Quand l’alouette a chanté (3/5)

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7 / (Flash-back 1) INT. – JOUR / TENTE DU COLONEL ARDAVAST

Le capitaine reste près de la sortie. Il jette un coup d'œil rapide sur les lieux : au centre, une table, au fond, un lit de camp, et à côté du lit, sur une vieille chaise, quelques effets personnels. Le colonel s'approche de la table et fouille parmi les documents, les livres et les cartes d'état-major qui se trouvent dessus. Il finit par en extraire un dossier dont il fait mine de parcourir les feuillets tout en observant le capitaine à la dérobée. Il ferme le dossier et le pose parmi les autres documents.

LE COLONEL ARDAVAST

Capitaine Sachedieu, j’attendais huit hommes, hier. Vous arrivez avec un jour de retard, et vous n’êtes que cinq. Pouvez-vous m’en expliquer les raisons ?

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Nous nous sommes perdus, mon colonel.

Le colonel a un sourire froid. Il ne semble guère éprouver de sympathie pour le capitaine. Le sentiment est réciproque.

LE COLONEL ARDAVAST

Capitaine, nous nous connaissons trop bien pour croire que l’un de nous est un imbécile. Cette guerre a fait de nous des survivants…

LE CAPITAINE SACHEDIEU (le coupant)

Certains n’arrivent pas à l’assumer.

LE COLONEL ARDAVAST

Et ils préfèrent déserter... Cela ne me surprend pas de simples soldats, mais d'un capitaine… Vos hommes, et vous-même étiez sous les ordres de Borel. Vous avez été mis à sa disposition, il y a trois mois, après que votre unité ait été décimée à Vaux.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Nous obéissions aux mêmes ordres, mais Borel commandait ses hommes, et moi les miens. Pagnat et Papion étaient sous sa responsabilité.

LE COLONEL ARDAVAST

Comme le 2nde classe Sainte-Anne. Pourquoi ne les a-t-il pas suivis ? Je suppose que vous lui avez posé la question.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Il ne parle pas. Le sergent Pondevy pense qu’il est muet… ou trop traumatisé pour parler.

LE COLONEL ARDAVAST

Trop traumatisé ? Pondevy est médecin ?

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Son père l’était. Le sergent s'est engagé comme infirmier dans les services de santé. C'est lui qui a soigné Blastre.

LE COLONEL ARDAVAST

Pourquoi n’a-t-il pas été renvoyé chez lui, celui-là ?

LE CAPITAINE SACHEDIEU

On a essayé. Il a passé dix mois à l'hôpital. Un jour, on l'a vu revenir. Il n’a jamais voulu repartir. S'il y en a un qui devrait rentrer chez lui, quelques jours, c’est Le Guehennec. Il a une femme et trois enfants. Cela fait plusieurs mois qu’il ne les a pas vus.

Le colonel lève la main. Il a compris.

LE COLONEL ARDAVAST

Toutes les permissions sont suspendues. Joffre veut lancer une offensive contre les boches, dans la Somme, et les britanniques vont nous y aider. Un régiment écossais arrive ici, demain.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Vous croyez que les allemands accepteront de danser aux sons des cornemuses ?

LE COLONEL ARDAVAST

Ne vous y fiez pas, capitaine. Il n’est pas question de victoire. Si on nous envoie là-bas, c’est pour occuper l'ennemi, le détourner de Verdun. Nous en revenons tous les deux, et nous savons ce qui s’y passe.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Vous pensez que cela va être pire ?

Le colonel a un rire désabusé.

LE COLONEL ARDAVAST

Verdun, ce n’est pas encore terminé… En tous les cas, ce ne sera pas mieux que là-bas. Joffre et sa clique veulent rendre la monnaie de leur pièce aux boches en les travaillant à l’usure, et tant pis ça doit nous coûter des centaines de milliers de vies.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Puis-je le dire à mes hommes ?

LE COLONEL ARDAVAST

Une fois qu'ils sauront, combien d’entre eux décideront de déserter ? Après tout, faites comme bon vous semble, capitaine. En attendant, allez donc les rejoindre et profitez du temps qu'il vous reste… Pensez aussi à trouver une autre réponse à ma question. La bonne, si possible.

