Quand l’alouette a chanté (5/5)

6 minutes de lecture

LE SERGENT PONDEVY (à voix basse à Sachedieu)

Capitaine, je crois qu'on a un gros problème...

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Si vous désertez, vous serez obligés de fuir toute votre vie. Vous pensez qu’elle sera meilleure ? (Il désigne Sainte-Anne) Et lui ? Il n'a même pas vingt ans, c'est cette vie que vous voulez lui imposer ?

PAGNAT

Il a peut-être pas vingt ans, mais il en a vu autant que nous. C'est à lui de décider ce qu'il doit faire...

Les deux hommes commencent à reculer. Blastre et Le Guehennec reprennent la route de leur côté. Pondevy resserre les sangles de son havresac. Sainte-Anne, toujours hésitant, voit ses deux compagnons s'éloigner et panique. Le capitaine Sachedieu s'avance vers lui, calme. A mesure qu'il s'approche, Sainte-Anne recule. Il est sur le point de se décharger de son havresac. Le capitaine s'arrête.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Sainte-Anne, réfléchissez... Vous allez devenir un fugitif. Si on vous arrête, c'est le peloton d'exécution. Vous n'aurez même pas le droit à un jugement.

Sainte-Anne blêmit. Deux coups de feu sont tirés juste derrière Sachedieu.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Non de D…

Sainte-Anne porte une main à son front. Il en retire du sang. Mais c’est Pagnat qui s'écroule, à quelques mètres derrière lui. Le capitaine Borel tient le second déserteur en joue, prêt à refaire feu. Ignorant le danger, Pondevy court vers les déserteurs. Il entre dans la ligne de tir de Borel qui enclenche le percuteur de son révolver. Le capitaine Sachedieu se retourne sur lui et parvient à détourner les tirs. Pondevy, Sainte-Anne et Papion plongent au sol. Une lutte s'engage entre les deux capitaines. Borel parvient à frapper son adversaire assez fort pour le déséquilibrer. En se relevant, le capitaine Sachedieu sent le canon du 1892, que Borel n'hésite pas à armer de nouveau, sur sa tempe. Pondevy est auprès de Pagnat qui agonise. Il lui porte les premiers secours sans quitter des yeux les deux capitaines. Derrière lui, Papion rampe jusqu'à un fossé. Pondevy voit Borel prendre le révolver que Sachedieu porte à sa ceinture. Une arme dans chaque main, l'une dirigée vers la tête de Sachedieu, l'autre vers Sainte-Anne. Borel oblige celui-ci à se relever. Pagnat gémit. Il attrape la main de Pondevy, la serre très fort et lâche son dernier souffle. Le sergent n'a pas le temps de s'apitoyer. Évitant tout geste brusque propre à attirer l'attention de Borel, il arme son fusil.

LE CAPITAINE BOREL (haletant, et à voix basse)

Tu te demandes si je vais te tirer une balle dans la tête, Sachedieu ? Je ne sais pas encore, mais c’est pas l’envie qui me manque, alors ne me tente pas... (A voix haute, forte) Posez tous vos armes par terre... et faites dix pas en arrière. (A Sainte-Anne) Ramasse leurs armes et ramène les ici. (Il élève encore la voix) Exécution soldats !

Le Guehennec et Blastre s'exécutent. Sainte-Anne aussi, mais à mi-chemin entre les deux soldats et Borel, il s'arrête. Il n'a plus peur de Borel, ni de quoi que ce soit d'autre. Il y a quelque chose de déterminé dans son regard. Le Guehennec et Blastre perçoivent son changement d'attitude. Du regard et par des gestes discrets, Le Guehennec tente de dissuader le jeune soldat, quoi qu'il ait en tête. Sainte-Anne se décharge de son paquetage calmement. Borel le remarque mais ne s'en inquiète pas. Tenant toujours en joue Sachedieu, et se servant de lui comme une protection, il pointe sa seconde arme en direction du sergent Pondevy. Il cherche Papion du regard. L’absence de celui-ci le déstabilise. Sainte-Anne lui saute dessus et le prend à la gorge. L’attaque est aussi foudroyante que violente. Borel tire à plusieurs reprises. Le capitaine Sachedieu parvient à le désarmer tant bien que mal. De sa position, Pondevy perçoit une mêlée confuse. Il en profite pour gagner le fossé. Papion s'y traîne. Apercevant, le sergent, Papion se redresse et se met à courir à travers champ, sans un regard derrière lui.

