NOËL

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Le petit déjeuner démarre fort. Cri-cri et moi, attablés devant nos bols fumants, nos jus d’oranges frais et nos tartines beurrées, débattons des menus de fête. Forcément, en tant que littéraires organisés, nous nous devons de préparer une liste avant de partir en expédition au supermarché.

Nous avons établi le repas du réveillon, de ce soir, et nous nous penchons sur les plats de demain quand Alex émerge enfin et s’assied près de nous.

- Maman, Hugo m’a réveillé.

- Tout le monde ne se lève pas à pas d’heure, mon chéri. Son père commençait très tôt, d’après ce qu’il nous a dit.

Le père d’Hugo ? Mauvaise idée. Je remarque le petit sourire de mon ami, et brandit ma feuille griffonnée.

- On en était où ? C’était quoi, en entrée ?

- Maman, Hugo va encore passer Noël tout seul avec son père.

Est-ce un fait ou une question ? Je ne connais pas leur histoire, et le peu que j’en sais me fend le cœur, mais qu’y puis-je ? Qu’y pouvons-nous ? Une idée prend forme dans mon cerveau. Non. Pas ça. Alex, ne me demande pas ça.

- On pourrait le faire ensemble.

Je ferme les yeux. Je sens leurs regards insistants, à mon fils et à mon ami. Comment sortir de ce pétrin, tout en restant compréhensive, humaine, mais ferme ?

- Alex, je suis sure que Monsieur Pipo a prévu quelque chose.

Comment pourrait-il en être autrement, entre ses connaissances professionnelles et... personnelles ?

- Alex pense que ce sera comme l’année dernière, juste entre eux deux, à regarder des films ringards devant la télé.

En effet, cela n’a rien d’une fête. Cependant, si cela reste douloureux, ce n’est pas à moi de régler leur problème. Mais Alex n’a pas dit son dernier mot, et face à mon mutisme :

- Alors maman, je dis à Hugo qu’ils viennent ici ?

- Non !

C’était sans compter sur Cri-cri.

- Pourquoi ?

- Maman !

Mon fils me rappelle à l’ordre. Avec son regard insistant et réprobateur, il tente de me faire comprendre que la présence de Chris, comme il l’appelle, ne remplace pas celle de son père, et qu’il en est de même pour son meilleur copain, à qui il manque une mère. C’est à moi de trancher. Mais je suis perdue. Comment faire le bon choix ? Dois-je faire plaisir au détriment de sa protection ? Ou encore mon rôle est-il de lui apprendre à n’accorder sa confiance à personne ?

Face à mon mutisme, il soupire et baisse la tête, résigné, déçu. Mon meilleur ami, tout aussi désappointé, me toise, les lèvres formant une virgule à l’envers.

Je suis la grosse méchante de l’histoire, bornée, inhumaine.

- Je n’ai pas dit oui ! mais je n’ai pas dit non, non plus ! Je réfléchis.

Cri-Cri tourne la tête à gauche, à droite, puis :

- Invite-les, mon grand. Ça fera du bien à ta mère aussi de voir du monde.

Alex cherche mon approbation du regard. Je capitule. Mon chérubin se lève d’un bond et m’entoure de ses bras avant de coller un énorme bisous sur ma joue.

- Merci, maman. Je t’aime.

- Moi aussi je t’aime, mon ange.

Nous nous disputons quelque peu dans les rayons du supermarché, Cri-Cri ne supportant pas les sous-marques, et moi, prêtant une attention particulière à mon budget. Les courses, les cadeaux de Noël, d’anniversaire, Pacques... Forfait mobile et internet pour deux, électricité pour deux, eau en double consommation... Il vit seul ! Et oui, j’ai acheté une belle maison, mais je dois la payer ! Et ce n’est pas rien. Nous parvenons tout de même à un compromis.

En sortant du supermarché, nous sommes allés chercher Hugo chez lui, guidés par Alex en communication avec son ami.

Alors que les deux ados restaient enfermés dans la chambre, Cri-Cri et moi avons passé le reste de l’après-midi dans la cuisine. Préparation de la marinade pour le gigot d’agneau, cuisson de quelques fruits de mer, association des ingrédients pour le beurre d’ail qui accompagnera les escargots demain, nettoyage de la salade, confection de la vinaigrette, et élaboration des toasts pour l’apéritif. Fort heureusement, nous avons prévu plus simple pour le prochain repas, sachant que nous allons nous lever tard et manquer de temps. D’appétit, surement, aussi.

Nous sommes presque prêts. Ne reste plus que la table à dresser. Puisque je dois monter à l’étage pour choisir une nappe festive, j’en profite pour m’enquérir des horaires du commandant auprès de son enfant.

- Il est vingt heures, il va bientôt arriver. Vous avez besoin d’aide, Madame Bertrand ?

- Tu es gentil mon grand, mais tu es là pour t’amuser et tout est pratiquement prêt. Ne t’inquiète pas.

Daénys Pipo se faisant attendre, nous bougeons canapé et fauteuils pour les installer face à la baie vitrée et à la piscine éclairée. Avec le feu de cheminée, sur la droite, l’atmosphère est plus douillette, chaleureuse. Las de patienter, Cri-Cri insiste pour prendre son premier verre de Muscat.

Alors que je traverse le couloir pour me rendre dans la cuisine, j’entends de brefs coups portés à la porte d’entrée. Ce ne peut être que notre invité. Quand même ! Il en a mis du temps ! Je prends une profonde inspiration et avance lentement en direction des bruits qui m’ont interpellée.

- Bonsoir Line.

Elégant, ce soir. Pantalon en toile beige et chemise taupe. Il a l’air particulièrement à l’étroit dans ces vêtements, et ses efforts m’amusent autant qu’ils m’attendrissent. Ainsi, j’hésite entre plusieurs attitudes. Revêche, non, il va finir par me croire coincée. Amicale ? C'est Noël, après tout. Et donc le moment ou jamais de faire preuve d’humanité, de chaleur, de confiance et de compréhension.

- Bonsoir Daénys.

Il fait visiblement très froid dehors. Le gendarme se frotte les bras et de la buée sort de sa bouche.

- Je vous en prie, entrez.

- Merci.

Il reste planté là, à me regarder fermer la porte, tout en continuant à passer vigoureusement ses bras sur ses muscles, dans une ultime recherche de chaleur.

Je lui souris, compatissante.

- Vous n’avez pas de chauffage dans votre voiture ?

- Si, bien sur. C’est que je n’osais pas frapper. J’avais peur de vous déranger et...

Il baisse le ton et se rapproche de moi :

- Je craignais d’être surpris à votre porte. Vous n’ignorez pas que je ne devrais pas être là et j’ai hésité à faire demi-tour.

- Bien. Vous êtes là. Vous avez bien fait. Noël ne se vit pas seul. Allez vous réchauffer devant la cheminée, Christophe s’y trouve déjà et j’amène l’apéritif.

- Christophe ? Est-ce une bonne idée ?

J’éclate de rire. Il n’a aucune idée de l’impression qu’il a laissé à mon ami, et il n’a rien à craindre de ce côté-là. Cri-Cri a une image assez précise de ce qui plait à ce gendarme.

- Je préfèrerai vous aider.

- D’accord. Vous porterez le plat de toasts.

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