Chapitre 12 – Mieux vaut être le dernier de sa classe que le premier imbécile venu

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Alo Snavely toussa, manquant de s’étouffer avec ses Cornflakes. Il n’en croyait pas ses oreilles ! Il cligna des yeux. Pas d’erreur, le visage de Violette s’affichait bien à l’écran. Un flash info lui était entièrement consacré. Nom d’une pipe ! Cette histoire d’extraterrestres prenait une ampleur phénoménale !

— Arthur ! Tu devrais venir voir ça ! hurla Padma depuis la cuisine.

Elle secouait son torchon énergiquement, les yeux rivés sur le téléviseur.

— Qu'y a-t-il ? rétorqua Arthur la bouche pleine de dentifrice.

— Regarde un peu ça, lui dit-elle en baissant d’un ton.

Padma observa tendrement Alo. L’adolescent, absorbé par la chaîne d’information, ne pipait mot. Son visage d’ordinaire rougeâtre se teintait d’un blanc presque verdâtre. Alo souffrait, c’était indéniable. Mais grâce au ciel, il était en vie. Et même si Padma se sentait incroyablement égoïste, cette idée la réconfortait.

Toutefois, Padma avait tort. Ce n’était pas la douleur qui terrassait Alo, mais bel et bien l’inquiétude. Violette lui manquait. Toutes ses pensées ne tournaient plus qu’autour d’elle. Il ne parvenait plus à réfléchir dignement, persuadé que la clef de son absence résultait dans ces phénomènes paranormaux.

— Ne serait-ce pas la petite Kohler ? murmura Monsieur Snavely.

Ses lèvres formèrent un o, témoin de sa stupéfaction. Cette petite s’était bel et bien volatilisée. Comment une telle chose avait-elle pu se produire ? Qui plus est dans une zone aussi reculée que Bitterburg ? En ce lieu où il n’y avait que peu d’âmes qui vivent. Cette sombre histoire lui glaça le sang. Mais il n’en montra rien. Padma s’affolait déjà suffisamment pour deux.

— J’en ai bien peur. Cette ville n'apporte que le malheur, il n'y a qu'à voir la vermine qui s'y cache. Si l’on reste ici, le malheur s'abattra sur notre famille, répondit-elle d’une voix presque inaudible.

Padma posa son index sur sa bouche et fit un signe de la tête en direction d’Alo. Ce dernier, toujours obnubilé par l’écran, ne prêtait pas la moindre importance à leurs échanges. Elle ne tenait pas à être entendue. Comme toute bonne mère, préserver son fils était tout ce qu’il lui importait. Le mauvais œil n’était qu’un vague terme pour désigner toute la racaille que Bitterburg abritait. Chacun avait beau fermer les yeux sur ces repris de justice, Padma, elle n’était pas dupe. Au coin de la rue logeait un prédateur sexuel, multirécidiviste. Plus loin, à quelques kilomètres de la grange des Hansen, vivait comme un ermite un pédophile, condamné pour possession d’images pédopornographiques.

— Tu ne penses pas ce que tu dis. Tout ceci n’est qu’une affreuse coïncidence. Laisse le mauvais œil là où il est. Tu vas nous porter la guigne.

Arthur redoutait que les suppositions de Padma prennent de l’ampleur. Il préféra donc écourter cette conversation. Il refusait d’être le nouvel objet des discussions de ses rares voisins. Il préférait de loin être ignoré que pris pour un dingue. Il ne voulait pas subir le même sort que ce pauvre Paul Schaeffer. Garde forestier, il vivait reclus au cœur de la forêt de Bitterburg. Un soir, alors qu’il allait au contact des promeneurs pour faire de la pédagogie, il fut accusé de pratiquer des rituels sataniques. Robert Haas l’avait retrouvé, trois jours plus tard, pendu à un arbre.

— C’est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous, bougonna Padma.

— Ne sois pas stupide, ajouta-t-il.

Les conflits n’avaient pas leur place dans une période aussi sombre, pensa Arthur. Se méfier des uns et des autres ne résoudrait rien. Bien au contraire…

Ses pensées ne pouvaient se détacher de Paul Schaeffer.

