Tournoi et petits gâteaux

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A la fin du premier trimestre, les professeurs de sport convient les équipes de football de plusieurs établissements  du département à participer à un tournoi dans l'enceinte même du lycée. A cette occasion, il est demandé aux parents de confectionner des gâteaux, des quiches ou des cakes, et de participer à la vente par notre présence et notre force de proposition. 

Ainsi, alors que mon fils court après le ballon sur l'un des terrains du gymnase, j'installe les pâtisseries sur une nappe immaculée. Je suis impressionnée par la diversité des mets apportés. Pour ma part, j'ai passé toute la soirée ainsi qu'une partie de la nuit à préparer ma quiche sans pâte, ma pizza Catherine qui fait des ravages à tous les coups, des madeleines au citron, et ma tarte aux pommes à l'alsacienne.


Je réorganise les plats sur la table quand une voix masculine me fait relever la tête.

- Madame Bertrand, quelle surprise !

- Vous vous souvenez de mon nom ?

- Je me souviens de chaque visage, de chaque nom, et de chaque affaire.

Par chance, les femmes avec lesquelles je tiens le stand viennent saluer le gendarme en civil qui me fait face, apportant ainsi une diversion.

- Commandant ! Quel plaisir de vous voir parmi nous aujourd'hui ! 

- C'est vrai, il est tellement rare que vous nous fassiez l'honneur de votre présence.

Elles me donnent envie de vomir. On dirait des ours autour d'un pot de miel. Rajoutez à cela le titre de Commandant, et vous vous croyez spectateur d'une série ringarde pour bonnes femmes. 

- Madame Bertrand, Line, j'ai un petit creux, que me conseillez-vous ? 

Je suis surprise par le ton amical qu'il emploie et plus encore lorsque je constate que son regard l'est tout autant. Cependant, je reste sur mes gardes. Je n'ai aucune envie de discuter avec ce type qui peut assurément modifier le cours de ma vie.

- Le gâteau au chocolat, là. Tout le monde aime le chocolat.

J'ai bien vu qu'il était pas mal cramé, mais je ne peux m'empêcher de me montrer désagréable. Le Commandant me met terriblement mal à l'aise, et j'aimerai qu'il fasse un choix rapide, un règlement pressé et un départ en urgence. En bref, je veux qu'il me foute la paix ! Mais il n'en a visiblement pas terminé avec moi.

- C'est votre recette ?

- Non. 

- Me serait-il possible de goûter l'un de vos mets ?

- Il ne reste plus que la tarte aux pommes. Le reste a déjà été vendu.

- Parfait. Je vous en offre une part, Madame Bertrand ?

- Non merci. Je ne veux pas m'empoisonner.

C'est ridicule, je sais. C'est sortit tout seul. Qu'il repose sa part, je le rembourse, mais qu'il s'en aille !

Il me sourit d'un air compréhensif, maintenant !

- Je vais regarder le match de notre équipe. Vous m'accompagnez ?

Je manque m'étouffer avec ma propre salive.

- Je ne peux pas quitter le stand. Je me suis engagée et... et...

- Je suis convaincu que madame Le Maire ne verra aucune objection à ce que vous quittiez votre poste de vendeuse bénévole durant une courte demi-heure. N'est-ce-pas, Clotilde ?

- En effet, prenez une pause, Line, vous l'avez bien méritée, me propose-t-elle mielleusement, tout en me gratifiant d'un regard menaçant.

- Je vous remercie, Madame Le Maire, mais je n'en ai pas besoin.

A mon tour, je la toise avec toute l'indifférence dont je sais faire preuve. J'ai bien remarqué le sourire amusé du père d'Hugo.

Il appuie ses deux mains sur le bord de la table, se penche au-dessus des plats, et une fois à ma hauteur, murmure sèchement :

- Dois-je vous envoyer une convocation ?

Et voilà ! Je savais que ça allait mal se passer.

Je contourne la table et emboîte le pas au Commandant qui m'entraîne en direction du gymnase. Il attend que nous soyons à l'écart pour reprendre la parole.

- Je vous demande pardon pour m'être montré aussi brutal. C'était le seul moyen pour que vous acceptiez de me parler.

- Dans ce cas, je peux m'en aller.

- Non, attendez, s'il vous plaît. Comprenez que votre présence ici m'intrigue fortement. Je vous avais demandé, non, ordonné, de ne...

- Je m'en souviens comme si c'était hier, Commandant. Alors venez-en au but de cette promenade.

- Fort bien. Que faites-vous dans cette ville, dans ce lycée ? 

- Je... j'ai changé de travail, et c'est la raison qui nous a conduis dans ce département, mon fils et moi. Et vous, Commandant, je vous croyais ag...

Je n'ai pas le temps d'achever ma phrase qu'il me tire sans ménagement par le bras pour nous éloigner encore des badauds.

- Vous connaissez la nature de mon travail, et toutes les conséquences d'une fuite quant à mes diverses activités. Je suis tenu au secret professionnel en ce qui vous concerne, mais vous avez également signé votre accord de discrétion pour toutes personnes ou événements relatifs à l'affaire qui nous lie. Le procès a-t-il eu lieu ?

- Vous savez très bien qu'il n'a pas encore eu lieu ! Je ne suis même plus sûre qu'il prenne forme un jour.

- Je l'ignorais, je vous assure. J'étais chargé de votre protection durant ces deux jours. Rien de plus. Je ne suis pas autorisé à enquêter sur votre affaire, et il m'est formellement interdit de chercher quelque information à ce sujet. C'est un dossier confidentiel, Madame Bertrand. Les personnes soupçonnées à l'époque sont très riches et très influentes. Il s'agit d'une très grosse famille, mais je ne vous apprends rien. Le dossier dans lequel vous aviez commencé à réunir des preuves a disparu, en même temps que votre mari. C'est ce qu'ils étaient venus chercher, nous en sommes tous conscients. Mais sans ces documents, il est difficile de prononcer de telles accusations. De plus, je suppose qu'ils ont effacé toute trace possible au sein de leurs différentes sociétés.

- Sans aucun doute. Vous voulez bien m'excuser, maintenant ? C'est jour de fête pour mon fils aujourd'hui, aussi, je préférerais éviter de ressasser tout ça.

- Oui, bien sur. Au fait, votre enfant ne serait-il pas l'Alex dont Hugo me parle presque tous les jours ? Alex par-ci, Alex par-là. Il viendra passer un week-end à la maison, prochainement. Avec votre accord, bien entendu.

- On verra ça. Au revoir, Commandant.

Dans tes rêves ! Mon fils ne mettra jamais les pieds chez toi, et tu vas nous laisser tranquilles.



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