Chapitre 5 - “La popularité, c'est comme le parfum. Un peu, c'est agréable. Faut pas tomber dans le bocal, sinon ça devient une odeur. On la trimbale partout.”

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15 septembre 1986

Violette Kohler noua ses épais cheveux bruns en une queue de cheval parfaitement droite. Elle enfila son polo en coton piqué, sa paire de Classic Leather et plaqua délicatement son casque sur ses oreilles. Cindy Lauper entonna les premières notes de Girl Just Want To Have Fun tandis que Violette courait vers l'arrêt de bus.

Alo Snavely l'attendait déjà. Il lisait le dernier exemplaire de Science magazine, un bretzel fourré entre ses dents. Son visage parsemé de taches de rousseur s'illumina quand l'adolescente vint à sa rencontre. Elle lui ébouriffa les cheveux. Alo râla, il détestait lorsqu'elle agissait ainsi. Il avait la désagréable sensation qu'elle se moquait de lui, pire, qu'elle le prenait pour un petit garçon !

— Monte ! s'exclama-t-il, feignant d'ignorer son geste. Il faut que tu voies ça !

Violette se hissa sur le porte-bagages avec lourdeur. Ses soirées TV, avachie sur son canapé à s'empiffrer de Chips à l'oignon n'y étaient pas étrangères. Si elle ne voulait pas ressembler à un sac à patates, elle devait reprendre d'urgence ses séances d'aérobic !

— Où est Knut ? le questionna-t-elle grisée à l'idée d'être aperçut à jouer le remake low coast de Ghostbusters, version petits hommes verts.

— Sur place, répondit-il.

La jolie brune enfonça sa main droite dans la poche arrière de son short en toile blanc et augmenta le volume de son Walkman. Elle aimait sentir la brise effleurer son visage au rythme de la musique.

Alo essuya la sueur maculant sa nuque. Il empestait, la faute à cette chaleur écrasante pour un mois de septembre.

— Terminus. Tout le monde descend, brailla le rouquin.

Snavely décolla son postérieur de sa bicyclette et repositionna autour de son torse maigre son appareil photo, un Kodak Brownie Flash, qui lui avait coûté toutes ses économies. Hors de question qu'il subisse ne serait-ce que la plus petite égratignure !

Violette enfila sa paire de solaires acquise aux puces de Saint-Ouen lors de ses vacances d'été à Paris.

— Le champ de maïs des Kauffmann ? lança-t-elle étonnée.

Hésitante, elle guetta de loin les plantations, croisant les doigts pour ne rencontrer aucun de ses camarades de classe ou un lycéen. Elle rougit, honteuse, lorsqu'elle comprit que sa réputation comptait bien plus pour elle que ce qu'elle pensait. Elle inspira profondément. Avec un peu de chance, leur présence ici n'avait rien à voir avec les OVNI. Elle espérait ne pas avoir annulé son après-midi shopping avec Bertille Schott, sa partenaire de sport, pour des prunes.

— Viens, lui ordonna-t-il alors qu'il s'enfonçait déjà parmi les plans.

— Attends-moi, soupira Violette, pétrifiée à l'idée d'être reconnue.

Ni l'un, ni l'autre ne vit la Golf 1 Cabriolet à l'arrêt sur le bas-côté. Violette replaça ses boucles brunes derrière ses oreilles et s'avança à tatons à l'intérieur du champ, discernant avec peine les rayons du soleil qui d'ordinaire sublimaient sa peau hâlée. Elle vit Knut Hansen et le rejoignit discrètement, se faufilant parmi la foule.

— D'où vient tout ce monde ? murmura-t-elle.

Knut secoua la tête. Il sentait bon le shampooing Prairial à la pomme.

— Cette chose était bien plus excitante qu'une partie de WAPI, se réjouit Knut.

Alors que les curieux s'amassaient autour de cet évènement hors du commun, le vieux Hank grognait. Ces individus foulaient sa propriété, se fichant bien de saccager ses récoltes. Il pouvait dire adieu à ses économies, tout ça pour quoi ? Une partie de rigolade ?

— Vous savez ce que j'en dis ? grinça le fermier amer.

Hank mourait d'envie de vider son sac, comme chaque fois qu'il était en colère.

— On t'écoute Hank, répondit avec amusement Anna Kempf, éditorialiste pour Les chroniques de Bitterburg, le journal local.

Elle agitait son carnet, gagnée par une soif incontrôlable. Cela faisait des semaines qu'elle cherchait un sujet suffisamment intéressant pour écrire un des meilleurs articles de sa carrière. Si ce n'était le meilleur. Et voilà qu'on lui en apportait un sur un plateau d'argent. Au placard nécrologies misérables et petites annonces ! Son souhait de s'envoler sur la Côte d'Azur pour y visiter la Villa Ephrussi, découvrir de sublimes petites criques à l’eau cristalline et se prendre pour Brigitte Bardot en savourant une tarte tropézienne. Anna fouilla dans son minuscule sac cartable et en sortit un stylo bille. Tout ouïe, elle coucha sur le papier les mots du vieux Hank.

— De sales petits fouineurs sont venus faire les malins sur ma propriété. Il n'y a rien de plus à dire. Si je les attrape, ils sauront de quel bois j'me chauffe !

En prévenant ses proches et la municipalité de sa découverte, Hank ne s'était pas douté un instant qu'il aurait attiré un si grand nombre de curieux. En moins de deux, journalistes et locaux s'étaient attroupés au beau milieu de ses plantations. Persuadé que Monsieur Le Maire n'était pas étranger à ce remue-ménage, il se décida enfin à appeler la police, ne tenant guère à ce que son champ devienne un amas de poussière.

Hank renifla puis poursuivit son monologue, conscient qu'à l'exception d'Anna, personne ne lui prêtait d'intérêt. Le fermier vacilla vers la gauche, perturber par tout ce brouhaha.

— Comment dites-vous que cela s'appelle ? zozota une femme ronde aux dents méchamment avancées.

Hank ne l'avait encore jamais vu traîner dans le coin.

— Des Crops Circles, répondit un gringalet dans un anglais des plus approximatif.

Ce dernier portait une passoire à nouilles sur la tête en lieu et place d'une casquette.

Lui non plus, songea Hank. L'agriculteur serra les poings pour contenir sa frustration. À présent, les touristes se mêlaient à ce jeu étrange. Quel toupet ! Hank ne pouvait pas perdre le contrôle de son exploitation. Il devait mettre un point final à cette effervescence et vite !

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