La Veuve (4/5)

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21 / INT. – NUIT / GRENIER DE LA BÂTISSE

Pondevy et le colonel transportent le capitaine sur sa couche. Il a perdu connaissance. Le sergent Pondevy ne sent plus son pouls. Ils le déposent sur sa couche. Pondevy tente un massage cardiaque. Il a du sang sur les mains car les bandages du capitaine en sont imbibés, poisseux. Le colonel Ardavast, Le Guehennec et Sainte-Anne sont dans l'attente. Inquiet, Sainte-Anne refuse de lâcher la main de Sachedieu. Le colonel tente de l'éloigner. Le jeune homme refuse. D'un regard, Pondevy fait comprendre au colonel Ardavast et à Le Guehennec qu'il ne peut sauver le blessé. Le capitaine Sachedieu a un dernier râle. Il meurt sans avoir repris connaissance. Les quatre hommes sont effondrés, prostrés.

22 / INT. – NUIT / GRENIER DE LA BÂTISSE

Alors que les autres se sont endormis, Sainte-Anne est toujours assis auprès du capitaine Sachedieu dont il n'a pas lâché la main. Il renifle, nerveux. Son visage est barbouillé de larmes et de poussière. Il fouille dans l'une des poches de sa vareuse. Avec un mouchoir, il sort la feuille de papier jauni. C'est celle qui était accrochée sur la porte en bas de l'escalier, l'avertissement de la veuve. D'une main, il la déplie, et la relie encore et encore. Au loin, les cliquetis continuent à se faire entendre de plus en plus fort jusqu'à en devenir assourdissants. Lâchant la main du capitaine, Sainte-Anne se lève, et se dirige une nouvelle fois vers le fond du grenier. Le Guehennec, allongé, le voit passer. Il est sur le point de se lever. La main du colonel Ardavast le retient. Pondevy ne dort pas non plus. Il se lève et prend la place de Sainte-Anne et veille le mort. Il suit un instant la lumière vacillante de sa lanterne dans les profondeurs de l'obscurité. Autour des trois hommes en vie et du mort, tout est silencieux. Même le son du vent s'est éteint.

23 / INT. – NUIT / REZ-DE-CHAUSSÉE DE LA BÂTISSE

Sainte-Anne appuie sur l'interrupteur. La lumière éclaire un atelier vide de tout son mobilier, à l'exception de quelques guéridons sur lesquels se trouvent de la vaisselle précieuse et des mets raffinés, et des fauteuils dans lesquels sont assis des automates. Il y a aussi une grande cheminée dans laquelle brûle un feu ardent. Les lieux ressemblent maintenant à un salon du XVIIIe siècle. D'autres automates sont debout, en petits groupes, autour d'un espace vide au centre duquel se trouve Sainte-Anne. Ils sont immobiles et silencieux. Pourtant, ils semblent plus vivants encore que lors de la précédente visite. Sainte-Anne est désorienté, hésitant. Il sait ce qu'il veut et qui il veut trouver : la veuve. Il la cherche parmi les automates, et la découvre, forme altière voilée de noir. Il s'avance vers elle. Les automates s'écartent sur son passage. Il s'arrête devant elle, apparition funeste, sanglée dans sa robe sombre, voilée de la tête aux épaules. Rien ne permet de distinguer son apparence physique, si ce n'est qu'elle semble aussi fragile qu'un automate. Elle reste immobile. Autour d'eux, certains automates sourient... des sourires carnassiers, d'autres moqueurs, d'autres automates chuchotent... Tels des humains. Sainte-Anne prend la main de la créature. Elle se laisse conduire au centre de l'espace vide, sa démarche est humaine, bien qu'un peu saccadée, comme quelqu'un qui n'aurait pas marché depuis longtemps. Sainte-Anne n'hésite pas. Sans lâcher la créature, il pose son autre main sur sa taille. Elle a un geste de surprise lorsqu'il prend l'initiative. Les automates musiciens commencent à jouer sur un rythme lent permettant aux deux danseurs de s'habituer l'un à l'autre. Le rythme ne tarde pas à accélérer jusqu'à devenir frénétique. Très vite, la danseuse reprend l'initiative et révèle une énergie et une rapidité diaboliques. La détermination de Sainte-Anne est telle qu'elle lui permet de rivaliser avec la danseuse dont le but évident est de lui faire lâcher prise de grès ou de force. Alors que tout est en mouvement autour de lui, il remarque une anomalie, sur les automates qui ne cessent de les frôler, qui lui avait échappée jusqu'alors. Tous ont une marque autour du cou, comme une cicatrice... Sur son visage, commencent à se lire le doute et l'effroi. Pourtant, il résiste. Il n'a plus la notion du temps. Les visages des créatures autour de lui deviennent flous. Lorsque la musique et la danse s'arrêtent, ils ne sont plus que deux dans une pièce vide. Elle soulève son voile. Lui seul peut voir son visage. Il est surpris, peut-être ému. Elle approche ses lèvres des siennes, les frôle, sans aller plus loin, toutefois. Une fois encore, c'est lui qui prend l'initiative. Il l'embrasse avec douceur, presque timidement.

