussi rapidement qu’il le pouvait quand il sentit ses forces l’abandonner.

Non, est-ce la fin ? se demanda-t-il. Pardon, Glisa, je ne me suis pas montré à la hauteur.

Soudain, il ressentit une pression qui était en train de s’exercer sur sa main gauche. Seneth les remontait à la surface.

— Humpf ! Il s’en est fallu de peu, hein ! lança Seneth en reprenant son souffle.

Arch les rejoignit. Il tenta de réanimer Glisa. Après plusieurs essais infructueux, elle n’avait toujours pas repris connaissance. Il ne s’avouait pas encore vaincu et continua tant bien que mal à la faire respirer. Cela faisait déjà plus d’une minute qu’il avait commencé les gestes de secourisme. Hélas, aucune réaction de sa part. Dans un élan de colère, il arma son poing pour frapper le sol. Au même moment, il perdit l’équilibre et heurta de toutes ses forces l’abdomen de Glisa. Le choc provoqua une remontée d’eau qui s’évacua par sa bouche pour lui permettre de respirer à nouveau.

— Glisa ! hurla Arch. Ce que tu m’as fait peur !

Elle reprit lentement son souffle. Seysus et Seneth retournèrent à la maison afin de leur laisser un peu d’intimité. Arch comprit la pleine mesure de l’étendue de ses sentiments pour elle pendant qu’il tentait de la sauver. Il était plus que déterminé à lui avouer ce qu’il ressentait.

— Ah ! se plaignit Glisa, mon ventre, il me fait mal.

— Hé hé, rit Arch gêné, c’est de ma faute, je m’efforçais de te réanimer et je me suis emporté. Au moins, ça t’a remis sur pied, déclara-t-il en laissant s’échapper une larme qu’il essayait de retenir.

— Est-ce que tout va bien, Arch ? demanda-t-elle inquiète.

— Oui, évidemment ! Pourquoi ? répliqua-t-il plein d’orgueil.

Lui qui, quelques secondes auparavant, s’était juré de lui avouer ce qu’il ressentait pour elle, se retrouvait à présent à fuir ses sentiments.

— Tais-toi ! Embrasse-là ! entendait-on au loin.

Arch reconnut la voix de Seneth et Seysus. Alors qu’il tergiversait, Glisa en profita pour lui voler un baiser.

Arch resta muet.

— Arrête de te prendre la tête et laisse-toi aller. Je l’ai vu dans tes yeux alors ce n’est pas la peine de te voiler la face. S’il te plaît, montre-moi que je ne suis pas la seule de nous deux à le vouloir, implora-t-elle.

Arch semblait avoir entre les mains la clef de son avenir. Glisa lui avait ouvert son cœur, mais lui paraissait resté impassible. Au moment où il daigna s’exprimer, elle s’évanouit, encore affaiblie par sa chute dans le lac. Arch la prit dans ses bras et retrouva le chemin de la maison. Sur le retour, sa tête devenait le siège d’innombrables questionnements. Il ne savait pas pourquoi il hésitait alors que lui aussi désirait plus que tout passer sa vie à ses côtés.

— Quelqu’un que j’admire m’a raconté une fois qu’il se contentait de cueillir le jour sans se préoccuper du reste, rapporta Seneth. Je pense que tu devrais suivre son exemple.

— Ah, j’ai l’impression que ces paroles m’ont l’air familières, répliqua Arch en souriant.

— Tu ne t’es jamais dit que si toi et Glisa étiez restés amis si longtemps c’est parce qu’inconsciemment, maman faisait partie de votre relation, souligna-t-il.

Arch arrêta soudainement sa marche. Il regarda attentivement le visage de Glisa. Il n’avait jamais remarqué que physiquement, elles se ressemblaient grandement. Son fils avait probablement raison, il souffrait potentiellement d’un blocage émotionnel.

— Est-ce que… ça va ? s’enquit Seneth.

— Je crois que tu viens de m’ouvrir les yeux, déclara Arch. Glisa et ta mère sont des personnes étrangement semblables. J’imagine que tout ce temps, j’avais l’impression de continuer à vivre à ses côtés. À présent, je suis perdu.

