La Cruche en chaudron changée

3 minutes de lecture

Illapa l’Honnête (1)

Reprit son urne

Au crapaud Cháng’é

En son cratère changé

Et Léigōng se retira

Vers de lointaines contrées

Où des dieux envieux

N’envisageraient de chercher (2)

Et là aussi, toutefois

Un jaloux la trouva

Et Hymir le jǫtunn

Son argile reforma

Son bronze reforgea

Et d’un large bracelet

Une anse façonna

À l’urne, l’attacha

Et en chaudron enchanté

La cruche se changea

Et les dieux enjoignirent

Illapa dit Þórr

À partir quérir

Sa cruche à nouveau

En compagnie d’Árēs

Appelé Týr (3)

Au terme d’un périple

Ils parvinrent en ses terres

Patientèrent dans son hall

Jusqu’au retour d’Hymir

L’Ægir revint

Revêtu de glace

La barbe enneigée

Les braies pétrifiées

Le Montagnard se courrouça

Mais hôte consciencieux

Accueillit les intrus

Les invita à souper

Et Þórr lui dévora

Deux de ses bœufs

Pour remplir ses réserves

Le Ronchon requit

Leur aide à la pêche

Ils attrapèrent mille poissons

Et le Sombre deux baleines (4)

Mais Þórr se servit

D’une tête de bœuf

Comme seul appât

La gueule de Jǫrmungandr

Jaillit du gouffre d’eau

Et Þórr martela

Le Serpent de Miðgarðr

De son marteau soustrait

De Mjǫllnir l’Éclair

Et le Titan se tortilla

Et la Terre trembla

Le Serpent s’enfuit

Les sardines aussi

Hymir enragea

Et chargea Illapa

De porter les baleines

En son palais d’hiver

Le Hargneux railla :

« Tant de robustesse

Mon gobelet, pourtant

Briser tu ne pourrais

Si tu réussis

Je te céderai

Mon filon de bronze

Mon chaudron sans fond »

À ces termes tentateurs

Le Tonnerre tira

La chope du Parieur

Contre un pilier de pierre

Mais le pilier seul

Vola en pièces

La femme d’Hymir

Conseilla au Fiévreux

De jeter le gobelet

À la tête du Glacé

Pour ce que le Rustre

Est bien plus résistant

Que nulle colonne

De calcaire ou de granit

Le gobelet se brisa

Contre la barbe du Grincheux

Et Þórr remporta

Le réceptacle des dieux

Árēs se refusa

À l’affleurer

Aussi le Diluvial la porta

Au domaine des cieux (5)

En chemin, Hymir

Changea d’avis

Et envoya ses sbires

Subtiliser l’urne

L’Abducté et l’Effronté

Les abattirent sans effort

De retour en Ásgarðr

Ægir remplit

Le chaudron d’Hymir

D’hydromel chaud

Andhrímnir y cuisina

Le cochon de mer

Qui depuis ce moment

Renaît chaque matin

Et les dieux se réjouirent

Du réceptacle divin

Car sans fin en vue

Ils festoyaient, se gavaient

De cervoise dorée

De sanglier doré

(1) Les divinités nordiques sont plus souvent présentées à travers leur personnalité que leur domaine d’influence. Ainsi, Þórr est décrit comme un dieu honnête, Óðinn curieux et Loki facétieux. Les Eddas les désignent aussi souvent par leurs exploits (« Celui qui a accompli ceci »).

(2) Nous appliquons ici la forme poétique dite fornyrðislag, utilisée dans l’Edda poétique. Elle est généralement formée de strophes de six à huit vers, sans rimes. Chaque vers contient deux syllabes accentuées, et entre zéro et quatre syllabes non-accentuées : nous nous contenterons donc de deux verbes, noms et/ou adjectifs par vers.
Dans chaque groupe de deux vers, on retrouve au moins une allitération sur la première syllabe d’un mot (qui correspond à la syllabe accentuée en vieux norrois). St- ou Sk- ne peut allitérer qu’avec st- ou sk-, et les voyelles (« y » inclus) pseudo-assonnent avec toutes les autres voyelles. Ainsi, « eau » et « ourdi » assonnent en vieux norrois, mais pas « stoïque » et « sûr ».
Pour faciliter l’allitération, le fornyrðislag fait un usage récurrent de heiti et de kennings : surnoms poétiques (souvent affiliés aux dieux) et périphrases métaphoriques.

(3) Dans le mythe originel, les dieux, en quête d’une source infinie d’hydromel, demandent à Ægir de leur en fournir. Ægir accepte, à condition qu’ils trouvent un récipient capable de contenir une infinité. Týr sait que son père Hymir en possède, et part lui rendre visite en compagnie de Þórr.

(4) « Hymir » signifie « Sombre ».

(5) Dans l’Hymiskviða, Týr manque de force pour transporter le chaudron. Le Diluvial réfère bien sûr à Þórr/Illapa et le déluge qu'il a autrefois déclenché.

Sources :

Edda Poétique, « Hymiskviða » / « Le Chant de Hymir ». Traduction et commentaire d’Henry Adams Bellows.

Jackson Crawford, The Art of Viking Poetry: A How-To (https://youtu.be/FsX70ZSJkOQ).

Jackson Crawford, Norse Myth: 6 Biggest Misconceptions (https://youtu.be/yT8HEBQjLng).

Snorri Sturluson, « Gylfaginning », Edda de Snorri.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Gaëlle N. Harper ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0