Dans les coulisses d'Agnès III - Moutons

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18 mai, Zinal, Suisse, Europe.

Cette année, son anniversaire sonnait étrangement. Il avait un arrière goût de solitude. Blake ne jouait pas ce matin-là. Les réalisateurs pros-du-planning avaient réservé cette date pour tourner les scènes avec Abraham et celui qui jouait son père. Mis à part un appel de Felicia et Honor qui avait duré une bonne demi-heure, un message de Caleb et une carte électronique de son père, elle n'avait pas eu de messages joyeux et ponctués d'émojis comme elle en recevait chaque année.

Blake avait vingt-quatre ans aujourd'hui. Ce n'était pas rien. Elle était l'aînée de KOBSE, d'un an seulement plus âgée que Sun Mei et Ekaterina mais l'aînée quand même. Elle soupira en regardant l'intérieur de sa caravane : ce n'était pas comme ça qu'elle avait imaginé fêter son anniversaire.

Lorsqu'elle sortit de sa caravane, aux alentours de midi, dans l'intention de se rendre à la tente pour avaler un morceau, elle se prit les pieds dans une boule de laine. Elle baissa les yeux et découvrit qu'une bonne trentaine de moutons avaient envahi l'espace autour de sa caravane. Il n'y avait pas un espace de libre où sa basket pouvait se poser sans qu'elle piétine une bête bêlante. Elle jura. Les moutons se collaient à elle, laissant des poils tire-bouchonnés sur son jean, dépatant leurs sabot sur ses chaussures, fracassant ses tympans à grands renforts de bêlements.

Blake entendit des rires autour d'elle. Elle croisa le regard de techniciens qui passaient par là. Ils s'étaient arrêtés là avec quelques figurants qui sortaient de la tente. Ils riaient. Non, ce n'étaient pas ça. Blake plissa les yeux avant de les écarquiller brutalement :  ils se moquaient d'elle ! Un ou deux avaient même sorti leurs téléphones et commençaient à la filmer.

Elle se fraya brusquement un chemin entre les moutons. Il fallait qu'elle s'échappe de là. Les larmes menaçaient de jaillir à tout instant.  Et elle n'avait aucune envie que son visage bouffi par les pleurs fasse là une des réseaux sociaux au dîner.

Elle s'immobilisa une seconde. Une idée pas-si-bête-que-ça venait de germer dans son esprit. Après tout, elle était actrice. Elle pouvait parfaitement jouer de ça.

Elle revint là où elle était et afficha un grand sourire. Puis, tournant les hanches, levant un pied, elle prit la pause. Elle laissa quelques secondes s'écouler avant de changer de pose :  bouche de canard, cheveux rejetés en arrière et pied en avant. Les "spectateurs" finirent pas jouer le jeu et la mitraillèrent. Cela dura plusieurs minutes après quoi Blake décida d'écourter la séance photo improvisée. Elle se courba en avant, salua son public d'une belle révérence et s'éclipsa par une brèche entre les moutons.

En se dirigeant vers la tente, elle ne résista pas à jeter un dernier coup d'œil à sa caravane. Elle en fut pétrifiée :  ce que regardaient les passants, ce n'était pas tant elle au milieu des moutons. Au milieu de la caravane, peint à la bombe comme un graffiti, une phrase est écrite :  « Ceci n'est pas une fille. Elle attire ses semblables. » Et tout en bas de la porte, deux lettres calligraphiées :  AH. Comme si Blake avait besoin de cette signature pour comprendre qui était l'auteur de ce tag. La réponse d'Amy à son vol de smoothie venait d'apparaître.

Elle s'installa à sa table favorite. Le spectacle n'était pas terminé.

— Lyle ! cria-t-elle pour être sûre que tout le monde dans la tente soit en mesure de l'entendre. Est-ce que je pourrais avoir une assiette d'herbe s'il te plaît ?

Il la regarda avec ses yeux de morue.

— Mademoiselle Taylor-Ellis, les drogues sont interdites sur le plateau. Vous pouvez obtenir une dérogation pour raisons médicales mais il faut demander à Emma...

Elle le coupa en plein élan en partant d'un éclat de rire retentissant.

— Oh, non ! Je ne parlais pas de cette herbe-là !

Blake jouait un rôle, cela se voyait dans sa manière d'exagérer ses gestes – une tape dans le dos de Lyle, un regard circulaire pour bien capter son auditoire, une mèche de cheveux glissée derrière son oreille – et de parler fort, trop fort. Mais, elle commençait à peine à s'amuser.

— Je voulais de l'herbe comme en prennent les animaux. Après tout, je suis un mouton !

Elle ponctua sa phrase en balayant la tente des yeux. Tout les regards étaient fixés sur elle. Lyle tremblait des genoux. Un festival de castagnettes aurait pu se jouer juste là sans que cela fasse plus de bruit.

Blake aménagea une petite pause dans son récit le temps d'évaluer la réaction de ses vis-à-vis. Ils étaient ébahis, certains presque gênés. Et à l'entrée de la tente, Amy la regardait, immobile, le visage aussi illisible qu'un parchemin brûlé. Elle avait du entrer alors qu'elle finissait son petite show. Elles se regardèrent, leurs regards se captèrent. Une lueur de respect passa dans les pupilles d'Amy et Blake en fut tellement surprise qu'elle rompit le lien.

Lyle était toujours tremblant à côté d'elle. Elle se pencha vers lui.

— Je suis désolée, dit-elle avec un sourire se voulant rassurant.

Puis elle quitta la tente en bousculant Amy au passage. Elle sentit le regard noir et brûlant de sa partenaire de jeu lui trouer le dos. La bataille n'était pas finie. Il fallait qu'elle riposte. Son déjeuner attendrait et peut-être même son dîner. Finalement, cet anniversaire n'était pas si mauvais que ça : elle avait réussi à s'amuser un peu.

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