La Veuve (2/5)

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18 / INT. – NUIT / GRENIER DE LA BÂTISSE

Bruit de volet en bois raclant le sol. Une lanterne est allumée. Les visages et les silhouettes de Pondevy, Le Guehennec, Sainte-Anne et Ardavast apparaissent à sa lueur. Le Guehennec a l'une de ses mains, celle qui tient la lanterne, bandée. Le bandage est sale et à moitié défait. Ardavast a une mauvaise blessure à la tête, et une autre au cou. Tous ont des écorchures sur le visage et les mains, du sang sur leurs uniformes. Appuyé à l'une des poutres du toit, le capitaine Sachedieu, le regard voilé par la douleur, est mal en point. Il y a du sang sur sa capote. Beaucoup de sang. Il grimace de douleur en se débarrassant de son harnachement (bretelles de suspension, ceinturon à plaque, cartouchière, musette, étui de révolver...). Il ne prend pas la peine de les ranger. Il se contente de les mettre en tas, à ses pieds. Ses gestes sont lents et douloureux.

LE CAPITAINE SACHEDIEU (d'une voix affaiblie)

Le Guehennec, éteints cette lanterne... Tu veux nous faire repérer ?

Le Guehennec ne répond pas. Il garde sa lanterne allumée et interroge Ardavast du regard.

LE COLONEL ARDAVAST (d'une voix fatiguée)

Il a raison, mais on ne peut pas le faire tant qu'on ne sait pas où nous sommes. Sergent Pondevy, occupez-vous de lui, voulez-vous ?

LE CAPITAINE SACHEDIEU (d'une voix affaiblie)

On a quitté un piège pour un autre, n'est-ce pas colonel ? Et cette fois, c'est sans issue...

Pondevy s'approche de Sachedieu. Il porte un brassard de la croix rouge sur la manche gauche de sa capote, au-dessus de son insigne de sergent. Il l'aide à s'asseoir sur le plancher et commence à déboutonner sa capote. Sachedieu le repousse.

LE SERGENT PONDEVY (d'une voix basse, rassurante)

Calme-toi, Raven... Personne ne peut ni nous voir, ni grimper jusqu'ici. L'échelle est remontée.

A côté d'eux, un peu en retrait, Sainte-Anne observe ses compagnons, et en particulier le capitaine Sachedieu et le sergent Pondevy. Il ne cache pas son inquiétude. Le capitaine lui sourit faiblement pour le rassurer.

LE CAPITAINE SACHEDIEU (À Pondevy, d'une voix affaiblie)

Occupe-toi de Brun... Il en a plus besoin que moi...

Pondevy regarde tour à tour Ardavast, Le Guehennec et Sainte-Anne. Chacun se souvient de celui qui fut un temps leur compagnon d'armes et de ce qui lui est arrivé...


LE SERGENT PONDEVY

Brun est mort... On a été obligé de le laisser sur place...

LE GUEHENNEC

Pour ce qu'il en restait...

Ardavast lui fait signe de se taire. Le Guehennec s'excuse silencieusement. Le capitaine Sachedieu ferme les yeux, douloureusement, et les rouvre presque aussitôt. Il passe sa main sur son front bouillant. Pondevy essaie de stopper le sang qui coule de sa plaie. Il lui confectionne un pansement de fortune...

LE SERGENT PONDEVY (en se relevant)

C'est tout ce que je peux faire pour l'instant. (À Sainte-Anne) Fais-moi signe, s'il se passe quelque chose...

LE CAPITAINE SACHEDIEU (d'une voix affaiblie)

Eh... Je suis pas mort... Pas encore.

LE SERGENT PONDEVY (avec un sourire triste)

Tu serais capable de passer l'arme à gauche sans nous prévenir. (Il se redresse). C'est pour ça que je préfère faire confiance à Sainte-Anne.

LE CAPITAINE SACHEDIEU (d'une voix affaiblie)

Comme s'il allait...