— Maman n’a pas tort, balbutia Alo.

Padma sursauta. Apparemment, la discrétion n’était pas son fort. Ou bien cet enfant avait des oreilles de lynx.

Le nez rivé sur son bol de lait, Alo n’osait pas lever les yeux. Jamais encore, il n’avait contredit son père.

— Si ce n’était pas le cas, pourquoi les extraterrestres auraient-ils établi leur quartier dans notre ville ? poursuivit-il.

Arthur l’observait avec attention, sans toutefois approuver ses propos. Il connaissait l’admiration de son fils pour les extraterrestres. Mais Arthur ne pensait pas qu’Alo croyait réellement à leur existence…

Cela dépassait tout bon sens.

Arthur tenta de le raisonner.

— Ne dis pas de bêtises mon garçon. Les aliens n’existent pas.

Alo haussa les épaules et enfonça sa cuillère dans ses céréales. Ses parents ne voulaient pas le croire : très bien. Il établirait la vérité lui-même, à ses risques et périls. Il ne laisserait pas Violette entre les mains de ces vermines. Knut devrait l’aider s’il désirait les contrer. Qu’il le veuille ou non !

Le garçon fourra son talkie-walkie dans son sac à dos, sa lampe torche et deux Pitch au chocolat. Il comptait bien sécher l’école. De toute façon, il était incapable de se concentrer. Les aliens n’existent pas. Mais bien sûr... S’ils n’existaient pas, qui d’autre pourrait être responsable de la disparition de Violette ? Parfois, il avait l’impression d’être l’adulte responsable de cette famille.

— Rouquemoute, hurla un quatuor d’adolescents alors qu’ils s’approchaient de la maison des Snavely.

L’un d'eux lança un œuf pourri qui s’écrasa contre la baie vitrée. Le garçon regarda la scène, impassible. Il n’avait pas de temps à perdre pour de telles futilités. Même si, il ne pouvait nier que cela l’affecte.

— D’où vient tout ce raffut ?

Arthur se dirigea vers le salon, agacé. Il tira le rideau aux teintes claires, ahuri. Leur maison saccagée par une bande de petits anarchistes ? Bon sang ! Où vivait-il ? Dans la quatrième dimension ?

Arthur ne s’énervait que très rarement. Mais ces gosses l’avaient poussé à bout, tout comme cette désagréable sensation qu’il eut de ne pas connaître son fils. Vandaliser une maison, sa propre maison, quel toupet ! Impossible de rester de marbre face à de telles provocations.

— Attendez que je vous attrape sales ... rouspéta-t-il, alors qu’il se dirigeait à grands pas vers la baie vitrée.

Alo ne broncha pas. S’emballer était tout bonnement inutile. Arthur détourna son regard de la fenêtre pour le porter sur son fils. Alo subissait-il les brimades de petites frappes ? Gardait-il cela secret de peur de représailles ? Doucement, il s’approcha du garçon et posa sa main sur son épaule. Un des rares contacts qu’il s’autorisait.

— Si quelque chose n’allait pas, tu me le dirais. N’est-ce pas Al’ ?

L’adolescent acquiesça. Il ne perdrait pas son temps à se lamenter. Il avait beaucoup à faire, s’il espérait revoir Violette.

— File maintenant ou bien tu vas être en retard, ordonna Arthur.

Alo enfila son ciré jaune, sa paire de Dr Martens et grimpa sur sa bicyclette. Le ciel était si noir qu’il crut qu’il allait lui tomber sur la tête. Il circula au beau milieu de Bitterburg, slalomant parmi les journalistes, leurs camions et les touristes. La cacophonie s’était emparée de la petite ville et ce n’était pas pour déplaire à Monsieur Le Maire. Robert se pavanait dans les ruelles, s’affichant fièrement devant les caméras. Préférant de loin ignorer les affiches placardées aux quatre coins de la bourgade. Ces Crops Circles étaient bien plus importants que la détresse des Kohler. D’ailleurs personne ne se souciait d’eux. Tous agissaient comme si Violette n’avait jamais disparu.

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