— Je pense qu’en réalité, tu commences à te rendre compte que tu t’avères capable d’aimer à nouveau, indépendamment de ce que tu éprouves et as connu avec ma mère. Et je suis le premier à te le dire, tu ne dois rien à personne, suis ton cœur et non ta tête. Saisis cette occasion de vivre heureux, l’encouragea Seneth.

Les paroles de son fils résonnaient en lui. Il reprit sa marche en direction de la maison avec Glisa dans les bras. Seneth devança son père afin de le laisser faire la part des choses. Il ne voulait pas lui forcer la main. Pendant ce temps, Seysus avait préparé de quoi manger. Une fois rentré, Arch alla mettre Glisa au lit pour qu’elle puisse se reposer. Il ne la quitta pas et resta à son chevet alors que les jeunes étaient en train de déjeuner.

Les heures passèrent. Fatigué par la faim, Arch s’assoupit aux côtés de Glisa. C’était à se demander qui se tenait au chevet de qui. Finalement, c’est Glisa qui se réveilla la première. Malgré les non-dits, le comportement d’Arch en disait long. Elle trouvait cela curieux, car en général, on constatait plutôt l’inverse. Les gens ressentaient plus de difficulté à prouver leurs sentiments qu’à les énoncer. Une chose paraissait sûre, cet évènement avait bouleversé leur relation. Elle se leva et sortit du lit. En quittant la pièce, elle entendit un grondement, le ventre d’Arch émettait des gargouillis. En rejoignant la salle de vie, elle croisa Seysus.

— Merci de m’avoir secourue, je me sens infiniment reconnaissante, déclara-t-elle.

— Oh ! Pas besoin de me remercier, c’est parfaitement normal. N’importe qui en aurait fait autant, répliqua-t-il gêné. Disons que je me trouvais là, au bon endroit, au bon moment. Et puis pour être honnête, c’était un travail d’équipe. Seneth nous a sortis de l’eau, car je suis un piètre nageur, avoua-t-il en rigolant. Ensuite, Arch s’est chargé de te réanimer.

Elle le serra dans ses bras pour lui montrer à quel point elle se sentait redevable. Seneth, qui était sur le point de rentrer, fit furtivement demi-tour à la vue de la scène sentimentale. Il s’enfuit, car ce genre de situation le mettait mal à l’aise. En sortant de la maison, il aperçut au loin une silhouette qui disparut aussitôt. Il ne lui accorda pas plus d’attention et continua en direction du ponton pour s’adonner à sa nouvelle passion, la pêche. Arch se réveilla de sa sieste impromptue tiraillé par la faim. Il se rendit à la salle à manger pour prendre quelque chose à grignoter. Alors qu’il cherchait des restes, des bruits de fracas résonnèrent à l’extérieur. Tous sortirent précipitamment. Seneth se trouvait en plein combat avec quelqu’un. Arch accourut et attaqua violemment l’opposant de son fils. Le coup porté força l’adversaire à reculer.

— Arrêtez ! cria Glisa.

Tout le monde s’exécuta en réponse à son intervention.

— Tu as retrouvé la mémoire à ce que je vois, c’est bien ma fille, déclara l’inconnu.

— Un membre d’Apex, constata Arch. Que veux-tu ?

— Moi ? Je viens simplement chercher ma fille, répondit-il.

— Et qu’est-ce qui te fait croire un seul instant qu’elle va te suivre ? demanda Seneth.

— Eh bien, je te retourne la question. Qu’est-ce qui te fait croire qu’elle ne va pas me suivre ? interrogea-t-il.

— C’est donc toi qui l’as poussée dans l’eau, affirma Seysus.

— Allez savoir… soupira-t-il d’un air désintéressé. Bref, trêve de bavardage, laissez-nous partir tranquillement et il ne vous sera fait aucun mal. Plutôt honnête comme proposition, ne trouvez-vous pas ?

— Si je peux me permettre une suggestion, rentre paisiblement d’où tu viens et il ne te sera fait aucun mal, répliqua Seneth.

— Cessez vos enfantillages ! ordonna Glisa. Acceptez son offre… Je n’aimerais pas que quelque chose vous arrive. Et encore moins si je devais en être l’auteure.

