Chapitre 7.2

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Mon jean me serrait. Je n'avais pas l'habitude d'en porter. Il collait à ma combinaison, la faisant frotter désagréablement contre ma peau. De même, mon tee-shirt semblait moulé sur ma poitrine. C'était gênant. Un homme se retourna alors que je le croisais sur le trottoir. Il siffla. Mon visage rougit. Je fus tentée de lui montrer ce qu'elle pouvait lui faire subir, la jolie jeune fille, mais Dame Tanysha m'avait demandé de rester discrète. Je crispai les poings et poursuivis mon chemin.

Le quartier était de plus en plus mal famé alors que je m'enfonçais entre les immeubles. Les rues étaient sales, peu entretenues, et les façades grises de crasse. Plusieurs fenêtres n'avaient pas de volets. Ew.

Enfin, je trouvai l'adresse donnée. L'hôtel était miteux, et pas qu’un peu. Il manquait des lettres à l’enseigne qui ne brillait plus, des traces de moisissures couraient sur le devant du bâtiment. Avalant mon dégoût, je parvins dans le hall. Sans prêter attention à la sorte de concierge derrière son comptoir, je gravis les escaliers jusqu'au premier étage. Là, il ne me fut pas complexe de craquer la serrure. La porte s'ouvrit grand, révélant le vide et le silence. Suspicieuse, je portai les doigts à ma ceinture avant de me rappeler que nous avions estimé que je ne devais pas emporter de pistolet afin de ne pas les effrayer. Fichtre.

Lentement, j'avançai dans la pièce. Je repoussai la porte. Levant les mains à hauteur de mes épaules pour montrer que je n'avais rien, j'attendis. Je savais qu'ils étaient là. Ils n’avaient pas eu le temps d’aller bien loin.

Je ne sais pas combien de temps je restai ainsi, immobile, me trouvant ridicule au possible, mais enfin, un son me parvint depuis la salle de bain. Celui de la sécurité d'une arme que l'on enlève. Je ne bougeai pas, me contentant d'espérer ne pas me prendre une balle. Imaginez la nécrologie : Axeline, seize ans, tuée par l'homme qu'elle essayait de sauver, trahissant ce faisant l'organisation qui l'a élevée. Quelle mort indigne !

- Je ne vous veux pas de mal. Je vous le promets. Je suis là pour vous aider.

- Vraiment ?

Je sursautai. Je ne m'étais pas attendue à entendre cette voix si proche. Lentement, je me retournai, gardant les mains en évidence. Me faisait face un homme pas loin de la quarantaine. Il était plutôt petit, mais avec des épaules très carrées, les muscles bien dessinés. Son visage était marqué par la fatigue et ses tempes grisonnaient déjà. Il tenait un pistolet de la main gauche, serrant la droite contre son torse. Son bras était enveloppé dans un bandage gris taché de sang.

- Vraiment. Je suis là pour vous faire évader. Donc si vous pouviez baisser votre pistolet...

Il fit la moue, l’air peu crédule. Je ne pouvais pas lui en vouloir, j'avais moi-même du mal à croire ce que je disais.

- Vous pouvez vérifier si vous voulez, je ne suis pas armée. Er, non, c’est faux, j'ai une dague dans ma botte, mais je ne m'en servirai pas.

Autant être précise avant qu'il ne vérifie. Le nez froncé, l'homme semblait ne pas savoir sur quel pied danser. Me croire, ne pas me croire ? Me faire confiance, ne pas me faire confiance ? Son regard parcourait mon corps. Ce n'était pas cette langue gluante que passaient les pervers dans la rue, rinçant leurs yeux sur mes formes féminines, mais le scan d'un expert. Son œil sautait de détails en détails, évaluant mes capacités et mes points faibles. Je ne pouvais qu'apprécier cette compétence. Il avait été bien formé.

Quand enfin le pistolet pointa vers le sol, un soupir quitta mes lèvres, dégonflant mes poumons. Avec précaution, je me décalai d'un pas.

- Vous êtes Keith, c'est bien ça ?

L'homme passa la langue sur ses lèvres, l'air indécis. Enfin, il hocha la tête.

- Et vous êtes une Dame, à n'en pas douter.

- En effet, répliquai-je vivement, et pourtant je suis là pour vous aider, alors ne sautons pas sur des conclusions hâtives.

Un faible sourire tendu éclaira un peu son visage aussi dur que du silex. Glissant son pistolet dans l’holster à sa ceinture, Keith éleva la voix :

- Tu peux sortir, Adrien.

Un bras maigre glissa de sous le lit, suivi par un garçon tout aussi mal nourri. C'était un enfant petit, osseux. Ses mèches noires étaient de longueurs irrégulières, certaines nettement plus courtes que d’autres, et elles lui tombaient sur le visage, assombrissant son visage creusé. Son dos était arrondi, sa tête baissée. Ses mouvements étaient fragiles, comme s'il avait peur de se briser–ou d’être brisé. La pâleur de sa peau me surprit. Je lui donnais six ans, peut-être sept.

Keith posa la main sur l'épaule de son fils.

- Vous dites venir nous aider ?

Je serrai les lèvres avant de hocher la tête. Oui, j'étais là pour les sortir de ce trou à rat. Je m'accroupis devant l'enfant et tendis la main vers lui en souriant d’une manière que j’espérais rassurante.

- Bonjour Adrien, je m'appelle Axeline.

Il se rétracta aussitôt, reculant précipitamment pour éviter mon contact. Il se cacha derrière Keith. Ses membres tremblaient. Confuse, je me redressai. L'homme était tendu, les poings serrés, comme s’il était prêt à me frapper pour m’empêcher d’avancer d’un centimètre de plus.

