( RE ) TOUR

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Cette fois continuant de conduire, c'est lui qui reste silencieux donc j'enchaîne sur ma lancée.

- Comment voulais-tu que je sois ? Notre grand-père a dû ruser pour me contraindre à débarquer ici ! Et toi, tu palabres tranquillement sur le passé, comme si celui-ci n'avait pas occasionné suffisamment de dégâts. Ils pensent tous que je suis l'unique responsable de cette histoire sordide. Comment crois-tu que je me sens ? Si on analyse attentivement la situation, je ne peux qu'être pétée de trouille à l'idée de revoir ces gens !

Plus j'avance dans mon monologue et plus je deviens hystérique.

- Je suis partie à Paris à l'époque seulement pour masquer ma honte et étouffer mon chagrin. J'ai fui comme une lâche comme si j'étais celle qui devait dissimuler l'opprobre. Être accusée d'une faute pour laquelle tu te sais innocente est une des pires choses qui puisse arriver. Et toi, tu veux que je sois de marbre ? lui dis-je crachant ma rage.

Sans préavis, Léo immobilise la voiture sur le bas-côté, me regarde et me dit.

- Cette réaction est exactement celle qu'attendent ces connards, Lys. Ils ont bien l'intention de te faire sortir de tes gonds et en agissant de la sorte, tu leur donnes pleine satisfaction. Réfléchis-y.

Comme si le problème était réglé, il ne dit plus rien et poursuit sa route. Je prends conscience alors que je viens de me foirer en beauté. C'était un test. Un putain de test et je viens de l'échouer. Impossible de faire croire dans ces conditions à quiconque de ma pseudo-indifférence. Je tente de me détendre, mais trop tard, car le grillage de la propriété est bien en vue.

Voir la clôture du domaine familial matérialise ma peur. Si j'ai évité cet endroit pendant tout ce temps, c'est bien parce qu'il représente une de mes terreurs. J'ai toujours pensé que le plus dur serait de revenir, mais c'est parce que j'étais loin de me douter que mon passé me rattraperait.

La voiture de Léo avance progressivement dans l'allée et des souvenirs de toutes sortes s'infiltrent dans ma tête. J'ai l'impression que les minutes s'étirent rien que pour me rappeler les nombreuses fois où apeurée je me suis levée transpirante après un cauchemar. Mon cerveau n'a pas encore réalisé qu'il va devoir ce fracasser à une réalité qu'il esquive depuis bien trop longtemps.

Le véhicule s'arrête enfin devant un bâtiment que je peine à reconnaître. La maison a beaucoup changé, peinte en blanc, elle est beaucoup plus grande qu'autrefois. Une douleur vive me comprime les entrailles. Et une fois de plus, je me demande ce que je fous là.

Certaines personnes disent souvent que le temps adoucit la peine, mais j'ai le sentiment que pour moi, c'est plutôt le contraire. À mon humble avis, le temps accentue le chagrin. Et quand la blessure est profonde impossible que cela passe au le fil des années.

Je peine à descendre de la voiture, ce qui n'a pas l'air de plaire à mon cher cousin. Car je surprends son regard fixé sur moi et je comprends très vite que la lueur contenue dans ses yeux ne me laisse pas le choix. Il veut que je sois forte, digne et que j'affronte notre entourage la tête haute. Mais honnêtement en ais-je seulement l'énergie ?

C'est de mauvaise grâce que j'ouvre ma portière et sort presque timidement de l'habitacle. Décidément mal à l'aise, je contemple le paysage pour tenter de faire bonne figure. Si la demeure a effectivement changé, les alentours sont restés exactement comme avant.

Bordé d'oliveraies, de champ de lavande et de pins majestueux, l'environnement ressemble encore à un véritable havre de paix. Et la beauté qu'elle dégage est toujours aussi saisissante qu'auparavant. C'est sans doute un des contrastes qui surprend le plus quand on sait quel genre d'individus y habitent.

Or, jusqu'à maintenant ma chance réside sans doute dans le fait qu'aucun des membres de la famille ne m'attend sur le seuil. Chose qui ne devrais même pas m'étonner puisse qu'au fond de moi, je m'y attendais déjà. Qui a envie de voir l'enfant prodigue amère et aigrie de la famille ?

Une salope sans cœur, jugée responsable de la stérilité de sa propre sœur en même temps que de l'échec d'un mariage prévu de longue date. Une meurtrière froide qui a privé les Laugier et les Castillon d'un enfant. Personne ne me veut revoir et je suppose que c'est une factualité qu'il me faut accepter. Je sais que je devrais me foutre de leur avis, mais étrangement, je n'y arrive pas.

Perdue dans les méandres de pensées infectes, je sursaute quand Léo pose sa main sur mon bras.

- Lys, tu m'écoutes ?

Égarée, j'essaye de me concentrer sur Léo, en vain. Même si je veux lui mentir effrontément, il n'est pas dupe. Il sait que je n'ai pas saisi la moindre parole à la façon dont il m'observe.

Je secoue la tête, m'excuse et lui demande.

- Excuse-moi, tu disais ?

Il me dévisage un instant et reprend sa question.

- Tu veux être logée dans la maison ou dans la dépendance ?

Je ricane et l'interroge.

- Parce que j'ai le choix ? dis-je un brin ironique.

Mon cousin redresse sa carrure massive, passe sa main dans ses cheveux blonds et soupire.

- Oui, Aélys, tu as le choix, car personne ne souhaite s'y installer pour une raison qui m'échappe encore. Personnellement, je t'attendais pour y aller plutôt que d'être en contact avec la famille Addams. Sachant qu'il y a trois chambres là-bas, je préfère que nous y soyons toi et moi. De sorte que nous ne serions pas obligés de cohabiter avec ces suppôts de Satan, échappant grâce à Dieu à leur proximité néfaste. Alors tu marches ?

En comparant les Laugier à des êtres malfaisants Léo à l'air si sérieux que j'éclate de rire.

- Quoi ?

- La famille Addams, les suppôts de Satan, leur proximité néfaste ? Sérieusement Léo ? On dirait presque que nous avons affaire une secte démoniaque ou un truc dans le genre.

Il croise les bras, m'adresse un sourire et rétorque.

- Tu ne peux pas nier que rien qu'avec Viviana et ta mère, on croit les portes de l'enfer ouvertes en permanence.

Mon sourire s'efface instantanément. S'il y a bien une chose qui met en rage, c'est d'entendre parler de ma mère et de ma sœur. En fuyant le domicile de mes parents, la haine était si profondément ancrée en moi que j'avais abandonné le nom de Castillon au profit celui de mon grand-père maternel.

Si j'avais pu m'affranchir d'un quelconque sentiment d'appartenance, j'aurais été plus loin en prenant un nom inconnu. Or, pour une raison obscure, j'aimais Papi Lou malgré le fait qu'il ait toujours préféré ma sœur Viviana.

Événement regrettable d'ailleurs parce que je ne lui ai jamais pardonné cette préférence. Refusant de répondre à l'acharnement dont il a fait preuve ces dernières années pour reprendre contact. Maintenant qu'il est mort, la peine et les regrets ne me laissent pas en paix. En faisant le choix de la rancune tenace, je ne peux plus lui dire ce que je ressens.

Et je crois que plus que le passé, c'est cette vérité que j'ai du mal à accepter.

Une larme sortie de nulle part roule sur ma joue.

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