Chapitre 4.1

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- Il y a erreur, n'est-ce pas ?

Dame Tanysha plissa le front.

- Êtes-vous en train de sous-entendre que je me suis trompée de cible, Damoiselle Axeline ?

Sa voix avait un ton menaçant. J'ouvris la bouche mais ne trouvai rien à dire. Je regardai à nouveau la photo.

- Mais qu'ont-ils fait ?

Elle eut un vague geste de la main.

- Pas eux, la mère. On a besoin de la mère. Une autre équipe attend de l'autre côté du parc que vous ayez séparé les enfants de leur cible.

Je fronçai les sourcils. C'était bien la première fois que j'entendais parler d'un enlèvement. J'avais bien sûr participé à quelques missions de tortures, mais ça ? Jamais. L'élimination d'enfants pour garder l'adulte vivant, c'était une nouveauté pour moi. Je levai les yeux vers le square. Le garçon jouait, l'air innocent. Plus loin, assise sur un banc, une très jeune femme donnait son biberon à un enfançon. Elle aussi ne semblait pas bien coupable.

Dame Tanysha soupira et s'appuya contre son dossier.

- Dois-je regretter de vous avoir choisie, Damoiselle Axeline ?

Le souffle un peu court, je me mordis la joue.

- Non. J'en suis capable, ne craignez pas mon échec, il n'arrivera pas.

- Bien. Je vous suggère de sortir de la voiture maintenant, vos cibles ne vont pas tarder à s'en aller.

Dame Tanysha me tendit l'oreillette habituelle. Lèvres toujours pincées, j'enfonçai l'objet dans mon oreille et j'ouvris la portière. Un vent frais me frappa, s'enroulant sournoisement entre mes jambes pour soulever ma robe. Je la plaquai d'un geste nerveux. Ce que je m'apprêtais à faire... je n'arrivais pas à m'y résoudre. Tuer des enfants de sang froid. Ils n'avaient rien fait. Ils n'avaient rien demandé.

Je cherchai une stratégie possible. C'était plus compliqué que prévu, je ne savais rien des petits, rien de leurs envies, de leurs réactions. Ma seule idée fut de pénétrer le parc d'un pas flâneur. Nez en l'air, je regardai les oiseaux. Ils chantaient tous, comme si ce jour était beau. Je m'apprêtais à tuer deux innocents, comment la journée pouvait-elle être si douce ? Je secouai la tête. J'étais une Damoiselle. Je n'avais pas à réfléchir aux causes de mes ordres. Seulement à leur accomplissement. Si on me le demandait, il y avait une bonne raison. Je devais faire honneur à mon titre.

Je m’accroupis derrière un gros buisson, une dizaine de mètres dans le dos de la jeune femme. Je tâtai mes poches, faisant l’inventaire de mes maigres possessions. Ma dague était dans son fourreau, attachée à l’intérieur de ma cuisse et donc invisible. Mon petit pistolet, un beau Glock 33, lui tenait compagnie sur l’autre jambe. En outre, j’avais mon oreillette, guère utile en ces circonstances, et une dizaine d’euros.

Jetant un coup d’œil autour de moi, je m'évertuai à dénicher une idée. La mère venait de reposer son cadet dans la poussette, son regard protectivement posé sur son second rejeton. D’une main, elle balançait paisiblement le bébé. L’autre était doucement posée sur son ventre, son doigt décrivant de légers cercles sur le tissu fin. Je grimaçai. Je ne pouvais pas compter sur sa négligence. Ce serait plus complexe que je ne l’avais pensé au prime abord.

Je pinçai les lèvres. Mes pensées allaient vite mais pas assez. Puis une idée naquit, grandit et éclôt. Avant de l’avoir décidé, mon corps jaillit du buisson, courant vers la jeune femme. Elle tourna la tête vers moi, son sourire aimable disparaissant à mesure qu’elle lisait sur mon visage le sentiment d’urgence que j’essayais de lui communiquer. Je m’arrêtai près d’elle, faussement essoufflée. M’appuyant sur le banc, je commençai :

- Mon frère… blessé…

Elle leva une main, soucieuse et stoppa mon débit de paroles en fronçant les sourcils.

- Vous allez bien, jeune fille ?

- Mon frère… s’est blessé… Là-bas !

Je dressai la tête et jouai de mon âge. Quinze ans, c’est toujours innocent pour les gens du commun.

- S’il vous plaît, je ne sais pas quoi faire.

Stupéfaite, la jeune femme cligna des yeux puis quitta son banc.

- Damien !

L’enfant releva la tête, un sourire aux lèvres et accourut en entendant sa mère. Le visage préoccupé de cette dernière lui ôta sa mine joyeuse et il se pendit à son pantalon. Elle se tourna vers moi.

- Accompagnez moi à votre frère. Attendez !

Elle fouilla dans sa poche et sortit un téléphone qu’elle me tendit.

- Appelez les secours et montrez moi le chemin.

Sur le petit sentier, je remarquai la lippe tremblante du petit garçon et je m’en voulus un court instant de l’inquiéter mais la pensée resta fugace. Lorsque nous fûmes éloignés de la zone de jeu, enfoncés entre les arbres, je m’arrêtai. La jeune femme m’imita et les roues de la poussette crissèrent.

- Quoi ?

J’ouvris la bouche puis me ravisai. Finalement, j’articulai lentement :

- Je suis désolée.

- Désolée pour quoi ?

Mais avant même que le dernier mot l’ai quittée, j’avais enfoncé mon poing dans son ventre. L’air quitta ses poumons dans un bruit d’explosion et elle s'écroula à genoux, la bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau. Damien lâcha un cri surpris et effrayé. Pour plus de sûreté, je déchirai le bas de ma robe pour attacher ses mains et lui faire un bâillon de fortune mais elle ne pourrait pas crier avant une ou deux minutes. Le temps, je l’espérais, que l’autre équipe s’occupe d’elle.

Me relevant, je remarquai le regard apeuré et le visage humide de l’enfant. Je m’accroupis et tendis la main mais il recula.

- Damien ? Tu t’appelles bien Damien, n’est-ce-pas ?

Ma voix était aussi douce que possible pour ne pas effaroucher. Il hocha la tête, le pouce dans la bouche.

- Écoute, Damien, si tu viens avec moi, je t’offre pleins de bonbons. Ça te tente ?

Ses yeux s’emplirent d’envie. Ils se baissèrent vers sa mère, toujours étendue au sol.

-Mais maman ?

- Ta maman va aller bien, des gentils gens vont s'occuper d'elle.

- Mais...

- Bon, tu les veux tes bonbons, oui ou non ?

Encore une fois, sont regard se fixa sur la jeune femme à terre mais sa gourmandise avait déjà décidé pour lui et il prit ma main avec une confiance qui me surprit. Ce que ça pouvait être idiot un gosse de trois ans. Nous quittâmes les lieux. Le bébé dans la poussette ne semblait pas plus dérangé que son frère.

Je ne savais plus quoi faire. J'avais les gosses. Je devais les tuer, maintenant. Mais comment ?

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