Dimitri (premier chapitre partie 1)

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9 mois plus tôt.

Le général regarde une dernière fois son fils, à travers la vitre de sa cellule, avant qu'il ne se réveille. Il aimerait qu'il sorte de cet état végétatif et qu'il reprenne une vie normale, mais il sait pertinemment que ce ne sera pas le cas.

Le gradé serre les poings jusqu’à ce que ses jointures blanchissent. Il doit se ressaisir, Matthews va fatalement arriver pour les derniers contrôles. Le militaire ne doit pas montrer ses émotions ni son rejet de ce projet monstrueux, soi-disant pour le bien de l’humanité. Ce n’est rien de plus qu’un écran de fumée, une farce dangereuse qui risque de mal se terminer… On ne pourra pas tous les sauver, mais lesquels seront sacrifiés ? Son fils ? Il ne pouvait s’y résigner.

Le projet « Leukos » avance bien, trop bien même. Heureusement, il lui reste encore un peu de temps. Tout se jouera dans une course contre la montre. Il faudrait non seulement que les cobayes apprivoisent leur mutation, mais également qu’ils apprennent à vivre en communauté. Dans une moindre mesure, comment Dimitri et les autres accepteront-ils celui choisi pour être le chef du groupe. Ce FZ33UF aura-t-il les épaules assez larges ?

Le général doit faire semblant d’y croire, d’ailleurs, il ne le nommera plus par ce matricule. Dorénavant, il l’appellera par son prénom, Fabien, si tant est que ce soit vraiment le sien.

Un homme entre silencieusement dans la pièce et se dirige vers le patient. Il l’ausculte et affiche un mince sourire.

« Les constantes sont stables.

— Tant mieux, répond le général.

— Il devrait s’en sortir. Il lui faudra reprendre des forces. Il est trop maigre, juge le docteur.

— Vous êtes généreux, marmonne le gradé.

— La pesée du jour indique trente-cinq kilos, ce n’est pas si terrible. »

Le militaire manque de s'étouffer en entendant ces propos. Son gamin est d’une pâleur maladive avec le poids d’un gosse de douze ans et cet insecte ose lui dire que ce n’est pas si terrible ! Trente-cinq kilos à dix-huit ans ? Même s’il ne mesure qu’un mètre soixante-cinq, ce n'est même pas la moitié de ce qu'il devrait peser ! Toutefois, il savait que le traitement pouvait entraîner ce genre de conséquences. Après tout, comparé à d’autres, Dimitri s’en était bien sorti. C’est le plus important, et le général devrait s'en contenter. Le reste devrait passer au second plan, pour le moment du moins. Matthews le ramène à la réalité.

« Général Smythers, vous semblez perdu dans vos pensées.

— Excusez-moi Matthews.

— Ce n’est pas grave. Je vous comprends. Dimitri est stable, c'est l'essentiel. Il aura besoin de forces, mais il aura le temps de se rétablir avant la seconde phase.

— Merci de votre sollicitude, répond Smythers d'un ton qu'il souhaiterait moins brusque.

— De rien. J’ai apprécié de suivre le sujet. Ne vous méprenez pas cependant, ce ne sont que des cobayes à mes yeux.

— Néanmoins, je sais que vous avez veillé personnellement sur la plupart de nos patients, se radoucit le gradé.

— Je vais vous laisser, général. Profitez des derniers instants avec votre fils. Demain, vous serez réaffecté à un autre service. Vous connaissez le protocole. »

Après avoir quitté Matthews, les pas du général le ramènent vers sa chambre tandis que ses pensées se tournent vers son fils. Son unique enfant. La chair de sa chair. Prisonnier de cette organisation. Comment avait-il pu accepter cela ?

Il serre à nouveau les poings en repensant à feu son épouse. Et comment avait-il pu tomber amoureux de cette folle ? A l’époque, il n’était pas encore militaire. Juste un lycéen timide qui n’aimait guère le sport. Cependant, son professeur d’EPS lui avait appris à apprécier la natation. Il s’était entraîné jour et nuit pour gagner les championnats. Et il avait réussi ! Vu la tournure des événements, il s’en serait bien passé. C'était à cette époque que la « belle de la classe » l’avait remarqué. Elle venait de larguer le capitaine de foot américain et convoitait un autre trophée de chasse : quoi de mieux que le nouveau champion de nage inter-districts !

Il avait succombé à son regard azur, ses jambes fuselées, sa poitrine généreuse et naturelle — il ne supportait pas ces bombes siliconées — et son joli minois. Il aurait dû se méfier de son sourire enjoleur. Mais il était naïf et le fait de s’afficher avec la reine du lycée avait gonflé son ego. Il avait adoré lancer des regards ironiques à ce connard prétentieux de Drizell, surout depuis que les heures passées dans le bassin avaient définitivement transformé sa carrure.

Au début, ça avait été simple, ils s’attiraient et se trouvaient des points communs. Elle lui avait présenté son père, un scientifique qui s’inquiétait trop, selon lui, des impacts de l’homme sur la planète. Il était question de réchauffement climatique, de catastrophes écologiques : tremblements de terres, tsunamis, tornades et autres éruptions volcaniques. Heureusement ce dernier se basait sur des chiffres, sinon il l’aurait pris pour un fou. Mais c’eut été préférable…

Il s’était laissé emporté par leur l'enthousiasme. Le savant voyait en sa fille son successeur, elle accomplirait la destinée de l’humanité. Rien de moins que cela !

Tous trois avaient passé des soirées entières à discuter. D’abord à recenser toutes les catastrophes, puis les trier par nature, par date, par force, par importance des dégâts matériels. Par nombre de victimes.

C’était là qu’il aurait dû se méfier et quitter cette famille de barges. Cependant, à l’époque, il était tout autant passionné qu’eux par ces chiffres et ce constat alarmant. De plus, Edward hantait ses nuits, ses lèvres ouvertes en un O d'horreur et d'incompréhension lorsque le tsunami avait tout dévasté sur son passage avant de le happer dans son sillon. Par une chance insolente le typhon épargna le général ce qui le décida à franchir le cap.

Ils se creusèrent la tête, invitèrent d’autres scientifiques dans des réunions secrètes, dans leur immense manoir perdu au fond du Maine et c’est là-bas que germa « l’idée ». Une folie à l’état pur.

Jamais, il n’aurait dû accepter cette mascarade, mais que ce soit par amour, par soif de connaissances, voire par prétention mal placée, il avait donné son accord.

Ils concevraient un enfant pour en faire un cobaye.

Ils le conduiraient rapidement dans un laboratoire ultra-secret pour y mener des expériences. Même sans les connaissances actuelles pour interagir sur le fœtus, ils purent agir le plus rapidement possible, dès les premiers mois du nourrisson. C’était certes risqué, mais également la meilleure chance de survie de l’espèce humaine.

Le général avait été abreuvé par un flot de paroles toutes plus incompréhensibles les unes que les autres, d’autant plus que ni sa femme — ils s’étaient mariés entre-temps — ni son beau-père ne lui avait expliqué leurs aspirations finales. En quoi modifier le capital génétique de leur enfant pourrait sauver l’humanité ? Quels objectifs poursuivaient-ils ? Et surtout, ce qui aurait dû le faire réagir et quitter ces illuminés : quels seraient les risques pour l’enfant ?

Pour eux, le gosse n’était rien, juste une enveloppe charnelle au service de la science.

Les souvenirs affluaient et Smythers les revivait littéralement !


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