Chapitre 11 – Le pourquoi est la genèse de tout interrogatoire.

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Le soleil se couchait sur Bitterburg lorsque Frank Kohler s’écroula sur le canapé, épuisé.

Violette ne s’était pas présentée à l’école.

Et pour couronner le tout, personne ne savait où elle se trouvait. L’adolescente semblait s’être mystérieusement envolée…

À bout de force et le cœur lourd, il s’était rendu à la gendarmerie la plus proche. Seul. Signaler la disparition d’un enfant était une chose terriblement affligeante, qu’il ne voulait pas imposer à son épouse. On lui avait offert une oreille attentive. Pourtant il ne pouvait s’empêcher de se sentir visé par des regards suspicieux et des messes basses échangées au coin des portes. Il se sentait jugé comme pris pour cible. Pourtant, aucun gendarme ne lui avait reproché quoi que ce soit. Que ce fut, quand il leur annonça ne pas conserver de photographie de sa fille dans son portefeuille, ou lorsqu’il fut incapable de se prononcer sur la disparition éventuelle de certaines de ses affaires.

Et voilà qu’il se tenait à présent dans le salon anglais, face à cet homme rondelet, au crâne dégarni, aussi laid qu’un basset. Mains sur les genoux, le regard hagard, il répétait pour la centième fois sa version des faits.

— Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois ? l’interrogea le gendarme, en mâchouillant le capuchon de son stylo bille.

— Hier soir. Au dîner. Il était vingt heures, vingt heures trente, répondit Frank d’une voix lasse.

Cordélia acquiesça, tendue comme un arc. Voir ces représentants de l’ordre griffonner sur leur carnet la mettait mal à l’aise. Elle se sentait bafouée, comme violée dans son intimité. On remettait en question leur parole, et cela la grisait sincèrement.

— Vous êtes-vous disputé ? ajouta le petit homme rond, enchainant les questions comme une partie de bière Pong.

— Non. Pas ce soir-là, bégaya Cordélia.

Elle enfouit son visage dans ses longs doigts minces. Quand ce cauchemar prendrait-il fin ?

— Que voulez-vous dire ? s’étonna l’officier.

Il lâcha son Bic qui s’écrasa sur le sol dans un léger “floc”.

— Violette sait être … persuasive, la corrigea Frank avec douceur. Elle est très forte pour obtenir ce qu’elle veut. Cela crée parfois quelques accrochages. Si vous êtes père d'adolescents Officier Bernardeau, vous voyez très certainement ce que je veux dire.

L’homme sourit mais resta imperturbable. Les premiers suspects dans un cas de disparition sont les parents ou un proche de la famille. Il devait garder cela à l’esprit et ne pas se laisser amadouer trop facilement.

— Elle chasse les extraterrestres, avoua nerveusement Cordélia. Vous le croyez-vous ? Tous les soirs, sans exception. Courser des bonshommes verts, quelle idée ! Comme si nous étions assez stupides pour ne pas nous en rendre compte.

Elle se leva puis tourna le dos à ses interlocuteurs. Elle en avait assez, plus qu’assez de toute cette histoire. Elle voulait qu’on la laisse respirer...

— Et qu’avez-vous fait ? répondit l’officier, étouffant un gloussement.

En dix ans de carrière, il n’avait encore jamais entendu de telles aberrations !

— Fais quoi ? rétorqua-t-elle, au bord des larmes.

Cet homme se comportait comme le dernier des charognards. Allait-il ralentir son flux de questions et enfin les écouter ?

— Pour qu’elle ne s’échappe plus en douce ? reprit-il posément.

— Rien. Nous n’allions pas l’enchainer tout de même ! s’effara-t-elle.

Cordélia passa sa main dans ses cheveux et s’installa avec élégance sur le sofa. Pourtant, elle tremblait comme un chat apeuré. La moindre interrogation résonnait comme une attaque portée contre leur famille.

— Je vois, poursuivit l’officier. Avait-elle des ennemis ? Quelqu’un aurait-il pu lui vouloir du mal ?

— Vouloir du mal ? Pourquoi lui voudrait-on du mal ? Cela est totalement absurde, rétorqua Franck. Tout le monde aimait Violette.

Lui aussi se sentait attaqué. Il perdait patience.

— Je vois…

Je vois, je vois, songea Cordélia. Ce gendarme ne connaissait pas d’autres mots ?

L’officier griffonna quelques mots sur son bloc-notes.

— Quelle tenue portait-elle la dernière fois que vous l’avez vue ?

L’officier rougit, il savait qu’il aurait dû commencer par cette question. Au moins, il aurait installé entre eux, une relation de confiance. Ou du moins, il aurait pu essayer.

— Un short, souffla Cordélia, balayant du revers de la main l’une de ses larmes. Et des baskets. Ainsi que… Frank aide-moi je t’en prie.

Frank resta silencieux. Il ne prêtait aucune attention à la mode. Alors comment pouvait-il se souvenir de ce que portait Violette ?

— Un polo vert, murmura Joséphine.

L’officier tourna la tête, surpris, non pas par la présence de Joséphine, mais par son détachement manifeste face à la situation. Elle se tenait droite comme un i, une limonade à la main aussi calme qu’une grenouille. A contrario de ses parents, son visage ne transmettait aucune tristesse, ni la moindre émotion. Rien ne semblait pouvoir l'atteindre.

Le gendarme se racla la gorge, griffonna à nouveau sur son carnet.

— Et toi, l’as-tu vu hier soir ? Poursuivit l’officier.

Joséphine avala une gorgée de sa citronnade, imperturbable.

— Nous avons dîné ensemble comme tous les autres soirs, répondit-elle.

Elle reprit une autre goutte de limonade.

— Bien, reprit-il. Nous allons diffuser sur les chaînes locales un portrait de Violette. Si la moindre information vous revenait à l’esprit, faites-nous-en part. Voici ma carte. Je suis joignable à n’importe quelle heure.

Il regagna l’entrée d’un pas lourd, puis s’immobilisa. Il adressa un regard compatissant aux Kohler.

— Essayez de dormir un peu, ajouta-t-il.

Son ton doux se voulait rassurant. Mais ses mots n’avaient aucune portée sur les Kohler. Il leur serait impossible de fermer l’œil tant que Violette ne foulerait pas le sol de cette maison. D’autant plus, que cet échange ressemblait trait pour trait à un interrogatoire. On le prenait pour cible, cela ne faisait aucun doute. Protocole ou non. Comme disait Miguel de Cervantès : un homme déshonoré est pire qu’un homme mort.

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