Chapitre 16 : Cette menace est bien réelle

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Alors que pointait l’aube, Arch se trouvait déjà levé. Il n’avait pas réellement fermé l’œil de la nuit. Le voyage l’inquiétait, car il venait tout juste de quitter le lieu de leur destination. Toutefois, l’Opéra de Zenfei se situait dans la zone portuaire, peu après les quais, dans un espace reculé, leur niveau d’exposition s’avérerait relativement faible. Cela leur permettrait également d’agir rapidement. Baryton s’approcha de la cabane de sa cousine.

— Arch ! Debout, il est l’heure de lever les voiles, scanda-t-il.

Sorti des ténèbres, un oreiller fendit les airs de manière fulgurante terminant sa course en plein dans la tête de celui-ci.

— Mais tu vas te taire avec ta voix angoissante ! hurla Glisa. Il y en a qui dorment !

— Ah, elle tient la forme dès le matin, ta douce cousine, lança Arch apparu de nulle part l’air de rien.

Baryton resta silencieux. Il se mit en route. Arch le suivit sans comprendre ce qu’il s’était passé entre les cousins.

Les deux se rendirent au havre de la guilde. Ils descendirent de la canopée et continuèrent leur progression à travers les sentiers de la jungle. Arch semblait reconnaître les environs. Il aperçut au loin la cascade de laquelle il avait chuté. Ils se dirigeaient effectivement vers elle, plus précisément en direction du lac dans lequel elle se jetait.

La Liste Noire avait découvert que l’eau qui paraissait s’y reposer alimentait un fleuve souterrain. En effet, la zone géographique où il se situait se trouvait approximativement à quatre cents mètres au-dessus de la mer. Au milieu de cette étendue trônait fièrement un immense arbre sur un tout petit îlot de terre.

— Tu te sens prêt pour un bain matinal, mon cher Arch ? demanda malicieusement Baryton.

— J’imagine que l’on doit rejoindre ce feuillu là-bas d’après ce que je peux voir, conclut Arch.

Alors que celui-ci se jetait à l’eau pour rallier cet arbre, Baryton se dirigeait vers un amas de lianes derrière lui pour y dénicher une embarcation. Il la tira jusque sur le lac et s’installa à son bord. Il navigua et salua Arch tout en le dépassant. Au moment où il le doubla, Arch se mit volontairement à nager plus lentement dans le but de l’agacer. Ceci l’exaspéra un peu, mais il fit comme si de rien n’était. Il arriva au pied de l’arbre, sec et souriant. Arch le rejoignit quelques minutes plus tard.

— Ah, rien de tel qu’un peu d’exercice pour se réveiller, lança Arch.

Comme pour l’ascension de la canopée, il frappa un rythme sur le tronc. Cette fois-ci, une partie de l’écorce se dématérialisa laissant apparaître un passage abritant un monte-charge. Celui-ci les conduisit sous terre. Une fois descendus, ils arrivèrent dans un bosquet. Arch fut surpris, c’était étrangement lumineux pour un sous-sol. En réalité, le fond du lac avait la propriété étonnante de demeurer totalement transparent, permettant ainsi aux rayons du soleil de traverser. Qui aurait imaginé que l’on puisse trouver une forêt sous une jungle ? On pouvait d’ailleurs apercevoir le fleuve souterrain s’écouler à proximité. Sur un bord de son lit, il y avait une maison et un ponton. Au loin, un bateau s’approchait.

— Voilà le capitaine, pile à l’heure, annonça Baryton.

Le navire apponta. Un grand homme barbu sortit de l’ombre des voiles.

— Vous êtes prêt à braver l’océan, moussaillons ? demanda le capitaine d’une voix grave.

— Nous ne nous tiendrions pas présents sinon, mon cher Draggar, répondit Baryton.

— Ah ah ! Baryton, ça faisait longtemps, indiqua-t-il.

— Hélas, Glisa a décidé de visiter Woccid et de ce fait je veille sur elle, expliqua Bayton.

— Bien, en tout cas, ça me fait plaisir de te revoir, gamin. Pendant que vous vous trouvez à terre, vous pouvez charger à bord la marchandise sous le porche, déclara-t-il.

