Ma chérie

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19 mars, Reppe, Belgique, Europe

Voilà une semaine qu'Ekaterina tournait en rond dans sa chambre sans réussir à se départir de cette solitude qui lui collait à la peau comme un sous-vêtement trop moulant. Son agent avait appelé la veille : il n'y avait rien qui se présentait pour elle avant deux semaines. Oksana n'était restée que cinq jours avant de repartir à San Diego chez son fiancé. Margzetta avait quitté la maison de Reppe pour retrouver le temps de quelques jours sa famille italienne. Honor avait déserté la Belgique depuis plus d'une semaine pour retrouver son copain à Londres, tandis que les autres filles du groupe étaient dispersées autour du monde : Sun Mei au Québec à roucouler avec sa femme, Felicia passant son bac français en Australie et Blake se la coulant douce sur la plage entourée de deux de ses frères. Ekaterina était seule dans cette maison qui abritait habituellement six femmes, belles et bruyantes.

Longtemps, elle avait voulu qu'on la laisse tranquille. Elle ne recherchait que le calme illusoire que procurait la solitude. Mais, après s'être retrouvée en tête à tête avec ses pensées, elle en avait assez. Elle voulait voir du monde, parler aux autres, rires avec ses amies, pleurer avec elles, aussi.

Ekaterina arrêta sa ronde de lion en cage pour s'asseoir sur son lit. D'un geste impulsif, elle saisit son téléphone et regarda fixement l'écran durant quelques secondes.

Est-ce que je l'appelle ? Non, je risquerai de le déranger... Et puis, tant pis, semblait-elle tour à tour penser sous ses sourcils blonds froncés. Elle composa un numéro qu'elle connaissait par cœur avant de porter l'appareil à son oreille.


19 mars, Cologne, Allemagne, Europe

À sept cent kilomètres de là, dans une chambre d'hôtel colognaise, Nik grignotait une pomme. Il n'avait pas vraiment faim mais c'était une habitude qu'il avait depuis tout petit : manger lorsqu'il s'ennuyait. Voilà une demi-heure qu'il attendait, allongé sur un des lits de la chambre et ruminant en silence, que son ami rentre.

Le bruit de son téléphone sonnant, pourtant sur vibreur, le sortit de sa torpeur. Il posa son trognon sur la table de chevet, s'essuya distraitement les mains sur son pantalon puis arracha l'appareil de sa poche.

— Allô ? À qui ai-je l'honneur ?

Il y avait un tel sourire dans sa voix qu'Ekaterina le décela sans peine.

— Nik, fais pas celui qui ne sait pas. Mon numéro s'affiche sur ton écran.

— Kat, ma chérie ! Comment vas-tu ?

Il fit semblant d'être surpris mais bien sûr, elle avait raison. Bien que son numéro apparaisse seulement dans son journal d'appel sous le nom de Ma chérie pour se préserver des regards indiscrets, il savait parfaitement à qui il allait parler lorsqu'il avait décroché.

Elle soupira.

— Je... je ne sais pas trop.

Elle s'arrêta quelques instants pour réfléchir à ce qu'elle allait lui dire.

— Je suis toute seule.

Quelques larmes refoulées coulèrent dans sa voix et Nik les entendit. Ekaterina était une de ses plus proches amies - la seule du sexe féminin qu'il ait, à vrai dire - et il savait discerner lorsqu'elle allait mal.

Il tenta l'humour pour la rassurer.

— Plus maintenant ! Je suis là, moi.

— Tu n'es pas là, Nik. Tu... Je ne sais même pas dans quelle ville tu te trouves, vagabond !

Elle passa une main dans ses cheveux avec lassitude et joua distraitement avec le couvre-lit.

— En Allemagne, ma chérie ! À Cologne, plus précisément. J'accompagne And...

Il s'arrêta dans son élan, conscient d'avoir gaffé.

— J'accompagne un ami à une séance photo.

Mais Ekaterina avait entendu sa première tentative et avait compris. Avec un sourire triste, elle demanda :

— Un ami que je connais ?

Nik hésita à mentir. Mais il abandonna l'idée dans l'immédiat : ce n'était pas honnête et il respectait trop Ekaterina pour songer à la duper.

— Oui, répondit-il avec une grimace.