— Ah ! au fait, avant de passer pour un impoli, je ne vous ai pas remercié de l’avoir sauvée de la noyade, quelque chose a perturbé son processus d’éveil. Merci à vous !

Glisa se joignit à leur opposant. Arch ne s’était pas manifesté au cours de la conversation. Il semblait sous le choc. Le changement inopiné de comportement, de celle dont il s’apprêtait à révéler ses sentiments, s’avérait certainement la cause. À ses côtés, son fils et son neveu attendaient une réaction de sa part pour agir. La remarque qu’avait clamée Arch concernant l’appartenance de cet inconnu au rang d’Apex indiquait que ce dernier demeurait un adversaire plus que redoutable. C’était d’ailleurs pour cela que les garçons n’osaient pas se lancer sans son aval.

— Laissez-les partir, ordonna Arch.

— Mais enfin ! s’exclamèrent les deux jeunes.

— Aussi étrange que cela puisse paraître, j’ai toujours foi en elle, confia Arch.

— Tu vois bien que ce n’est plus la même personne, se désola Seysus.

— Une seconde, nous devons nous calmer et réfléchir à la situation, proposa Seneth.

Ce dernier avait raison. Ils devaient analyser à tête reposée les évènements de la journée.

Comme à son habitude, Glisa était partie parcourir la flore ambiante, du moins on le pensait. Puis, de manière soudaine, elle s’était mise à sombrer dans les eaux du lac. Après l’avoir secouru, ils l’avaient transportée à l’abri à la demeure. Alors qu’Arch veillait sur elle, un mystérieux individu rôdait dans les environs et avait fini par s’en prendre à Seneth. Arch avait indiqué que celui-ci appartenait à la guilde Apex. Selon les propos de cet inconnu, Glisa semblerait sa fille, et il était venu la « réveiller ». Toujours d’après ses dires, son éveil aurait dû se produire au moment de sa chute dans le lac, mais quelque chose avait l’air d’altérer ce processus.

— Pourtant, ce matin, quand elle est descendue chercher à manger, elle paraissait tout à fait normale. Elle m’a même embrassé pour me remercier de l’avoir sauvée plus tôt. Mais notre câlin s’avérait étonnamment long, comme si l’on se voyait pour la dernière fois, raconta Seysus.

— Effectivement, en rentrant, j’ai surpris vos échanges de tendresses, confirma Seneth.

— Pendant que nous affrontions cet étrange personnage, ses paroles semblaient sèches et à la fois emplies d’émotions, décrivit Seneth. Et puis, si l’on tient compte du fait que son « processus d’éveil » s’est mal déroulé, cela a dû débloquer son esprit et plus particulièrement sa mémoire sans pour autant l’aliéner.

— Un peu comme si quelque chose de terrible s’était produit et qu’à présent, l’heure de la vengeance avait sonné, pensa Arch. Je la connais trop bien et je la sais capable de ne rien nous dire pour nous protéger.

— Si vos hypothèses s’avèrent exactes, la question à laquelle on devait répondre paraissait : que nous cache-t-elle ? conclut Seysus.

— Nous ne détenons qu’un seul indice, le membre de la guilde d’Apex, constata Seneth.

— C’est toujours mieux que rien, affirma Arch. À l’heure qu’il est, ils ne doivent pas se trouver bien loin. S’il est venu « réactiver » l’agent qui sommeille en Glisa, cela signifie que l’objectif de leur mission doit se situer dans les environs.

— Mais une chose me tracasse, comment a-t-il retrouvé Glisa ? partagea Seneth. Le territoire de la Liste Noire reste le plus secret et le plus dissimulé qui soit. C’est impossible qu’il l’ait repérée par hasard.

— Tu soulèves là un point intéressant, s’étonna Arch. Très bien, répartissons-nous les tâches. Seysus, tu te charges d’aller prévenir la guilde de la situation et vois si tu peux trouver des informations supplémentaires. Seneth quant à toi, tu vas t’occuper de découvrir comment il a fait pour la retrouver, n’hésite pas à retourner la demeure de fond en comble, il n’y a pas de petits indices, répliqua-t-il.

— Et toi, qu’est-ce que tu prépares ? demanda Seysus.

— Ça me paraît simple, je vais la ramener à la maison ! révéla Arch.

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