Dans les coulisses d'Agnès IV - Cible

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20 mai, Zinal, Suisse, Europe.

La guerre entre elle et Amy occupait tout son temps. Blake ne pensait presque plus à cette histoire qui l'avait pourtant complètement chamboulée le premier avril dernier. Jusqu'à ce qu'une piqûre de rappel arrive. C'est son téléphone qui fut le messager de la mauvaise nouvelle. Il délivra un texto en provenance directe du bureau de Cecil.

« J'attends vos chansons sur mon bureau pour le 23 à midi. »

La phrase fit l'effet d'une douche glacée à Blake. Cette histoire de chanson individuelle lui était complètement sortie de la tête. Elle s'en sortait mieux sans y penser. Les doigts tremblotants, elle répondit à Cecil.

« Je ne pense pas être en mesure d'écrire et de chanter une chanson toute seule. »

Voilà, c'était dit. Elle ne voulait pas le faire. Elle ne pouvait pas le faire. C'était contre tout ce qu'elle avait toujours prôné. Le groupe, toujours. Elle ne voulait pas être B toute seule. Elle voulait être K, O, B, S et E. Être un ensemble. Faire partie d'un tout.

C'était exactement ce qu'elle avait répondu à Brook plus de quatre ans auparavant. Brook, lorsqu'ils sortaient ensemble, lui avait proposé d'apparaître sur l'album du groupe dont il était le batteur, en artiste indépendante, et non avec KOBSE. Il la voulait pour lui tout seul – et les trois autres membres de son groupe. Blake ne s'était pas donné d'autre choix que de refuser, puis de rompre dans le même tir. Quiconque voulait la dissocier du groupe était à écarter, pensait-elle à l'époque.

C'était toujours la même pensée qui la guidait maintenant. Avec une nuance, seulement :  et si le groupe éclatait de l'intérieur ? Et si les filles elles-même voulaient sa dissolution ? Bien sûr, elle aurait toujours le cinéma. Les journaux et les critiques ne manquaient pas pour dire qu'elle était douée. Mais, il lui manquerait une part essentielle à sa vie :  ses amies. Sans elles, qui était-elle sinon une australienne rescapée de sa micro-commune ? C'était grâce à elles qu'elle avait construit sa vie.

Son téléphone vibra. Cecil avait répondu.

« Je n'en ai rien à faire. Tu fais un duo, si tu veux. Je m'en fiche, tant que ce n'est pas avec une fille de KOBSE. Mais je veux cette foutue chanson pour le 23 ! »

Cecil, en envoyant ce message, avait eu dans l'idée de la stresser. Mais, ce texto eut l'effet inverse sur Blake. Il venait de lui offrir sa porte de sortie. Il lui suffisait de faire ce qu'elle n'avait pas osé faire avec Brook. Après tout, c'était Cecil qui l'ordonnait. Il ne manquait plus de trouver un duo parfait en si peu de temps : elle avait un mois à peine pour tout planifier.

Toute la journée, se faisant repoudrer par les maquilleuses ajustant sa tenue crasseuse de paysane devant la glace, mangeant ses haricots, elle n'avait fait qu'y penser.

Brook. C'était à lui qu'elle avait songer en premier. Il était le premier à lui avoir fait une offre. Cette histoire avait même mis en l'air leur couple. Mais, elle n'était pas vraiment prête à le revoir, lui parler à nouveau et voir ce sourire de vainqueur qu'il affectionnait tant se peindre sur sa gueule d'ange. Non, elle ne pouvait demander à son groupe.

Alors qui ? Il y avait bien quelques chanteuses avec qui elle avait toujours rêvé de travailler mais il fallait des mois pour qu'un contrat se mette en place. Elle n'avait pas ce temps devant elle. Il lui fallait quelqu'un qu'elle apprécie, qui chante bien et qui soit disponible dans de très courts délais. Ce ne devait pas être introuvable.

En rentrant dans sa caravane, ce soir-là, elle avait commencé par allumer la radio sur une obscure radio locale. Sans doute un peu de musique pouvait lui remettre les idées en place. À force de trop penser à cette histoire de chanson, elle avait loupé une réplique, en avait inversé deux autres et avait mis en retard tout le monde en tâchant sa blouse. L'ambiance était électrique à la fin de la journée.

Elle commença à fredonner. La chanson qui passait était un rap américain. Blake l'avait déjà entendue :  la preuve, elle avait encore les paroles en tête. Mais ce devait être une vieille chanson qu'elle écoutait plus jeune. Elle augmenta le son et le flot de paroles se déversa dans sa caravane.

La brutalité des mots lui sauta à la figure. Ce n'était pas un rap bidon :  il balançait sa rage dans la musique. C'était une chanson confession. Brusquement, alors qu'il entamait la partie la plus rythmée, le titre de la chanson sauta à la figure de Blake. Alive de Target.

L'année de ses dix-neuf ans, elle avait écoutée cette chanson en boucle, comme si elle était la clé à toutes ses questions. Mais elle n'avait aucun rapport avec elle : la chanson parlait d'un garçon de quartier, qui n'avait pas connu son père et qui élevait sa nièce après le féminicide de sa sœur.

Elle se souvenait même d'avoir rencontré Target, le rappeur. Ils avaient discuté, accoudés à un bar alors qu'un flot de célébrités se déversait autour d'eux. En partant, il lui avait laissé son numéro : « Appelle-moi si tu veux faire un feat. » avait-il dit. Blake avait enregistré les chiffres dans son carnet d'adresses sans penser qu'elle aurait à l'utiliser plus tard.

Coupant rapidement la radio qui enchaînait sur une balade italienne, elle ouvrit ses contacts. Il était là, quelques lignes au-dessus de Terence : Target. Elle ne put pas résister, c'était presque trop beau pour être vrai ; il fallait qu'elle soit sûre. Elle composa le numéro et porta l'appareil à son oreille.

Une sonnerie se fit entendre. Allait-il répondre ? Une seconde. Blake faillit raccrocher ; elle trouverait quelqu'un d'autre, au pire. Mais elle n'eut pas le temps de se défiler. Une voix grave décrocha.

— Allô ?

Elle prit une profonde inspiration.

— Salut, c'est Blake de KOBSE. Target m'avait passé son numéro en disant que je pouvais l'appeler pour un feat. Est-ce que vous pouvez lui demander si c'est toujours d'actualité ?

Il y eut un silence au bout du fil.

— C'est moi. Et pas besoin de m'appeler Target, Chris c'est suffisant.

Blake rougit. Elle n'avait pas reconnut sa voix au téléphone.

— Alors, qu'est-ce que tu deviens, Blake de KOBSE ?

— On bosse sur un nouvel album. Cecil, notre prod, veut innover un peu. Il nous a demander de pondre une chanson individuelle pour le mois prochain et je bloque un peu. Je voulais savoir si un feat tous les deux, ça te dirait ?

Elle retint sa respiration le temps qu'il réponde.

— Bien sûr.

Elle expulsa tout l'air prisonnier de ses poumons. Il avait accepté.

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