Sainte-Anne émet un sifflement qui fait sursauter Ardavast et Le Guehennec. Le capitaine n'ajoute rien de plus. Pondevy rejoint Ardavast et commence à nettoyer sa plaie à la tête malgré ses protestations. Sainte-Anne s'assied auprès du capitaine. Il est attentif au moindre de ses mouvements. Le capitaine tente de lui sourire, de le rassurer. La tentative est pitoyable. Un léger son de harpe éolienne, accompagné d'un tout aussi léger cliquètement, semble provenir du fond du grenier. Sainte-Anne tourne la tête vers la partie inconnue du grenier. Son regard se heurte à l'obscurité. Le son disparaît, et Sainte-Anne l'oublie aussitôt et reporte son attention sur l'état de santé du capitaine. Personne d'autre n'a réagi à ce son. Pondevy achève de nettoyer la plaie du colonel Ardavast et lui pose une compresse sur le cou. Ardavast pose une main amicale sur l'épaule de Pondevy. Celui-ci hausse les épaules et retourne auprès de Sachedieu. Sans lui demander son avis, toujours en silence, il déboutonne sa chemise imbibée de sang, et soulève le pansement. Le capitaine a une profonde et vilaine blessure au torse, provoquée par une arme à feu. Pondevy le force à se redresser un peu. Il a une autre blessure similaire dans le dos, là où la balle est ressortie. Il commence à désinfecter cette seconde plaie. Ardavast lui apporte son aide. Au-dessus d'eux, la lumière de la lampe vacille. Le Guehennec détourne la tête. Dehors le vent, assourdi par les murs de leur abri, siffle de façon lugubre.

LE CAPITAINE SACHEDIEU (d'une voix creuse, sans conviction)

Gaffe avec le feu... Ça a au moins dix ans... Ça flamberait comme un rien...

Le Guehennec se retourne et éclaire devant lui. Autour d'eux, il y a de la paille en vrac, et des tas de foin. Le fond du grenier, plongé dans l'obscurité, est hors de vue.

LE SERGENT PONDEVY

La lumière... Le Guehennec... On a besoin de lumière.

Pondevy s'acharne à nettoyer la blessure du capitaine. Le sang continue à couler. Le visage de Sachedieu est un masque de douleur. Ses yeux sont brillants. De l'une de ses musettes, Pondevy sort de nouvelles compresses, les dernières, et des bandages. Évitant toujours de regarder la blessure de son capitaine, Le Guehennec ôte sa ceinture d'une main et l'utilise pour fixer la lanterne à une poutre. Puis, il claque des doigts sous le nez de Sainte-Anne. Concentré sur les gestes de Pondevy, le jeune homme sursaute.

LE GUEHENNEC

Allume ta lampe et amène-toi. Faut qu'on visite le coin. Histoire de voir si y'a quelque chose d'intéressant...

Sainte-Anne se lève et attrape sa lanterne. Il l'allume en suivant Le Guehennec. Avec prudence, les deux hommes effectuent la traversée du grenier. Autour d'eux, toujours la même paille, le même foin, poussiéreux. Se rendant compte que Sainte-Anne s'est arrêté, Le Guehennec revient sur ses pas. Sainte-Anne est resté en arrêt devant une énorme araignée suspendue à son fil.

LE GUEHENNEC

La vache... J'en ai rarement vu d'aussi grosses... Peut-être même jamais...

Il prend le fil entre ses doigts. Avant que l'araignée le remonte jusqu'à sa main, il le secoue. Elle tombe sur le sol. Il l'écrase sous la semelle de son soulier, la réduit en une bouillie mêlée de poussière. Sainte-Anne a une moue écœurée.

LE GUEHENNEC

Me dis pas que t'as plus peur des araignées que de nos gaspards... ou des fritz... En plus, ça rend service...

