Chapitre 10.1

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Axel pianote sur le bureau, les pensées tourbillonnant sous son crâne. Ses yeux se posent sur Maddy et la vision de l’enfant paisiblement endormie la rassure. La couleur a repris possession de ses joues rondes depuis son réveil, dix jours plus tôt, et son corps ne gardera presque aucune cicatrice visible de l’attaque. Son esprit, cependant… Les souvenirs sont lourds pour sa petite tête d’enfant et le coeur d’Axel se serre en songeant aux cauchemars qui hantent les nuits de Maddy. Cette dernière ne trouve le repos que si sa chère protectrice est présente. Axel tend la main, caressant le front de l’enfant pour repousser une mèche derrière son oreille. Le contact tire un sourire inconscient à la fillette.

La jeune femme, une main posée sur le dos de Maddy, retourne à son document. Les chiffres sont accablants : les réserves de médicaments, notamment, sont au plus bas. Elle soupire. Le ravitaillement prévu la semaine passée n’est jamais arrivé. Axel se tend à nouveau alors que le souvenir des dernières nouvelles parvenues au village remonte à la surface. En effet, peu après l’attaque, l’équipe envoyée vérifier les Boucliers les plus proches est revenue avec des informations pour le moins perturbantes : les maisons étaient vides chez les deux premiers agents en faction, et dans la troisième se trouvait le cadavre du dernier. Depuis, des missions de repérage avaient été lancées chez les Boucliers plus lointains, et jusqu’à présent les retours étaient tous les mêmes : morts ou disparus, les habitations dévalisées, les documents évaporés.

Pour Axel, Tanysha et Antoine, le doute n’est plus permis : l’Organisation s’est lancée dans une opération de grande envergure. Les Dames savaient, de toute évidence, que les Boucliers envoyaient des nouvelles toutes les semaines pour confirmer leur survie et que l’absence de réponse ferait naître des soupçons, risquant la révélation des documents qu’elles voulaient tant garder secrets. Elles les ont donc tout attaqué en même temps, puis ont lancé le drone avant que la semaine ne passe. Tout a été minutieusement préparé. Trop minutieusement.

Que l’Organisation ait une telle connaissance de leurs méthodes est, pour Axel, terrifiant. Comment est-ce possible ? Tanysha et Antoine se retrouvent à présent face à la plus grande des incompréhensions. Comment ? Eux qui pendant des mois ont construit leur réseau, ont tissé un maillage si épais autour du village qu’il en était devenu intouchable… Comment ?

La seule possibilité est de celles que personne n’ose proposer à voix haute tant elle paraît incongrue, même si tous songent à la même chose : il y a une taupe parmi eux.

Axel soupire. Quelle affreuse période. Elle pensait en avoir enfin terminé avec toutes ces histoires d’attaques, de meurtres. Elle se trouve maintenant bien naïve d’y avoir cru. La jeune femme se frotte la nuque, réprimant un bâillement. Il se fait tard. Elle se penche en avant pour glisser un bras sous Maddy et la coller contre elle, la soulève alors qu’elle se redresse. La tête de la fillette roule dans le creu de son cou, son souffle est chaud contre sa peau. Axel la serre un peu plus, attendrie, puis quitte la pièce avec son enfant toujours endormie.

Elle entre doucement dans le bureau directorial et Tanysha sourit en la voyant.

- Où est Antoine ? chuchote Axel, surprise. Je pensais qu’il serait là.

- Parti avec Keith, une histoire de disputes à régler. Il s’est porté volontaire, je pense qu’il avait besoin d’air.

Elle soupire.

- Je ne peux clairement pas lui jeter la première pierre, cette pièce est étouffante.

Axel serre les lèvres, évitant de regarder les photo épinglées aux murs. En effet, la vision des bâtiments détruits, des cadavres retrouvés, des maisons des Boucliers… Cet environnement constant avait de quoi perturber même l’esprit le plus fort. Elle les connaissait par coeur, ces images, à force de les décortiquer.