Le bateau fin prêt à partir, Draggar leva l’ancre. Ils se laissaient porter par le courant du fleuve. Pendant le voyage, Draggar et Baryton discutèrent de l’art de la navigation. Arch quant à lui, ne semblait pas familier avec ce domaine. Il se joignit donc à leur conversation afin de le découvrir. Il avait appris pourquoi la Liste Noire avait autorisé cette expédition. En réalité, tous les membres de cette guilde n’étaient pas des hérétiques, Glisa, Draggar et Baryton demeuraient les exceptions.

Lors d’une de ces précédentes missions, Draggar avait trouvé au beau milieu de l’océan de Bovrag des restes d’une embarcation complètement disloquée. Parmi les débris et les corps qui flottaient à la surface, il aperçut deux petites silhouettes sur une grande structure, Glisa et Baryton. Draggar les avait recueillis avec lui dans ce havre sous le lac. Il les avait élevés comme ses propres enfants. N’étant pas officiellement un ennemi de l’Ordre de Mwrida, Baryton avait donc pu obtenir l’autorisation de se rendre à Zenfei. Ainsi, Draggar l’y emmènerait et Arch le guiderait sur place.

Le bateau atteignit l’océan de Bovrag en sortant de terre par une grotte sur la côte est. Ils filèrent à présent en direction de l’île de Zenfei. Pendant la traversée, Arch eut le droit à un cours détaillé de navigation en haute mer. Ils devaient compter un peu plus de sept jours de voyage devant eux, de quoi permettre à Arch de devenir à son tour un capitaine respectable. Il reçut également des leçons de pêche. Ce fut donc sans encombre qu’ils parvinrent à rallier le port de Zenfei.

Ils accostèrent dans un endroit reclus parce que même si Baryton n’avait rien à craindre, Arch ne pouvait pas en dire autant. Ils étaient arrivés durant la matinée. Souhaitant opérer en toute discrétion, ils avaient jugé bon d’attendre la tombée de la nuit pour agir. Draggar retourna dans sa cabine se reposer. Arch quant à lui s’essayait à la pêche des premières heures du jour. Baryton alla explorer la ville, car c’était la première fois qu’il s’y trouvait. Il effectua le tour de la zone portuaire. Il y repéra le stade Magnark que l’on ne pouvait pas rater et plus important encore, l’opéra. Il en profita pour aller découvrir le bâtiment. Il pénétra dans le hall d’accueil. Les représentations avaient lieu uniquement le soir. La journée s’avérait consacrée à un musée dédié à l’art et l’histoire de Zenfei. Baryton tenait là la chance d’en apprendre plus son père.

— Bonjour ! cher visiteur, souhaitez-vous un guide pour vous conduire durant votre tour ? demanda un employé.

— Ma foi, cela me semble une excellente idée, confirma Baryton.

Un individu vint donc à la rencontre de Baryton afin de démarrer le tour. Il commença par lui conter l’histoire de l’opéra. Ils arrivèrent devant une immense double porte.

— Ici, derrière ces portes en bois précieux, se trouve le bureau d’un des plus grands directeurs qu’a pu connaître cet opéra, Stanton Baum, annonça l’accompagnateur.

— Le bureau s’avère-t-il accessible aux visiteurs ? demanda Baryton avec une voix pleine d’émotion.

— Il représente notre attraction phare, répondit-il en ouvrant la voie. Après vous, jeune homme.

Ce dernier resta admiratif devant la beauté du décor. Il venait de réaliser son rêve en découvrant cet univers. Finalement, en pénétrant dans cette pièce, il avait accompli sa quête. Il avait lu dans un des ouvrages de son père que rien ne paraissait plus précieux que les souvenirs. Ils se trouvaient propres à chacun. On ne pouvait pas en être dépossédé. Les biens matériels ne représentaient que des renvois vers eux. Sans réminiscence, s’accrocher à des reliques semblait inutile, car elles n’avaient aucun sens, aucune signification. Baryton en profita pour se créer une collection de souvenirs. Il s’en alla, le cœur battant, ainsi que le visage empli d’émotion.

L’heure de retourner au siège de la Liste Noire était arrivée. Il quitta l’opéra et se retira vers les quais. Il leur annonça que plus rien ne les retenait. Ils se préparèrent donc à lever l’ancre. Ils attendirent le midi comme tout le monde était en train de manger, ils pourraient mettre les voiles en catimini. Les voilà repartis pour une semaine de traversée. La mission s’avéra un succès. Arch s’en trouvait un peu déçu. Il avait brillé par son inutilité. Malgré tout, il n’avait pas effectué le voyage pour rien, il avait appris la navigation et la pêche. D’ailleurs, il profita du trajet retour pour appliquer ses connaissances et se perfectionner.