D'autres insectes, sortis du fourrage, se rapprochent et commencent à se nourrir des restes de l'araignée. Sainte-Anne fait un bond. Quelque chose vient de frôler sa nuque et sa joue. Une chauve-souris. Il manque de lâcher sa lanterne, et la rattrape avant qu'elle se brise sur le sol. Il se brûle les mains. Sans s'occuper de sa douleur, Le Guehennec lui prend la lanterne des mains et l'élève direction du toit, là où le chiroptère a disparu. Les deux hommes lèvent la tête lentement. Au-dessus d'eux, accrochées avec une régularité parfaite, et menaçante, des dizaines de fourches, les dents pointées dans leur direction, frémissent au passage de la minuscule créature. Ils ont du mal à se détacher de cette effroyable vision.

LE GUEHENNEC

Ils ont une drôle de conception du séchage dans le pays... Pas d'escalier, pas de porte, une seule fenêtre, une collection d'outils bizarrement accrochés... et des insectes plus gros que la normale... C't endroit me plaît pas du tout.

Ils avancent encore un peu. Un mur apparaît devant eux. Le Guehennec promène encore la lanterne autour de lui.

LE GUEHENNEC

Y-a pas à dire, les escaliers, celui qui a construit c'te baraque, y connaissait pas. On rejoint les autres.

Sainte-Anne est prêt à le suivre lorsque, de nouveau, les sons d'une harpe éolienne et d'un cliquètement, ressemblant à celui d'une machine à écrire de type Remington, se font entendre plus nettement. Il y a aussi de vagues sons d'horlogerie. Le Guehennec ne réagit pas. Seul, Sainte-Anne l'entend. Toutefois, il ne se hasarde pas à rester seul dans l'obscurité et rejoint Le Guehennec. Ils retrouvent les autres. Le capitaine s'est endormi. Le Guehennec s'assoit devant la lucarne, et déplie une couverture sur lui avant de coller l'une de ses oreilles contre le bois du volet. Sainte-Anne s'assied auprès du capitaine. Il observe Ardavast et Pondevy qui discutent à l'écart.

LE COLONEL ARDAVAST

Faut pas qu'on reste ici, sergent, même pour une nuit... Sachedieu a raison, nous nous sommes piégés nous-mêmes.

LE SERGENT PONDEVY

On peut pas faire autrement... Si on le bouge, le capitaine va y passer...

LE COLONEL ARDAVAST

Ne prenez pas mal ce que je vais dire, sergent... Marius... Mais qu'on le bouge ou pas, il va y passer quand même, non ?

LE GUEHENNEC (en chuchotant)

Sauf votre respect, colonel, sergent, fermez-la, j'essaie de comprendre ce que les pruscos y racontent en bas...

Ardavast, Pondevy et Sainte-Anne, inquiets, se rapprochent de lui précipitamment. Le Guehennec décolle son oreille du volet. Il n'est pas rassuré.

LE COLONEL ARDAVAST

Alors ?

LE GUEHENNEC (En chuchotant)

J'ai pas tout compris mais je crois qu'on peut dormir tranquille cette nuit... Y monteront pas.

LE SERGENT PONDEVY

Cette nuit, d'accord, mais demain matin quand il fera jour et qu'ils auront trouvé une échelle ?

LE COLONEL ARDAVAST

On avisera. Tout ce qu'on peut faire, c'est attendre... et dormir pour reprendre des forces.

LE GUEHENNEC

Vous en avez de bonnes, vous. Vous n'avez pas vu ce qu'on a vu Sainte-Anne et moi... Y'a des centaines de fourches suspendues sous le toit, là-bas...

Le Guehennec pointe un doigt vers la partie obscure du grenier. Pondevy regarde Sainte-Anne qui confirme d'un signe de tête et retourne s'asseoir auprès du capitaine, toujours inconscient.

LE GUEHENNEC (En chuchotant)

Les pruscos... Ils ont aussi parlé d'une veuve qu'habiterait ici. Y disent qu'elle porte malheur à ceux qui la croisent. C'est pour ça qu'ils cherchent pas à entrer.

LE COLONEL ARDAVAST

Je doute qu'une femme, quelle qu'elle soit, habite ici. Des superstitions, rien de plus. Maintenant, on se calme...

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