Quand l’alouette a chanté (4/5)

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10 / (Flash-back 1) EXT. – MATIN / CAMPEMENT DANS LE PARC

Le crépitement d'un feu, des bruits de casserole en fer, des voix, des cris, de la fumée, l’humidité… comme dans les tranchées, sur le front. Le capitaine Sachedieu se réveille en sursaut. Il a le visage blême. Il est désorienté, un court instant. Ses yeux le piquent à cause de la fumée. Il parvient à voir, au-delà de leur feu de camp éteint, Blastre, assis sur sa couche. Sur son visage déformé, se lit la panique et l’incompréhension. Autour d'eux, c'est un va-et-vient incessant de soldats. La plupart des tentes ont été démontées. Les équipements usés sont transportés vers un feu de joie, d'où provient la fumée. Quelques soldats sont attroupés autour et discutent en buvant un café, d’autres se sont rassemblés sous un abri de fortune, juste à côté. Une bruine, noircie par la fumée, tombe tristement sur le camp. Un mouvement proche attire l'attention du capitaine. Le sergent, à peine réveillé, vient de se rendre compte que Sainte-Anne a disparu. Il se lève, chancelant. Le capitaine le rejoint, suivi de Le Guehennec et de Blastre. Autour d'eux, il n'y a aucune trace du jeune soldat.


LE GUEHENNEC (Au sergent Pondevy)

On peut vraiment rien te confier à toi !


LE SERGENT PONDEVY

Tu crois que tu aurais fait mieux ?


LE CAPITAINE SACHEDIEU

La ferme, vous deux ! (Au sergent) On règlera ça plus tard. En attendant, il faut retrouver Sainte-Anne, et vite.


LE GUEHENNEC

Ça va pas être facile dans tout ce bordel… On se croirait presque à une fête de la Saint-Jean.


BLASTRE (d'une voix chuintante)

Pour c'qu'est du morveux, on a un aut’ problème… Les pandores ont mis la main d’sus avant nous...

Près du feu de joie, le colonel discute avec un gendarme. Plus loin, un autre attend auprès de Sainte-Anne dont les pieds et les poings sont enchaînés.


LE GUEHENNEC

On devrait parler au colonel, mon capitaine. Pendant qu’on peut encore sauver nos têtes…


LE CAPITAINE SACHEDIEU

Et celle de Sainte-Anne, tu y penses ?


L’un des gendarmes fait signe à l’autre de libérer le jeune soldat. Ils quittent le colonel en lui laissant Sainte-Anne qui aperçoit ses compagnons. Le colonel les voit aussi. Son regard ne laisse aucun doute sur ses intentions. Il fond sur eux, entraînant de force le jeune soldat dans son sillage. Si Pondevy, Le Guehennec et Blastre parviennent à prendre du champ, le capitaine n’a d’autre alternative que celle d’affronter le colonel qui libère sans ménagement un Sainte-Anne vindicatif.


LE COLONEL ARDAVAST (peu amène)

On m'a informé, capitaine, que les corps de deux soldats, sans papiers ni objets personnels sur eux, ont été découverts très tôt ce matin, entre la Biae des Lyonnes et ici. (Il jette un coup d’œil aux trois hommes en retrait) Et devinez qui on a trouvé, en train de se faire la belle, à moins d'un kilomètre d'ici ?


Le capitaine Sachedieu se tourne vers Sainte-Anne qui soutient son regard, avant de faire de nouveau face au colonel. Il garde ostensiblement le silence. Le colonel approche son visage du sien pour lui parler à l’oreille. Cependant, il parle suffisamment fort pour être entendu des quatre soldats. Sa voix a toujours la même douceur, mais une douceur inquiétante, cette fois.


LE COLONEL ARDAVAST

Dois-je vous rappeler certains « détails », capitaine, à propos des déserteurs et des meurtriers ?


LE CAPITAINE SACHEDIEU

Non, mon colonel.


LE COLONEL ARDAVAST

Bien, maintenant, on arrête de jouer au plus malin.

Le regard du colonel confirme qu'il ne plaisante pas. Le capitaine hésite. Il cherche ses mots. Il se tourne à nouveau vers Sainte-Anne. Cette fois, celui-ci ne parvient pas à cacher ses émotions. Difficile de savoir si c'est la pluie ou des larmes qui coulent sur son visage. Il ferme les yeux et s'essuie d'un revers de manche.


11 / (Flash-back 2) EXT. – JOUR / SUR UNE ROUTE DE CAMPAGNE.

Achevant son geste, Sainte-Anne ouvre les yeux. Il a du mal à ne pas les refermer. La lumière est très forte. Ils sont huit poilus, marchant sur une route de campagne, épuisés, écrasés par le poids de leur havresac et par la chaleur. Le Guehennec dépasse Sainte-Anne, Blastre et PAPION (environ 30 ans), un basque trapu à la peau halée par le soleil, pour rattraper le capitaine Sachedieu.