13 / (Flash-back 2) EXT. – JOUR / SUR UNE ROUTE DE CAMPAGNE. PLUS TARD

Sachedieu parvient à séparer Sainte-Anne de Borel. Il contient difficilement le jeune soldat qui se débat, la bouche sanglante, ainsi que le cou et la poitrine, sans blessure apparente. Borel leur fait face en se tenant la gorge à deux mains. Il y a du sang sur son uniforme et sur sa figure. Sa bouche émet d’étranges borborygmes. Sa respiration est difficile. Il s’agenouille. Derrière Sachedieu, Le Guehennec et Blastre sont livides. Pondevy les rejoint. En contournant Borel, il voit des filets de sang couler entre ses doigts. Ses mains ne peuvent arrêter le sang qui s'écoule de plus en plus. Le sergent veut lui porter secours. Quelqu'un le retient. Il ne cherche pas à savoir qui. Comme les autres, il le regarde mourir. Borel cesse de respirer. Ses mains rougies glissent le long de son corps qui s'effondre. Le sang se répand sur la terre sèche sous sa tête et sa gorge déchirée. Sainte-Anne abandonne sa lutte contre l’étreinte qui le tient prisonnier. Sainte-Anne est en état de choc. Il a un haut-le-cœur. Il crache du sang… celui de Borel.

14 / (Flash-back 1) EXT. – JOUR / CAMPEMENT DANS LE PARC

Sainte-Anne est au sol. Son estomac s'est à nouveau logé dans sa gorge mais il n'a plus rien à vomir. Le sergent Pondevy l'aide à se relever tant bien que mal. La gravité reprend ses droits. Il pleut encore un peu.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

... Après on les a enterrés…

Le Guehennec et Blastre se rapprochent du capitaine Sachedieu et du colonel Ardavast qui les observe l'un après l'autre.

LE COLONEL ARDAVAST (en observant Sainte-Anne)

Vous pensez tous qu'il vous a sauvé la vie ?

LE GUEHENNEC

Si c'est pas le cas, sur le moment, et de là où on était, ça y ressemblait beaucoup, mon colonel, mais je suis pas certain qu'un juge soit du même avis.

BLASTRE (d'une voix chuintante)

Les choses, e's'sont passées comme le capitaine les a dites. On était tous témoins, et ça, l' Borel, i' nous l'aurait jamais pardonné… Tôt ou tard, i' nous aurait mis une balle par derrière... et tout l' monde aurait pensé qu'on s'rait tombés pour la patrie.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Les gendarmes...

LE COLONEL ARDAVAST

... sont juste venus ramener un déserteur, c'est tout.

Sachedieu est le premier à comprendre. Il reste calme, mais son regard brûle de colère. Le Guehennec s'interroge. Blastre affiche un sourire carnassier. Sainte-Anne chancelle. Pondevy le retient de justesse et le serre contre lui. Le sergent est au bord des larmes. Ils comprennent tous qu'ils ont été joués.

LE SERGENT PONDEVY

Mais, mon colonel... Vous avez dit… Les corps…

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Du bluff, Sergent... Les gendarmes n'ont rien découvert... On s'est fait avoir comme des bleus !

LE COLONEL ARDAVAST

Disons que j'ai de l'instinct, et je n’ai aucun scrupule à m’en servir. (Au capitaine) Votre allusion sur la désertion de Borel manquait de conviction. J’ai aussi observé la façon dont vous protégiez tous Sainte-Anne… Toujours un œil sur lui…

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Et vous vous êtes demandé pourquoi ?

LE COLONEL ARDAVAST

Vous avez toujours eu cette propension à protéger la veuve et l'orphelin, capitaine Sachedieu, et la stupidité de croire que vous pourriez sauver des criminels malgré eux. (Son regard se pose sur Sainte-Anne, toujours soutenu par Pondevy)

LE SERGENT PONDEVY

La guerre a fait des criminels de nous tous.

LE COLONEL ARDAVAST (fixant Pondevy et Sainte-Anne)

Elle n'a fait qu'exacerber nos qualités et nos défauts, sergent. Elle nous a obligés à faire des choix que nous n'avons jamais eu à faire en temps de paix, et nous allons devoir vivre avec.

Le ressentiment des cinq soldats laisse place à une expression d'incertitude.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Qu'allez-vous faire de... de nous, mon colonel ?

LE COLONEL ARDAVAST

Vous n'avez donc pas compris pourquoi on vous a envoyés ici, tous ?

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Pour les mêmes raisons que vous, j'imagine.

LE COLONEL ARDAVAST

Quelqu'un a eu peur de moi, capitaine et souhaite me savoir mort. Quelqu'un à que j'ai attaqué de front et qui a décampé comme un animal peureux, mais je lui ai tourné le dos trop vite.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Les uniformes qui n'arrivent pas...

LE COLONEL ARDAVAST

L'espérance de vie, ici, est de moins d'un an. Si quelqu'un veut vous voir mort, capitaine Sachedieu, son vœu risque d'être exaucé dans les prochains mois... D'autant que ce n’est pas le moment de sombrer dans la folie, Sainte-Anne vous m’entendez ?

Suite in : La Veuve

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