Un silence s'installa, chacun cherchant quoi dire à l'autre. Ekaterina changea brusquement de sujet :

— Je ne te dérange pas, j'espère ? Je peux rappeler plus tard s'il le faut.

Une pointe de stress couronnait sa proposition : elle lui coûtait car elle n'avait aucune envie de raccrocher. Avoir Nik au téléphone, c'était un gros réconfort, bien qu'il soit trop fortement relié au passé pour que cela soit sans danger.

— Bien sûr que non ! Je te l'ai déjà dit : tu m'appelles quand tu veux, ma chérie.

— J'ai besoin de te voir, lâcha-t-elle soudainement.

Nik en fut d'abord surpris. Ils correspondaient ainsi depuis des années - trois, pour être précis - et ni l'un ni l'autre n'avait cherché à organiser un rendez-vous en personne. D'un accord tacite, ils ne parlaient pas du passé, de ce lui qui les reliait à l'origine. Se voir semblait enfreindre cette loi.

Mais il entendait dans sa voix une telle urgence que cela l'effraya. Posément, il commença :

— Je peux peut-être me libérer le mois prochain, mais...

— Demain, café des Noyés, à Liège.

Elle attendait, fébrile, qu'il refuse sa proposition insensée. Mais il en fit autrement.

— D'accord, midi et demi.

Il avait pris sa décision : son amie avait besoin de son soutien, il le lui donnerai. Ekaterina n'eut pas le temps de s'en réjouir qu'il avait renchérit précipitamment, entendant la porte claquer dans la pièce d'à côté.

— Ma chérie, il faut que je te laisse. On se voit demain.

— À demain, Nik.

Il raccrocha juste à temps, pour entendre Andris crier :

— Nik ? Tu es là ?

Le russe se leva précipitamment du lit, comme pris en flagrant délit d'action illicite. Se faisant, son téléphone glissa de ses genoux pour s'écraser sur la moquette avec un bruit sourd. Andris se pencha en avant, et récupéra l'appareil qu'il conserva dans sa main. Nik avait désormais les joues rouges d'un enfant pris en faute. D'un air suspicieux, Andris l'interrogea :

— Je t'ai entendu parler. Tu étais au téléphone ?

De la manière la moins subtile qui soit, Nik esquiva sa question :

— Si tu le permets, парень*, je voudrais prendre ma douche.

Il s'avança d'un pas et Andris se décala sur la gauche pour le laisser passer. L'instant suivant, Nik s'était enfermé dans la salle de bains et on entendait l'eau du lavabo couler.

Le téléphone de Nik toujours entre les doigts, Andris fronça les sourcils. Distraitement, il s'assit sur son lit et regarda autour de lui. Il avait beau posséder un petit capital, cadeau de papa et maman et de son travail de mannequin, il n'aimait pas le dilapider sans considération. Alors, il se contentait d'hôtels moyens, de restaurants ordinaires et de trajets en bus qui lui donnaient le sentiment de posséder une vie banale.

Soudain, son regard se posa sur l'appareil dans sa main. Ouvert sur le journal d'appel, il affichait un certain numéro dénommé Ma chérie comme derrière appel entrant.

Il n'y avait que trois personnes que Nik appelait comme ça : sa petite sœur - qui n'était plus si petite - Yulia, la copine actuelle d'Andris, Maya Andrea, et... Ekaterina.

Andris se releva brusquement et étouffa un juron. Sans avoir besoin de plus de preuves, il savait laquelle répondait sous le nom de Ma chérie. La tête lui tourna. Les doigts tremblants, il fit défiler les contacts de son ami avant de tomber sur les noms qui l'intéressaient : Yuli et Mayadrea.

Il se souvint comme dans un flash des mots qu'il avait entendus lorsqu'il était entré : On se voit demain. Il en avait maintenant la certitude, Nik lui cachait quelque chose. Furieux, il jeta l'appareil coupable sur le lit de son ami et sortit de la chambre. Il avait besoin de ruminer tout ça loin du traître.

Mais Nik était son ami et il était incapable rester fâcher avec lui. Aussi, lorsqu'il le retrouva le soir-même, il lui avait déjà à moitié pardonné.


парень (russe, prononcer paren') : mec

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