Remontant le petit corps mou de Maddy contre elle, Axel tend enfin le dossier qu’elle a préparé avec tant de minutie. Tanysha s’en empare, surprise, l’ouvre. Sa stupéfaction augmente encore quand elle comprend ce qu’elle tient. Elle soulève une feuille, observant de plus près les chiffres, puis lève un visage incrédule vers son amie.

- Tu veux monter une milice ?

Axel oppine, un peu hésitante.

- Je sais qu’en avoir une n’aurait rien changé à… à…

Elle déglutit avec difficulté, ses bras serrés autour de Maddy. Son regard s’affermit légèrement en même temps que sa voix.

- Cependant, nous avons perdu la protection des Boucliers. Les Dames de toute évidence ne nous laisseront pas tranquille. Nous avons besoin de… d’être prêt ! Et… au moins, ça pourrait occuper les esprits. Tu ne crois pas ?

Ses yeux sont fixés dans ceux de Tanysha, qui s’enfonce dans son fauteuil, les mains croisées sur le dossier. Finalement, elle soupire :

- Tu as raison, la milice pourrait contenir les ardeurs des uns et des autres.

Axel hoche la tête une nouvelle fois. Tout comme Tanysha, elle a en tête les disputes dont le nombre augmente chaque jour. Maddy marmonne quelques mots inintelligibles, les sourcils froncés, avant que son visage ne se lisse à nouveau.

- Tu as raison, répète Tanysha dans un chuchotement, une milice est une bonne idée. Tu as mon soutien. J’espère que ça sera efficace

Axel est soulagée. Elle avait eu peur que son amie ne comprenne pas la nécessité d’occuper tous ces hommes et toutes ces femmes dont l’esprit s’était échauffé après les derniers agissements de l’Organisation. Elle sourit à Tanysha, qui lui rend une grimace fatiguée bien qu’avenante, puis quitte enfin la mairie pour coucher Maddy dans son lit.

Je ne sais pas comment Dame Tanysha camoufla notre opération afin qu’elle semble à succès, mais le fait est que personne ne me regarda de travers et que je ne fus jamais appelée par Mistress Adèle, aussi je finis par me détendre.

Je croisais régulièrement la jeune femme dans les couloirs, mais nous ne ne nous parlions pas en dehors de la sécurité de la buanderie de mon étage. Là, Dame Tanysha me tenait au courant des affaires que je devais étudier, ou des missions qu’elle projetait de réaliser, avec ou sans mon concours. Peu à peu, notre relation s’assouplit et six mois plus tard, il n’était pas rare que je m’installe à côté d’elle une fois ma lessive terminée. Je tremblais en pensant à ce qui nous arriverait si jamais l’une de mes soeurs nous découvrait. Nous nous ferions probablement passer pour un couple, car, si les relations amoureuses étaient fortement dépréciées à la Maison, si aucun homme n’était impliqué, les Dames fermaient le plus souvent les yeux. De toute façon, tout serait mieux que de laisser entendre que nous complotions contre l’Organisation.

Les mois passèrent et nous ne fûmes jamais mises à jour. Je sortais régulièrement en mission, poussée par Dame Tanysha à ne rien changer de mes habitudes. Je les réalisais pourtant de plus en plus à contrecoeur, notamment lorsqu’il s’agissait de tout simplement détruire des vies. Pour la première fois de ma vie, je n’étais plus fière des cicatrices de ma main et je finis par remarquer que je les frottais souvent de mon autre main, comme pour les effacer. C’était ridicule, elles ne pouvaient pas s’effacer, tout comme les dégâts que je causais jour après jour.

- Axeline ?

Je sursautai, brusquement sortie de mes pensées. Levant la tête, je reconnus sans difficulté le visage rond et avenant de l’une de mes soeurs. Je me détendis.

- Heidi.

La tension regagna mes épaules quand je remarquai ce qu’elle tenait. La pile de dossiers en elle-même n’était pas spécialement menaçante, tas propres de dossiers gris. Non, c’était le dossier rouge à son sommet qui avait attiré mon attention. La couleur des missions. Je déglutis, espérant qu’il ne m’était pas destiné. Je ne me sentais pas prête à ôter une nouvelle vie.

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