- Ne vous approchez pas de lui, ne le touchez pas, siffla-t-il d’une voix soudainement plus acérée.

Les dents serrées dans l’espoir de cacher ma surprise mon incompréhension, je hochai la tête.

- On doit partir. Une voiture nous attend un peu plus loin. Nous devons la retrouver afin de rejoindre la planque. Là, on vous soignera, Keith, avant de finir les préparatifs de votre départ vers l'Allemagne. Ensuite vous voyagerez de pays en pays, mais on n’en est pas encore là. Allez, rassemblez vos affaires et on y va ! Le temps est compté !

Mon ton était un peu sec mais je ne voulais pas tout faire capoter. Nous étions déjà bien plus lents que prévu. Après un instant d'hésitation, Keith glissa quelques mots à l'oreille de son fils qui courut chercher un sac pour y fourrer ses maigres possessions. Son père l'imita.

Bientôt, nous étions prêts.

Axel respire fort. Tanysha et Antoine sont assis derrière leurs bureaux respectifs. Elle s'approche à grandes enjambées de son amie, frappant sur le plateau.

- Tu m'avais dit qu'on serait en sécurité.

Tanysha ouvre la bouche mais Axel ne lui laisse pas le temps de répondre.

- Tu m'avais dit qu'on serait en sécurité, que l'Organisation ne pouvait pas nous atteindre ici.

Son poing cogne encore. Et encore. Ça fait mal, mais la douleur lui est nécessaire. Elle doit extérioriser. Ses doigts lui semblent palpiter, mais l’élancement n’égale pas la détresse qu’elle ressent. Ses mouvements projettent des gouttelettes de sang sur les papiers qu'étudiait Tanysha. D’où vient-il ? Distraitement, elle note que la peau de ses coudes est plus endommagée qu’elle ne l’avait pensé au prime abord. Qu’importe.

Du coin de l'œil, Axel voit Antoine se lever et contourner son bureau. Et alors ?

- Comment vous avez pu laisser ça arriver ? Comment ?

La main du jeune homme se pose doucement sur son épaule. Ses genoux cèdent sous son poids, comme si le contact avait déclenché quelque chose en elle. Antoine la retient, l’enveloppant de ses bras. Elle enfonce son visage dans son tee-shirt. Soudainement, toute l'angoisse de la situation l’envahit et la submerge. Elle fond en larme. Il la serre un peu plus, alors que du regard il pousse Tanysha à ne pas bouger. La mâchoire de la jeune femme se clenche, mais elle obtempère. Ses doigts se croisent et se décroisent. Elle ne sait pas comment réagir. C'est la première fois qu'elle voit Axel céder de cette manière. Elle s’immobilise alors qu’une affreuse pensée vient s’installer dans son esprit. Elle attend cependant que la jeune femme se soit calmée. Une fois Axel assise dans un fauteuil, la main d'Antoine toujours sur l’épaule, elle demande d’un ton hésitant, espérant se tromper :

- Maddy ?

Axel se mord la lèvre. Elle essuie ses yeux rouges et hoche la tête. Sa voix est enrouée.

- Elle est vivante, elle est vivante mais… ils ne savent pas encore si elle va se réveiller. Les chirurgiens étaient toujours avec elle et… et je… je...

Elle a du mal à déglutir. Sa gorge lui fait mal. Tanysha et Antoine échangent un regard au-dessus de sa tête sans qu’elle n’y prête attention. Seule Maddy importe. Tanysha se penche au-dessus du bureau pour poser la main sur les doigts abîmés de son amie.

- Qu'est-ce qu'on peut faire ?

Axel avale sa salive. Avec une profonde inspiration, elle se redresse. Elle retire sa main de sous celle de Tanysha puis la pose sur son genou, étirant les doigts. La douleur qui fuse aiguillonne son esprit. Tant mieux, elle doit être alerte.

- Dites-moi ce qu'il s'est passé.

Tanysha recule sur son fauteuil. Axel ne l’avait pas remarqué, encore sous le choc, mais son visage est tiré par le chagrin, la colère et l’épuisement. Quand Antoine s'assit dans le siège voisin, gardant les doigts de la jeune femme entre les siens, elle note que ses cheveux sont en bataille, pendouillant dans tous les sens comme s'il avait plusieurs fois passé la main dedans. Tous les deux semblent tellement marqués qu’Axel s’en veut d'avoir craqué. Après tout, quelques dizaines d'enfants viennent de mourir alors qu'ils étaient sous leur responsabilité. Alors que l'endroit était supposément sûr.

- On ne sait pas exactement, répond enfin Tanysha. Personne n’a vu venir le drone avant qu'il ne soit trop tard. Il a été envoyé par l’Organisation, c'est certain, mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Mais ce n'est pas le plus préoccupant.

Tanysha se tourne vers Antoine, l’enjoignant à prendre la parole. Il serre la main d’Axel avant de poursuivre :

- Aucun de nos agents externes n'ont réagi après l’attaque. C’est comme s'ils avaient tous disparu.

Axel cligne les yeux, peu sûre d'avoir bien entendu.

- Vous voulez dire que vous avez perdu contact avec nos Boucliers ?

Tanysha opine.

- Pas un signe de vie. Rien. Aucun document n'est paru alors que nous avons plusieurs fois lancés des appels à l’aide. Absolument rien.

La jeune femme fronce les sourcils, perturbée.

- Et vous n'avez pas reçu d'alertes, non plus ?

Son amie secoue la tête, tout aussi perdue :

- Rien. C’est comme s’ils avaient disparus.

- Vous avez envoyé des équipes chez les plus proches ?

- Oui, dès qu’il est devenu évident qu’aucune réponse de nous parvenait. Les premiers retours devraient arriver d’ici deux ou trois heures.

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