Déménagement

4 minutes de lecture

Dix ans plus tard


Une nouvelle fois, je quitte tout. Je change de ville, de travail, mon fils va devoir se réadapter à son environnement scolaire, rencontrer des enseignants et des camarades inconnus et sympathiser. Il est fort. Il y arrivera. Je ne peux pas laisser passer cette chance qui s'offre à moi. 

Quand mon mari a été assassiné, on nous a protégés, mon fils et moi. Mais à quel prix ? Changement d'identité, plus de famille, plus d'amis... Nous étions perdus, seuls au monde lorsque deux des agents nous ont déposés à Hyères. La femme, et le blond châtain.

Ils m'ont remis les clés de cette maison qui deviendrait la nôtre, la carte d'une camionnette qui serait mienne, et l'adresse de la mairie qui me confierait un poste à l'office du tourisme. 

Puis toujours aussi cérémonieux, ils sont repartis. Après un bref salut. Ne cherchez pas à nous contacter, ils ont jugé bon de préciser. Pas un regard sur nous. Même alors qu'ils passaient à notre hauteur, à bord de leur voiture noire rutilante.

Nous avons mené une petite vie tranquille dans cette magnifique ville. Mon fils s'épanouissait à l'école, grandissait avec des amis dont les liens se resserraient d'année en année. Ils profitaient de la plage et des plaisirs nautiques, surtout pendant la saison estivale, lorsque les touristes remplissaient les campings, apportant avec eux de jeunes têtes féminines à draguer.

Mon travail à l'office du tourisme m'ennuyait profondément. Je ne manquais pas de missions, mais je les trouvais rébarbatives. Devoir afficher cet éternel sourire me pesait, surtout face à certaines personnes exaspérées par la chaleur ou des heures de recherches infructueuses. Ceux-là usaient alors de remarques parfois déplacées, et pourtant, j'étais forcée de continuer à sourire. 

Par chance, l'une de mes collègues à la mairie m'apprit qu'une boutique de décoration allait ouvrir ses portes dans le vieux centre ville. Elle me donna les coordonnées de la dirigeante, et me confia qu'elle recherchait une responsable autonome. Je l'appelai dans l'heure.

Elle accepta de me rencontrer, dans la boutique même, et grâce à quelques suggestions subites, je parvins à la convaincre de mon efficacité et de ma créativité. Trois semaines plus tard, j'entamais une fructueuse collaboration avec cette femme d'affaires avertie.

Nous vendions des compositions florales de roses éternelles. De vraies fleurs, immortalisées à l'aide d'une résine injectée. Et en effet, j'étais seule dans le magasin. J'ouvrais, je fermais, je préparais les commandes, renseignais les visiteurs et, à la longue, confectionnais moi-même les compositions demandées par une clientèle fidèle, mais exigeante. A mes débuts, je ne proposais que les ouvrages préparés par ma patronne, comme des bouquets, des vases garnis ou des coupes remplies de sable coloré et maintenant une ou plusieurs roses. Puis me vint l'idée de faire appel à des artistes locaux, des artistes de rue, tel cet homme qui fabriquait des corbeilles ou des mouettes avec des feuilles de palmier, ou encore ce vieux monsieur qui s'installait tous les jours sur un banc en face de ma boutique, avec son chevalet, sa toile et tous ses instruments. Il peignait du matin au soir. Des visages, des passants, ou juste des regards. Je ne prenais jamais de pause déjeuner, mais une fois, trop intriguée par ces créations qu'il ne montrait à personne, je me suis permis de fermer la boutique pour aller m’asseoir près de lui. J'ai partagé mon sandwich avec ce vieil homme qui ne vit finalement aucune objection à me laisser découvrir ses œuvres de la matinée. Je fus stupéfaite par le réalisme de ses portraits. Les yeux de ces modèles brillaient d'une telle soif de vivre ! La peau rayonnait, et le teint, qu'il soit très pâle ou hâlé, me donnait envie de caresser la toile. C'est ainsi que sont nées mes premières conceptions. Des corbeilles et des plateaux en feuilles de palmiers, garnies de roses, des peintures agrémentées de fleurs, dans la main, dans les cheveux, sur une robe... Les idées ne manquaient pas, et l'originalité de ces tableaux en relief plut instantanément à ma clientèle. Je rencontrais surtout des femmes ; c'est elles qui s'occupent de la décoration de la maison. Des femmes riches, dont les maris passent leur temps au bureau. Elles me conviaient parfois à leurs réceptions mondaines dont j'avais eu la charge des fleurs. Je ne m'y sentais pas à ma place, mais cela me permettais de vanter mes produits et mon savoir faire et de rencontrer de nouvelles clientes.  

L'une d'entre elles, particulièrement admirative et fidèle, me rendait souvent visite à la boutique. Elle me surprit un jour, en pleine écriture d'un roman. Eh oui, lors de mes rares moments d'inactivité, j'en profitais pour m'évader en couchant sur papier les histoires que je me plaisais toujours à imaginer. Et voilà, cette femme entra alors que je venais d'imaginer une scène éprouvante. Mes yeux étaient rougis par les larmes qui avaient inondé mes joues. J'ai balbutié quelques excuses mais provoqué un nouvel intérêt chez ma cliente. Elle insista pour lire la page que je venais de noircir et se montra enchantée, et désireuse de découvrir mes histoires. Qu'avais-je à y perdre, puisque je ne m'adonnais qu'à un divertissement ? 

Quelques mois plus tard, elle me confia la décoration d'une nouvelle réception, à laquelle je fus bien sur conviée.

- Line, je peux vous appeler Line, n'est-ce-pas ? Vous ne m'en voudrez pas, j'espère, d'avoir montré vos écrits à un ami de la famille. Il s'est montré très enthousiaste et souhaite vous rencontrer. Suivez-moi, je vais vous présenter.

L'homme en question se lançait dans l'édition. Il me félicita pour mon talent certain, mais m'avoua aussi que j'avais encore beaucoup de travail si j'envisageais d'être un jour publiée. La proposition qu'il me fit ensuite allait me plonger dans de profondes réflexions.

- Je suis à la recherche de membres pour composer un comité de lecture. Si ce milieu et ce poste vous intéressent, contactez-moi pour que nous puissions nous entendre. Ne tardez pas, j'ai déjà plusieurs candidats.



Je vivais enfin de ma passion pour la lecture, que je partageais avec mes collègues de travail. Nous avions parfois des avis divergents à propos de telle ou telle oeuvre, ce qui donnait lieu à des conversations houleuses, mais nous finissions toujours par trouver un terrain d'entente et par rire de nos éclats de voix.

Mais toute bonne chose ayant une fin, j'ai pris la difficile décision de tout quitter une nouvelle fois. Mon travail pour cet éditeur m'ayant permis de beaucoup progresser, ce dernier me poussa à postuler pour un poste similaire dans le Languedoc-Roussillon.

Voilà pourquoi mon fils et moi prenons encore une fois un nouveau départ.



Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Ysabel Floake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0