Un concert à Paris I - Avant

6 minutes de lecture

18 juin, Paris, France, Europe.

La loge sentaient le saumon. Étrange odeur pour des coulisses. Un technicien qu'on avait dépêché avait bien essayé de régler le problème en absorbant le tout de désodorisant pour toilettes mais le tout rendait une senteur très désagréable pour le nez.

Les filles, toutes les cinq dans la même loge, faisaient de leur mieux pour éviter de respirer en attendant qu'on les délivre de cette horreur. Sun Mei jeta un coup d'œil à l'œuvre d'art contemporaine qui lui servait de montre. Il lui faudrait l'enlever en montant sur scène mais en attendant, elle préférait la garder. Encore un quart d'heure avant qu'elles ne montent sur scène. Comme les quatre autres membres de KOBSE, elle était vêtue d'une combinaison noire bustier avec une chemise de couleur pastel - verte pour elle - attachée au col par un unique bouton argenté. Ses cheveux sombres étaient ramenés en couronne de tresses et dégageaient sa nuque. Une de leurs maquilleuses – en l’occurrence, Meg Baxter, la sœur aînée du copain d'Honor qui travaillait avec elles depuis les débuts de KOBSE – avait délicatement glissé un pinceau sur ses paupières : une touche de doré et un trait noir et parfaitement exécuté pour appuyer le regard.

Sur une chaise à côté d'elle, Felicia lisait un livre. C'était un de ses favoris, celui qu'elle emmenait partout pour se calmer lorsqu'elle était stressée. Sun Mei se pencha au-dessus d'elle et commença à lire.

« La beauté de certains jours est un des ouvrages incontournables de notre siècle. Passer à côté, c'est comme refuser un croissant de la boulangère alors que l'on a oublié de petit-déjeuner. »

Sun Mei interrompit rapidement sa lecture : Felicia lisait la préface !

La jeune chinoise n'aimait pas lire. Il lui arrivait pourtant de le faire de temps à autre mais jamais avec un grand plaisir. Elle n'était même pas sûre d'avoir lu une seule introduction de toute sa vie  ; c'était toujours le passage qu'elle sautait. Ça et les remerciements.

Elle soupira et se renfonça dans son siège. Plus que vingt-cinq minutes, lui apprit le cadran.

Son téléphone vibra sur la table à ses côtés. Maisie venait de lui envoyer une photo. Elle se trouvait dans la loge des danseurs avec Margzetta, la petite Emmylou, Donovan et Graham. Leur entrée se faisait dans dix minutes :  ils chauffaient la scène avant l'arrivée du groupe tant attendue. Sur la photo, Maisie souriait, un pain aux raisins à la main. Sun Mei ne put se retenir de lâcher une exclamation :  Maisie lui avait promit qu'elle l'attendrait pour manger leurs premières viennoiseries françaises !

Blake lui jeta un regard dans la glace. Elle était encore en train de se faire coiffer. Fanny appliquait la bombe de laque pour fixer sa chevelure.

— Sun Mei. Rassieds-toi.

Elle avait lu dans les pensées de son amie. Sun Mei leva les yeux au ciel.

— Je vais juste traverser le couloir, voir Maisie et je reviens juste après :  j'en ai pour cinq minutes top chrono.

— Cecil a dit : vous ne bougez pas d'ici. Donc, on ne bouge pas d'ici. Il n'y a pas à faire plus compliqué !

— Mais...

— Non, c'est non.

Ekaterina leva les yeux de son magazine.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.

Se penchant vers elle, Honor lui résuma rapidement la situation à voix basse :

— Sun Mei veut faire le mur pour aller voir sa femme mais Blake dit qu'elle n'a pas le droit.

— Mais elle n'a qu'à y aller si elle veut !

— Cecil a demandé qu'on ne sorte sous aucun prétexte.

— Elle peut très bien sortir, si elle veux. Il n'y a pas une de nous qui ira cafter.

Honor hocha la tête, presque sidérée de l'entendre parler en faveur de son ennemie jurée d'alors. Sun Mei se tourna brusquement vers elle. Elle les avait entendu parler.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai bien le droit d'avoir envie de voir ma femme ! À l'époque, ça ne te gênait pas de t’éclipser au milieu d'une répétition pour bécoter ton copain.