24 / INT. – NUIT / GRENIER DE LA BÂTISSE

Pondevy s'est assoupi à côté de Sachedieu. De curieux bruits gutturaux se font entendre dans le silence nocturne et le réveillent peu à peu. Il met un peu de temps à comprendre que ces bruits sont produits par Sachedieu. Celui-ci essaie de respirer. Quelque chose lui obstrue la gorge. Pondevy est surpris. Il le tourne néanmoins sur le côté en le soulevant. Le capitaine peut évacuer ce qui lui obstrue la gorge. Le Guehennec et le colonel Ardavast se redressent. Sur leur visage, se lit un mélange d'incompréhension et de crainte. Leurs regards croisent celui de Pondevy, paniqué. Les deux hommes se rapprochent.

LE GUEHENNEC

T'avais pas dit qu'il était mort ?

LE SERGENT PONDEVY

Il était mort... Enfin, c'est ce que je croyais... Non, j'en suis certain, il était mort...

LE GUEHENNEC

Alors, t'explique ça comment ?

LE SERGENT PONDEVY (énervé)

Je ne peux pas l'expliquer... à moins... à moins que...

Il regarde autour de lui, à la recherche de quelque chose, ou plutôt de quelqu'un. Le colonel Ardavast s'agenouille auprès du capitaine qui continue à étouffer, tandis que Le Guehennec élève sa lanterne au-dessus d'eux. Penché devant la bouche du capitaine, le sergent Pondevy essaie de voir ce qui l'empêche de respirer.

LE SERGENT PONDEVY (Au colonel Ardavast)

Prenez ma place et tenez-lui la tête... et empêchez-le de me mordre... Je tiens à garder tous mes doigts jusqu'à la fin de cette foutue guerre si possible.

Les deux hommes échangent leur place. Dès que le colonel Ardavast a immobilisé Sachedieu, aidé par Le Guehennec qui, sans lâcher la lanterne, essaie de lui maintenir les jambes et l'empêcher de convulser, Pondevy plonge deux doigts dans la bouche de Sachedieu.

LE SERGENT PONDEVY (paniqué)

Je sais pas ce que c'est… mais ça bouge...

Pondevy retire précipitamment les doigts de la bouche du capitaine, entraînant avec eux une matière noire d'encre, visqueuse et collante comme de la résine chaude. Il essaie de s'en débarrasser, en vain. Sachedieu a un hoquet. Il réussit à vomir. Cela ressemble à une flaque d'encre et, de ce liquide, fuient une poignée de petites araignées noires, en direction du fourrage. Elles laissent des traînées d'encre derrière elles. Le Guehennec fait un bond en arrière lorsqu'une des créatures menace de le toucher.

LE GUEHENNEC

Saloperie... C'est quoi ces... bestioles ?

SACHEDIEU (dans un souffle)

Sainte-Anne...

Sachedieu suffoque. Il ne parvient plus à respirer. Il se noie. L'obscurité est tout autour de lui.

25 / INT. – NUIT / PIÈCE RESSEMBLANT À UNE SALLE DE BAIN

Une eau sombre. Des lumières blanches apparaissent faiblement dans les profondeurs bleutées. Elles sont fragiles, tremblantes. Elles donnent aux bulles d'air qui montent vers la surface ou descendent dans les profondeurs l'aspect de perles argentées ou de gouttes de mercure. Le haut, le bas, il n'y a aucun repère. La lumière scintillante fait danser les bulles d'air dans les remous de l'eau. Le mouvement est aussi reposant et hypnotique que le nocturne de Chopin assourdi par l'eau et la distance que l'on parvient à entendre. Il y a un éclair blanc très violent. Sachedieu se débat pour sortir de l'eau. Il parvient à sortir la tête et aspire autant d'air qu'il le peut, mais retombe dans l'eau. Il essaie à nouveau et parvient, cette fois, à rester à la surface. Il est nu, dans une sorte de baignoire d'où partent des dizaines de fils auxquels il est relié, dans une pièce faiblement éclairée. Une lampe accrochée au plafond grésille et jette des lueurs lugubres sur le carrelage verdâtre. Dans la pièce, il y a au moins cinq autres baignoires contenant des corps humains reliés à des fils qui courent dans toute la pièce. A moitié inconscient, il essaie de retrouver une façon normale de respirer, il grelotte.

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