Le capitaine salue le colonel. Une fois dehors, il lâche un soupir de soulagement.

8 / (Flash-back 1) EXT. – SOIR / LA ROULANTE (cantine qui suit les régiments)

Les cinq hommes sont attablés en compagnie d’autres soldats. Ils sont propres, tête entièrement rasée de frais, sauf Blastre. Les feux de camps sont allumés et des groupes se sont formés autour. Tous les soldats attablés ont l’air d’apprécier la nourriture. En particulier Sainte-Anne qui mange de bon cœur sous les regards de ses camarades. Il s’en rend compte et interroge du regard le capitaine Sachedieu qui le gratifie d'un sourire amical. Blastre, lui, a un rire ironique.

BLASTRE (d'une voix chuintante)

Vas-y, gamin. Mange. Tu ne sais pas qui te bouffera.

Le capitaine Sachedieu, le sergent Pondevy et le soldat Le Guehennec le regardent comme s’il avait dit la chose la plus stupide du monde. Quant à Sainte-Anne, il étouffe un renvoi et repousse sa gamelle. Avant que l’un d’entre eux ait pu dire quoi que ce soit, un soldat du camp aperçoit le colonel et l’interpelle.

LE SOLDAT

Mon colonel, vous en cassez une petite avec nous ?

Le colonel s'installe à côté de Sainte-Anne qui tente de se déplacer vers Blastre D’une bourrade, Blastre le renvoie à sa place. Ardavast, auquel la tentative de « fuite » du jeune homme n’a pas échappé, n'émet aucun commentaire et reporte son attention sur un soldat qui lui tend un quignon de pain. Sachedieu, Pondevy et Le Guehennec l’observent. Sainte-Anne ne bouge plus. Blastre mange, comme les autres soldats, sans se montrer surpris qu’un officier supérieur dîne parmi eux.

LE COLONEL ARDAVAST

Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, Capitaine, les officiers se font rares ici. A part les lieutenants Blanchet et notre chirurgien, le major Anselme, il n'y a que vous et moi. Cela vous met en deuxième position dans la chaîne de commandement…

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Je n'ai pas la prétention de prendre votre place. Je n'ai pas assez d'amis en haut lieu pour ça, colonel.

LE COLONEL ARDAVAST

Que Dieu préserve mes amis, comme vous dites, de me vouloir général avant la fin de cette guerre.

Les deux hommes éclatent de rire. L'atmosphère se détend.

9 / (Flash-back 1) EXT. – NUIT / CAMPEMENT DANS LE PARC

Les cinq soldats sont couchés autour de leur feu de camp. Réveillé, le sergent Pondevy observe ses compagnons. Le Guehennec tourne le dos au feu. Blastre, dont le souffle régulier indique qu'il dort profondément, émet un léger chuintement. Le capitaine Sachedieu est assis auprès de Sainte-Anne dont le sommeil est fiévreux. Lorsque celui-ci s'agite un peu trop, le capitaine pose une main apaisante sur sa poitrine ou sur son front. Le visage du jeune homme, éclairé par les flammes, perle de sueur. Celui du capitaine est pâle, malgré la lueur du feu.

LE SERGENT PONDEVY (couché sur son lit de camp)

Vous devriez dormir un peu, mon capitaine, sinon vous ne tiendrez pas longtemps.

Le capitaine Sachedieu ne répond pas. Il fixe les flammes devant lui.

LE SERGENT PONDEVY

Qu'est-ce qui arriverait si vous lâchiez prise, vous aussi ? Le colonel est peut-être quelqu'un de bien, mais nous, c'est sur vous qu'on compte… depuis le début. Combien de temps croyez-vous que le gamin tiendra, sans vous, avant de devenir complètement dingue ? Et nous ? On a tous besoin de vous...

Le capitaine regarde le sergent qui se lève, attrape sa couverture, et le rejoint.

LE SERGENT PONDEVY (accroupi, face au capitaine)

Faites pas l'enfant, mon capitaine, et laissez-moi votre place. Je vais veiller sur lui.

Le capitaine pose une main amicale sur l'épaule du sergent. Il se lève, fourbu de fatigue. Les deux hommes échangent leur place.

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