LE GUEHENNEC

On va encore marcher longtemps, mon capitaine ? Vous qu'êtes du coin, vous savez où y s'trouve ce fameux patelin ?


LE CAPITAINE

Je suis peut-être normand, Le Guehennec, mais je ne connais pas toutes les routes du pays par cœur.


PAPION

On est peut-être près de chez toi, Le Guehennec ! Toi qui voulais revoir ta bergère et ses lardons ! Si ça se trouve, t’en auras un ou deux de plus. Tu seras pas le premier à t’faire blouser d'la sorte...

Le Guehennec se retourne sans prévenir et bouscule le 2nde classe Papion.


LE GUEHENNEC

Tu parles pas de ce que tu connais pas ! Compris ?


L’autre, n'attendant que cela, se débarrasse de son havresac, ôte sa vareuse, et remonte les manches de sa chemise. Le Guehennec en fait de même. Les deux hommes se battent. Tout le monde se décharge de son équipement. Le 1ère classe PAGNAT (environ 30 ans), un blond aux yeux verts de taille moyenne, vient à la rescousse de Papion. Il attaque le sergent Pondevy. Sainte-Anne est prêt à se lancer dans la mêlée, lui aussi, mais Blastre l’oblige à reculer d'un simple geste.


BLASTRE (d'une voix chuintante)

Te mêle pas de ça, gamin. Y’z’ont des comptes à solder qui t'regardent pas plus que moi.


Le jeune soldat comprend qu'à cet instant, il n’a aucune chance face à Blastre. Il cherche alors, tel un fauve en cage, la brèche qui lui permettra de rejoindre ses compagnons, mais Blastre est vigilant. BOREL (environ 35 ans), au physique sportif, le regard clair, tantôt dur tantôt fuyant, ne cache pas sa satisfaction : ses hommes sont les plus offensifs. Il observe la scène, en fumant. Son regard sur le capitaine Sachedieu et ses hommes ne dit rien qui vaille. Sachedieu tente de ramener les quatre combattants à la raison. Il parvient finalement à les séparer.



12 / (Flash-back 2) EXT. – JOUR / SUR UNE ROUTE DE CAMPAGNE. PLUS TARD

Formant plusieurs groupes, sept des huit soldats sont assis au bord de la route. Pondevy et Le Guehennec mangent un biscuit du soldat. Papion et Pagnat discutent à voix basse. Sainte-Anne les écoute. Blastre, lui, s'est rapproché du capitaine Sachedieu. Tous les deux observent le capitaine Borel qui fait les cents pas sur la route, impatient, fumant cigarette sur cigarette, et se parlant à lui-même. Bien que ne montrant aucune sollicitude à l'égard du capitaine Borel, le capitaine Sachedieu décide que la pause a assez duré et se lève. Tous les soldats l'imitent et hissent leur havresac sur leur dos, sauf Pagnat qui pose son équipement à ses pieds. Papion se place à ses côtés et, avec son couteau de « boucher », coupe les sangles de son havresac qui s’écrase au sol dans un bruit de gamelles en ferraille. Sachedieu, Pondevy, Le Guehennec et Blastre se retournent d'un même mouvement. Sainte-Anne, entre Sachedieu et ses hommes, d'une part, et Pagnat et Papion, d'autre part, est hésitant sur la conduite à avoir. Le capitaine Borel apparaît aux côtés du capitaine Sachedieu.


PAGNAT (au capitaine Borel)

Désolé, mon capitaine, mais nous, on va continuer de notre côté.


LE SERGENT PONDEVY (derrière Sachedieu)

Faites pas les cons, les gars. Vous savez ce que vous risquez. En plus, ce sera à nous qu'ils demanderont de le faire…


PAGNAT

Pour ça, faudrait qu'ils nous retrouvent et nous rattrapent. Ici, c'est nulle part. Ça n'existe même pas... Sauf dans nos têtes. On a une chance de vivre vraiment. C'est maintenant qu'il faut la saisir parce qu'une fois arrivé, on aura plus le choix et on mourra.


LE SERGENT PONDEVY (à voix basse à Sachedieu)

Il est en train de perdre la tête...


LE CAPITAINE BOREL

C'est faux ! Vous êtes des hommes, des vrais, et vous avez choisi de vous battre pour la patrie…


PAPION

La patrie ? Il n'y a plus de patrie depuis longtemps. Tout n'est que mensonge. Le monde n'existe même plus. Il est mort, et c'est nous qui l'avons tué. Nous ne sommes plus que des survivants à la dérive quelque part... (il lève un doigt vers le ciel) dans l'espace...

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