Chapitre 4.3

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- C'est fait ?

Je hochai la tête et grimpai dans la voiture. Le regard de Dame Tanysha me transperçait.

- Vous avez été longue, Damoiselle Axeline.

Je détournai les yeux pour fixer le paysage qui défilait derrière la fenêtre. Les murs de ce quartier étaient recouverts de graffitis colorés. C'était beau. Caractériel. Je déglutis avant de répondre :

-Le principal est que ça a été fait, non ? Bien fait, précisai-je.

Dame Tanysha me dévisagea d'un air suspicieux avant de se détendre imperceptiblement.

- Oui, en effet.

Le silence tomba comme un lourd drap entre nous. La Main conduisait fluidement mais nous finîmes bloqués dans des bouchons. Je gardais le regard rivé sur l'extérieur. Je sortais peu, même si mes missions étaient de plus en plus nombreuses depuis que je montais en expérience, et chaque fois que je le pouvais, j'admirais cette vie si libre. Je notai que le chauffeur avait un minuscule diamant tatoué dans la nuque. J'en fus surprise, c'était bien la première fois que je voyais un homme de l'Organisation avoir un signe distinctif. Cela semblait presque un geste de rébellion mais il était impossible qu'il l'ait fait sans la permission de sa Vigile, ne pouvant pas quitter leur local seul.

Dans la voiture voisine, un enfant jouait avec deux peluches. Il riait. Je trouvai cela mignon. Il avait l'âge de Damien. Mon sourire disparut. Je m'interrogeais encore sur mon geste. J'avais hésité. Pour la première fois, je n'avais pas mené une mission à bien. Pour la première fois depuis des années, je mentais à une Dame. Pour la première fois, je questionnais le bien fondé d'un geste ordonné. Je fronçai le front, tentant de remettre de l'ordre dans mes pensées. Je ne comprenais toujours pas pourquoi j'avais choisi de sauver mes cibles.

Un léger soupir traversa mes lèvres, faisant se retourner Dame Tanysha. D'un geste, je lui fis signe que ce n'était rien et elle reprit la lecture de son livre. Curieuse, je tentai de déchiffrer le titre. Quand ma responsable tourna la page, je pus le lire. Roméo et Juliette. J'étouffai un mouvement de surprise. Une romance. Dame Tanysha lisait... une romance. Choix... intéressant. Je ne savais même pas si nous avions le droit d'avoir des bouquins de ce genre. Je ne pense pas, ils auraient pu nous donner des idées.

Elle redressa la tête. Je croisai son regard et détournai le mien mais pas assez vite. A ma stupéfaction, Dame Tanysha eut un sourire. Elle leva son livre pour que je puisse mieux voir la couverture. C'était un couple, l'homme à terre, la femme sur un balcon, l'air amouraché. Beurk. Lentement, les yeux pétillants, la brune leva un doigt qu'elle plaça devant ses lèvres pour m'intimer au silence.

Elle se replongea dans sa lecture et moi dans ma contemplation du paysage.

Assise par terre, jambes repliées sous elle, Axel caresse doucement le dos de Maddy. Cette dernière se relève d'un coup. Elle plante son regard dans celui de son aînée.

- Dis, est-ce qu'on va rester ici ?

Dans ses yeux se lit la crainte de devoir fuir, comme elles ont fui pendant des mois, sans jamais rester plus de quelques semaines au même endroit. Avec un sourire doux, Axel pose sa main sur la joue de la petite.

- On reste ici, ne t'inquiète pas.

Apaisée, l'enfant s'allonge à nouveau. Axel remonte la couverture sous son menton. Elle tapote le bout de son nez, la faisant rire.

- Maintenant, dors, canaille. Je suis sûre que tu es fatiguée après avoir couru tout l'après-midi.

- Même pas vrai.

Un long bâillement la contredit immédiatement.

- Bon, d'accord, peut-être un peu, reconnaît Maddy.

- Tu veux que j'attende avec toi que le marchand de sable passe ?

Comme la fillette hoche la tête, Axel se réinstalle plus confortablement. Elle contemple le ciel étoilé par la fenêtre laissée ouverte. Cela fait bien longtemps qu'elle ne s'est pas sentie aussi libre.

La porte s'ouvre lentement, la faisant sursauter. La tête d'Antoine passe dans l’embrasure. Il lui fait signe de le rejoindre et repart aussi silencieusement qu'il est arrivé. Axel vérifie que sa protégée dort bien et ne fait pas semblant -mais une respiration aussi profonde ne se feint pas- avant de quitter la pièce à pas de loup. Elle quitte la petite maison. Comme elle le pensais, Antoine est là, l'attendant. Elle entoure son torse de ses bras, collant sa joue à son dos. Il sent bon, un mélange épicé qui rappelle ce qu'il a cuisiné ce soir. Il lâche un soupir de contentement.

- Je ne l'ai pas réveillée au moins ?

- Maddy est pire qu'une ourse en hibernation, rit Axel. Ne t'inquiète pas pour ça.

Ils s'assoient dans l'herbe légèrement humide. Le silence reprend ses droits. Quelques criquets solitaires jouent leur musique dans un coin, deux hiboux se renvoient la parole dans les arbres voisins. Au loin, les clarines des vaches retentissent toujours.

- Tu m'as manqué.

Axel sourit et pose sa main sur celle d'Antoine.

- Tu m'as manqué aussi, grand bêta.

Il secoue la tête comme un enfant content, ce qui amuse la jeune femme. Elle pousse gentiment son épaule.

- Quoi, tu pensais que ce n'était pas le cas ?

- Trois ans, c'est long, répond simplement Antoine. Et les sentiments sont fugaces.

Elle se rembrunit. C'est vrai que le temps a été long, même si elle ne l'a pas forcément vu passer, occupée comme elle était à assurer la survie de Maddy et leur fuite. Elle est contente que ce soit enfin fini.

- Pas suffisamment long, réplique Axel d'un ton sans appel, et pas suffisamment fugaces.

Elle sent son compagnon se détendre à côté d'elle. Avait-il vraiment été si inquiet ? Elle secoue la tête. Les garçons, franchement, ils ont peur pour un rien ! Antoine se retourne brusquement. Il attrape Axel, une main sur la nuque, et sa bouche happe la sienne. La jeune femme, contente qu'il ait décidé de faire le premier pas, s'abandonne dans ses bras. Ses doigts remontent le long de sa colonne vertébrale. Elle le sent frissonner contre elle. Puis soudainement, sa peau rencontre les petits bourrelets de chair.

Axel repousse Antoine, mettant fin au baiser. Essoufflé, le jeune homme détourne le regard.

- Enlève ton tee-shirt.

- Non, souffle-t-il.

Il est immobile. Il lève lentement les yeux vers Axel.

- S'il te plaît. Je dois voir.

Son ton implorant a raison de la volonté d'Antoine. Avec des gestes lents, il soulève le bord de son haut avant de le retirer complètement. Gardant l'habit dans son poing serré, il lui fait dos. Axel a le souffle coupé. Les larmes lui montent aux yeux. Elle avance une main tremblante vers son compagnon. Du bout des doigts, elle parcourt l'épais réseau de cicatrices. Antoine se retourne et prend les mains d'Axel dans les siennes. Elle lève des yeux humides vers lui.

- Je suis tellement désolée, murmure-t-elle.

- Ce n'est pas ta faute, rétorque Antoine en la serrant dans ses bras.

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