Comme à l’aller, le temps resta calme et paisible. Draggar laissa donc Arch être le capitaine pour ce retour d’expédition. Il était plutôt satisfait de voir qu’il était un bon pédagogue. Son mousse se débrouillait bien pour une première fois. Ils se situaient à environ deux jours du continent. Durant la soirée, alors que tout le monde dormait, Draggar se tenait debout sur le pont. Il semblait perplexe et la météo lui donnait raison. La mer commençait à s’agiter. Un épais manteau nuageux noir couvrait l’horizon. Une tempête avait l’air de se préparer. Et pourtant, Draggar restait impassible, comme s’il attendait quelque chose d’encore plus redoutable. Soudainement, le ciel se calma et s’éclaircit. Les eaux continuaient de se déchaîner. Des vagues monstrueuses se dressaient devant leur navire. Arch se réveilla.

— Que se passe-t-il Draggar ? demanda-t-il inquiet.

— Elle est de retour, déclara Draggar d’un ton grave.

Lorsque Draggar avait repéré Glisa et Baryton qui flottaient à la dérive sur l’océan, il se situait également à moins de deux jours du continent. Il en avait connu des tempêtes, et aucune n’avait la force nécessaire pour mettre un bateau dans l’état dans lequel se trouvait celui des deux orphelins. Ses soupçons étaient sur le point de se vérifier. Il avait toujours pensé que seule une bête avait pu causer autant de ravages. Malheureusement, il risquait d’en être la victime. Arch se précipita en direction de Baryton afin de le réveiller. Si Draggar avait raison, ils devaient se préparer au pire. Pendant que Baryton se levait, quelque chose de monumental émergea de l’eau. À cause de l’obscurité de la nuit, on n’apercevait qu’une immense silhouette.

— Tenez-vous bien, ça va secouer ! hurla Draggar.

Un tentacule de la bête s’abattit violemment à côté du navire qui vacilla de toute part. Tout comme Arch, Draggar était un shaman. Il se saisit de la barre et son corps se mit à luire. Un énorme canon sortit de la figure de proue. L’ennemi se trouvait en pleine ligne de mire. Un terrible éclat sonore détonna. Une explosion frappa l’immense silhouette. Elle commença à sombrer lentement dans l’eau.

— Tu l’as eue ? demanda Arch.

— Je ne pense pas qu’un seul coup paraisse suffisant pour terrasser un monstre pareil, confia Draggar.

À la surprise de tous, l’océan retrouva son calme. Toutefois, ce ne fut que d’un œil que nos trois marins dormirent. Fatigués par les évènements de la nuit, ils ne se réveillèrent qu’au zénith. Draggar se saisit de sa longue-vue et aperçut au loin la faune de la jungle. Ils se trouvaient à présent à moins d’une journée du continent. Ils se mirent à pêcher afin de pouvoir déjeuner et recouvrer des forces.

— Hé hé, ça mord ! nargua Arch.

Il remonta sa ligne afin d’admirer sa prise. Une fois sorti de l’eau, un énorme tentacule fit surface. À peine eurent-ils le temps de réfléchir que la bête avait déjà étreint le navire et tentait de l’entraîner avec elle dans les profondeurs de l’océan. Le bâtiment se fracassa en deux. Arch fut séparé de ses compagnons qui se situaient à présent sur l’autre partie. Après quelques instants, cette dernière se retrouva engloutie. Arch restait seul sur son bloc qui flottait à la dérive. Un débris projeté par les tentacules retomba sur sa tête. Le coup l’assomma et lui fit perdre connaissance. À son réveil, il se trouvait dans la cabane de Glisa. Elle l’avait secouru alors qu’elle attendait leur retour. En voyant l’état d’Arch, elle conclut qu’elle avait perdu son cousin et son père adoptif.

En apprenant cette histoire, Seysus et Seneth avaient l’air encore moins sereins qu’auparavant. De plus, d’après les estimations effectuées par Arch, ils se situaient à environ deux jours du continent. À présent, ils comprenaient pourquoi Arch restait aussi méfiant. Se retrouver face à cette bête, et à deux reprises, cela avait dû paraître les pires moments de sa vie.

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