Elle flirtait avec l'agressivité. Ekaterina se raidit sur son fauteuil. Elle haussa seulement les épaules.

— Je disais seulement que tu devrais y aller si tu en as envie. Personne ne te balancera.

— Oh.

Sun Mei en fut étonnée. En temps normal, Ekaterina et elle se lançaient des piques à longueur de journée sans jamais s'excuser. Qu'elle soit de son côté était un phénomène extraordinaire. Elle voulut ajouter quelque chose – sans doute pour s'excuser d'avoir répondu si méchamment – mais Ekaterina la coupa dans son élan :

— Si tu veux y aller, c'est le moment. Après ça ne sera plus la peine !

Elle balança son doigt en direction de l'horloge murale qui égrenait les secondes jusqu'à l'heure fatidique où le show commencera.

— Tu as treize minutes avant que Cecil ou un de ses grouillots de service ne débarque ici.

D'un bref coup d'œil, Sun Mei la remercia mais Ekaterina était déjà retournée à son magazine. Elle sortit de la loge en ouvrant tout doucement la porte. Le couloir était libre. Elle s'avança à pas de velours et toqua une fois à la porte d'en face.

Elle entendait des voix de l'autre côté. La porte s'ouvrit enfin sur le visage chargé de tâches de rousseurs d'Emmylou.

— Sun Mei ? Qu'est que tu...

La jeune chinoise ne la laissa pas finir. Elle entra dans la loge des danseurs.

Dans la pièce d'en face, il manquait une chanteuse. Mais une des coiffeuses était encore sur place. L'horloge tournait. Aucune pause pour le temps. Il continue sa route inlassablement.

Felicia continuait de lire cette préface qu'elle connaissait pourtant par cœur. Cela calmait les battements frénétiques qu'elle ressentait au fond d'elle. Après toute ces années, elle n'arrivait toujours pas à réaliser. Elle avait souvent besoin du piqûre de rappel qui soit là pour lui dire :  « Tu n'as plus rien à prouver. »

Honor était nerveuse. Ses doigts tapaient ses cuisses en rythme. Elle n'avait pas le trac. Ou peut-être un peu, comme à chaque fois, même ce n'était pas ce qui la préoccupait à cet instant. Elle venait de recevoir un texto d'Edward qui l'inquiétait légèrement. Que se passait-il ? Il ne répondait pas à ses appels, ignorait la plupart de ses messages et venait même d'annuler le voyage à Paris qu'il avait prévu pour la retrouver à la sortie du concert. Cela faisait pourtant plus de deux mois qu'ils ne s'étaient pas vus. Elle le trouvait vraiment étrange. Elle sortit son téléphone et griffonna une réponse :  « Il va falloir qu'on ai une discussion. »

Blake observait son reflet dans la glace tandis que derrière elle, Fanny rangeait les outils qui avaient servis à faire des merveilles capillaires. Était-ce vraiment son visage ? Ces lèvres, ces yeux ronds, ces cheveux disciplinés en couronne, ce cou fin qui ressortait du col de sa chemise lila, tout ce qu'elle voyait était-il sensé être elle ? Elle secoua la tête. Bien sûr que c'était elle. Pour se donner du courage, elle murmura son mantra contre le stress :  « Je m'appelle Blake Sky Grace Taylor-Ellis et tout va bien se passer. »

Ekaterina lisait un second magazine après avoir terminé le précédent. Son regard s'était arrêté en même temps que son cœur, sur une photo de Maya Andrea et Andris en vacances. Elle le savait, pourtant. Elle avait suivi l’ascension des deux amoureux derrière un magazine ou un téléviseur. Mais cette image avait tout d'un cliché officiel – celui qu'on envoyait sur les cartes de vœux de la nouvelle année – et ça rendait tout plus terriblement réel. La photo des deux jeunes gens souriants était accompagnée d'un court article rédigé par une journaliste survoltée. Elle commençait par une phrase qui lui fit brusquement refermer le magazine :  « On l'attendait tous après sa rupture avec Ekaterina Tkachenko, la reine de glace, Andris s'est enfin rangé ! »

Sun Mei se faufila dans sa loge. Elle n'avait même pas dépassé d'une minute le temps imparti. Elle sourit. Une demi-minute après, Cecil et un vigile entraient dans la pièce.

— En avant, les filles !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Angelinnog ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0