L'avant combat (21)

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Du côté français, ce changement de programme dérouta complètement tout le monde. En effet, l’essentiel de la communication gouvernementale avait été axée sur l’éventuelle guerre contre le Turkménistan du nord.

En écho à la campagne des médias et afin de se montrer bon élève auprès de Manuel Trèbon, chaque ministre y était allé de sa critique envers le pays dès que l’occasion se présentait : le ministre de la transition écologique et solidaire avait fustigé les émissions turkménistaises de CO2 qui dépassaient de loin celles de l’Europe et de l’Afrique réunies. Celui de l’éducation nationale n’avait pas manqué de rappeler qu’on pratiquait encore les châtiments corporels dans les écoles et qu’il existait un cursus pour devenir bourreau. Même celui de la culture était monté au créneau, déplorant l’absence de musée dans les villes et la valorisation par le pouvoir des tortionnaires plutôt que des artistes (qui de toute façon croupissaient en prison selon lui).

Alors quand le conflit armé s’éloigna remplacé par une vulgaire bagarre, l’ensemble de l’exécutif paniqua et se tourna vers son chef, lui-même pris de court. Que faire ? S’obstiner dans le dénigrement ou bien noyer le poisson en parlant par exemple de développement durable ?

Tracassé, le fulgurant s’enferma dans son bureau et appela Donald Moumoute. Pour une fois, l’autre décrocha tout de suite.

- Yes ? fit-il sur un ton agacé suggérant qu’on l’importunait.

- C’est Manuel, le président français, dit sombrement le jeune quadragénaire qui, à cet instant précis, faisait quinze années de plus.

- Oh, tu tombes à pic ! s’exclama l’impétueux, suave comme une hôtesse de l’air. J’allais justement t’appeler.

- Ah bon ? s’étonna le précoce en se raidissant de presque partout.

- Oui, je tenais à t’inviter à mon combat, minauda le tweetomane. Nous sommes alliés après tout et...

- Justement, le coupa le dieu du vent, de la toile et des ondes hertziennes (un sous Jupiter en somme). On avait un deal et tu ne l’as pas tenu.

Un silence suivit, un silence aussi long et assourdissant que lors de la précédente conversation téléphonique entre les deux hommes et qui plongea le service d’écoute de la maison blanche dans un embarras terrible. On sentait le président américain fulminer intérieurement à cause du ton employé par le président français. Pratiquement personne n’avait jamais osé lui parler comme ça. Du moins hors du demi-cercle étriqué de ses proches. D’ailleurs, quand son père, après qu’il eut repris les rênes de l’entreprise familiale, l’avait traité d’incapable, il l’avait renvoyé sans ménagement (ainsi nommait-il sa décision de ne plus le revoir), alors...

Alors rien ! au grand étonnement des tympans attentifs !

- C’est là où tu te trompes, répondit Donald Moumoute d’une voix hyper soyeuse. Notre deal tient toujours. Après mon combat contre l’autre imbécile, on se serrera la main ! Comme on avait convenu !

- Et ma guerre ? s’irrita Manuel Trèbon sur le point de se rouler par terre et de gémir.

- La guerre ? rétorqua l’autre, indifférent au lapsus. On la reporte ! Écoute, les ennemis ce n’est pas ça qui manque, l’Iran, la Chine, le Mexique... On n’est pas obligé de lâcher nos bombes sur le Turkménistan. On peut les réserver pour un autre pays.

Tandis qu’il débitait ses arguments, son côté commercial s’éveillait. Un sourire clinquant surplomba son menton. Il était dans la situation de vendre des encyclopédies à un analphabète et il adorait ça.

- Écoute, voilà ce que je te propose, enchaîna-t-il avec exaltation, et c’est une offre exceptionnelle, une occase en or ! Si tu viens au Switzland et m’accorde ma revanche, tu deviendras mon principal allié pour la prochaine guerre que je concocte. Une association plus forte que contre le Turkménistan où nous ferions réellement équipe et partagerions le commandement des opérations.

Manuel Trèbon qui n’était quand même pas né de la dernière pluie et qui connaissait bien le commerce posa ses conditions.

- D’accord, mais je veux que le conflit à venir se déroule dans le prochain semestre, au début de l’acte 8 chapitre 12 de mon quinquennat, et qu’il soit majeur.

- Évidemment, convint Moumoute obséquieusement.

- Et je veux que ce soit la France qui débute les hostilités.

- Ça va de soi, concéda encore Moumoute en se grignotant son absence de lèvres (OK, il avait l’habitude de mentir mais l’autre commençait à lui courir sur le haricot avec ses exigences de starlette).

- De plus, je veux qu’après la victoire, le chef de la nation ennemie soit jugé en France, par des magistrats français et emprisonné dans notre bagne trois point zéro en Guyane, s’excita Manuel Trèbon, insatiable.

Et si on réunissait mes poils on obtiendrait un duvet moelleux et naturel pensa le président américain.

- Banco ! valida l’homme imposant comme si cet ultime « veux » était une proposition géniale.

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