Chapitre 1.2

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Au début, je ne compris pas vraiment que je venais d’être séparée de mes parents. J’avais six ans, c’est peu six ans, au final. À cet âge là, on peut donner sa confiance à n’importe qui. Alors imaginez un peu mon cas, être emportée par une femme qui avait été présente dès mes premiers souvenirs. Une gentille femme que j'affectionnais beaucoup. Presque un troisième parent.

Quand nous arrivâmes donc, je fus émerveillée par l'établissement. Il y avait des cheminées dans toutes les pièces, des longs couloirs à l’ambiance feutrée. La dame, gardant ma main dans la sienne, me guida dans ce labyrinthe. Nous parvînmes finalement face à une grosse porte de bois. Elle semblait lourde. Elle s'ouvrit seule. Nous entrâmes dans une jolie salle, un peu sombre pour mes goûts de l'époque, qui tiraient plus vers le rose bonbon et le bleu ciel que le groseille foncé, mais jolie tout de même. Il y avait peu de meubles. Un buffet verni sur lequel étaient posés un vase rempli de fleurs et une petite photo. J'étais trop loin pour la voir distinctement. Et au-dessus de ce buffet, accroché au mur, un portrait. Il représentait une femme d'âge moyen avec de grosses boucles brunes, au visage rond et aux yeux vert gris d'une puissance incroyable.

- Bienvenue, Axeline.

Je sursautai. Il y avait aussi un bureau. Et au bureau, la dame du portrait. Ma première pensée fut que ses yeux étaient encore plus impressionnants en vrai. Puis je me demandai pourquoi et comment elle connaissait mon nom. Enfin, je fus surprise de ne pas l’avoir remarquée plus tôt, puisqu’elle se tenait au centre même de la salle.

Mon accompagnatrice mit un genou à terre, comme les chevaliers dans les contes de fées.

- Mistress Adèle.

La dame se leva, les doigts collés à son bureau.

- Tu peux te relever, Dame Laurence. (Ses yeux verts se tournèrent vers la petite fille que j'étais) Bonjour, Axeline. Tu as fait bon voyage ?

Je hochai la tête, trop intimidée pour ouvrir la bouche. La main de Laurence quitta la mienne. Je cherchai vainement à la retenir mais déjà elle me poussait en avant. J'étais seule au milieu de la pièce. Sous l’œil de la Mistress. Je baissai le regard.

- Axeline. Relève la tête. (J'obéis, m'intimant de ne pas trembler. Elle ne semblait pas femme à contrarier) Si je te pose une question, tu réponds à voix haute, yeux dans les miens. Recommençons. As-tu fait bon voyage ?

- Oui, madame.

- Mistress Adèle.

- Oui, Mistress Adèle.

J'avais l'impression que sa vue allait plus loin que mes yeux, qu'elle pouvait traverser mon cerveau. C'était dérangeant. Effrayant même.

- Tant mieux.

Elle se rassit.

- Dame Laurence ici présente te montrera dans un instant où tu logeras. Dès demain, l'entraînement commence.

La Mistress nous congédia d'un mouvement de la main et se plongea dans la lecture des documents qui couvraient son bureau. Laurence s'inclina à nouveau. Moi, je tentai une sorte de révérence (complètement ratée d'ailleurs). Mon accompagnatrice me tira en arrière.

Nous sortîmes.

Laurence nous fit traverser encore bien des couloirs. J'étais de toute façon perdue depuis longtemps. Nous nous arrêtâmes quelques minutes plus tard pour pénétrer dans une salle presque accueillante. Il y avait une petite dizaine de lits, bien dressés. Autant de bureaux contre les murs. Au centre du mur principal, juste en face de la porte, une grande cheminée où dorait un feu. La seule tâche au tableau était l'absence totale de vie du dortoir.

- Tu es la première à arriver.

Laurence s'avança et s'assit sur le lit le plus proche de la porte. Elle tapota la place à côté d'elle. Je la rejoignis.

- La première pour quoi ?

Mes yeux pleins d'espoir étaient tournées vers elle. Ma seule connaissance ici. Mon seul repère.

- La récolte n'a commencé que ce matin. Tes camarades arriveront probablement dans la semaine. D'ici là, tu t'entraîneras seule.

Elle posa doucement une main sur ma joue ronde.

- S'entraîner ?

- Oui, s'entraîner. (Elle grimaça dans un mouvement d’impatience, l'air de ne pas trop apprécier devoir tout m'expliquer.) A partir de ce jour, tu es une novice. La novice Axeline, même si tu ne seras appelée que par ton nom. Tu vas être entraînée pendant un moment jusqu'à ce que tu atteignes le niveau pour devenir une Damoiselle. Et enfin, tu deviendras une Dame, comme moi.

- Ah bon ?

- Tu t'en sortiras. Elles verront. Notre lignée a toujours été pleine d'éclats. (Ses doigts frôlèrent ma mâchoire) Tu es ma mémoire, tu as un grand potentiel.

- C'est quoi une mémoire ?

Elle soupira, l'air de ne pas trop aimer mes questions. Pourtant, elle se leva, prit ma menotte et me mena à l'unique miroir de la salle.

- Tu vois comme on se ressemble ? Toi et moi, on est pareilles. Et quand je serai morte, tu seras toujours là pour rappeler mon souvenir et celui de notre lignée. Tu comprends ?

Non, je ne comprenais pas, mais j'étais fatiguée et Laurence semblait ne pas vouloir que je poursuive, alors je hochai la tête.

- On va manger. Tu reviendras dormir ici. Une longue journée t'attend demain. Tu les impressionneras, tu verras.

- Axel ?

- Oui, canaille ?

- Ils approchent.

La voix de Maddy tremble un peu. Ses yeux sont fixés sur une petite tablette. L'écran est découpé et des petites vidéo tournent. Des caméras de surveillance. Axel en place toujours autour de leur planque, il faut savoir à tout moment s'ils arrivent. Elle tend la main et Maddy lui donne le moniteur.

- On doit encore bouger. N'est-ce-pas ?

- Oui.

Axel s'agenouille pour être à la hauteur de la petite fille. Cette dernière lève des yeux tristes.

- On finira par les semer. Je te le promets. (Elle se relève) Maintenant, file chercher tes affaires. Ils seront là dans... (Son regard se tourne pensivement vers la tablette) quatre minutes. Peut-être trois.

Maddy court vers son lit. Elle saisit au passage un sac à dos doré, y fourre les quelques vêtements qu'elle a, l'ourson qui lui sert de doudou et un carnet avec l'aisance de celle qui a accompli plusieurs fois ces gestes. Axel l'imite et attrape la tablette.

- Sors par derrière. Tu connais le chemin. Je te retrouve deux rues plus loin, comme on s'est entraînées, d'accord ? Tu te rappelles du croisement ?

Maddy hoche frénétiquement la tête et part. Axel reste un instant immobile, les pensées tournoyant à toute vitesse sous son crâne. Il lui reste peu de temps. Elle saute en avant pour attraper quelques documents compromettants, les fourre sans ménagement dans son sac. Axel entrouvre la porte de devant, recule. Son regard examine la pièce. Elle vérifie qu’elles n’ont rien oublié. Il serait inutile de faire comme si la planque n’avait jamais été occupée aussi elle ne perd pas de temps à ranger. Non, il semblerait que tout ce qui pourrait les mener à elle a été emporté. Après un dernier coup d’œil, Axel quitte l’endroit par une petite trappe dérobée qu’elle ferme soigneusement.

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