76 : Paroles & musique

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« […] y'a souvent une personne, un réalisateur avec qui j’ai envie de travailler : c’est le son. […] Ouais, y'a un moment, y'a vraiment une envie de faire un disque […], de fabriquer ce p'tit monde qu’est un album, qui est un moment de vie aussi […]. De toute façon, quand tu fais un album, tu l’fais pour toi. Il faut qu’ça te plaise à toi. »

Vanessa Paradis, à propos de son album Les sources, sur la chaîne de télévision W9, le 20 décembre 2018.

Aix-les-Bains, le 5 mai 1999

Voilà trois semaines que je suis ici, dans cette clinique privée que j’ai déjà fréquentée par le passé. Un séjour nécessaire pour tenter à nouveau de mettre un terme à mon addiction. Un temps propice à l’introspection, incontournable à l’heure d’un bilan à mi-parcours. L’occasion pour moi de faire le point aussi, le point sur ma vie…

Ce n’est pas par passéisme – au fond, je crois n’avoir jamais été animée par un tel sentiment – ni même parce qu’une quelconque nostalgie m’envahirait soudain, le soir, lorsque mes paupières se closent. Mais parce qu’à l’orée de ma prochaine quarantaine, je commence à jeter un œil dans le rétro de mon existence. A mon âge, ça me semble être dans l’ordre des choses, une analyse à entreprendre avec le recul et la maturité qu’ont finis par me conférer mes trente-neuf printemps bien tassés.

Et tout bien réfléchi, j’estime ne pas avoir à rougir de ma carrière professionnelle. J’assume la totalité de mes choix artistiques, de mes décisions, mes prises de position, qu’elles aient plu ou non, et j’en suis même plutôt fière. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui encore, de jeunes réalisateurs continuent à songer à moi pour rejoindre leur casting, même si je n’y donne pas suite. Parce que je ne veux plus être dirigée, et souhaite m’exprimer par moi-même dans d’autres formes d’art que l’acting…

En revanche, d’un point de vue plus personnel, le bilan est nettement plus en berne. Peut-être à cause de mon fichu caractère d’ailleurs… Et quand j’y pense, même dans le couple que nous formons Zack et moi, je ne suis pas satisfaite. Je ne remets nullement en cause son amour inconditionnel, sa bienveillance silencieuse, cela m’est trop précieux, mais ils revêtent bien souvent des accents par trop féminins pour me soutenir efficacement dans mes moments de spleen. Un constat cruel, c’est vrai, et je ne le lui révélerai jamais, de peur de le blesser. Déjà que j’ai parfois des réactions de mec… Oui, parfois, je suis ce drôle de type quelque peu sauvage ou tyrannique, au tempérament trop sombre, insaisissable et secret. Un samouraï à la Delon, une ombre… Peut-être que si j’avais été un homme, tout aurait été plus simple finalement. Peut-être…

***

« Moi, si j’étais un homme, je serais capitaine /

D’un bateau vert et blanc /

D’une élégance rare et plus fort que l’ébène /

Pour les trop mauvais temps… » (43)

***

Cela étant, tout n’est pas forcément qu’une question de genre. On peut être l’incarnation même de la virilité tout en étant d’une sensibilité confondante, à fleur de peau, et vouloir en mourir, à l’image d’un Deweare…

De toute manière, je me rends bien compte que je passe à côté de ma vie, de mes proches, que je n’ai jamais su leur dire combien je les aime de leur vivant, que j’ai toujours en moi cette putain de pudeur trop garçonne qui m’empêche si connement de totalement m’abandonner avec eux. Ils le savent pourtant, mais ça ne suffit pas, surtout lorsqu’on a pas eu le temps de leur faire nos adieux et qu’ils ne sont plus là pour entendre ce qu’on aurait tant voulu leur chuchoter au creux de l’oreille, dans un souffle, un murmure…

C’est pourquoi j’ai à présent envie de leur faire ce cadeau : me déclarer, à ma façon, à travers un court album de quelques chansons, deux ou trois reprises. Oui, je pourrais commencer par Zack, mon compagnon, celui à qui je n’ai jamais pu dire « je t’aime »

***

« Je t’emmènerais en voyage /

Dans les plus beaux pays du monde /

Te ferais l’amour sur la plage /

En savourant chaque seconde /

Où mon corps engourdi s’enflamme /

Jusqu’à s’endormir dans tes bras /

Je suis femme et quand on est femme /

On ne dit pas ces choses-là… » (44)

***

Route du port

Saint-Jorioz (74)

le 17 mars 2008

20:01

Mes doigts courent sur le plastique fendillé d’un boîtier CD, malmené par les affres du temps et les soubresauts encaissés au fil du chaos que me répercute sans cesse l’enrobé défoncé de la plupart des routes.

Ton CD…

Tu es là, dépeinte aquarelle à même le livret-pochette, le dos nu pailleté, nimbée d’un léger clair-obscur, sous la verrière ouvragée de ton pavillon de Neuilly. Une silhouette en demi-teinte que les pinceaux de Margaux avaient dessinée quelques années plus tôt, à mesure que tu martelais à la Sanson ton piano.

Tes Timides Ballades d’un soir d’été…, un Extended Played de quatre titres, dont trois reprises puisées dans le répertoire francophone. Un mini-album concept, enregistré en catimini dans un studio parisien, sous la houlette du grand Sébastien Pinson, l’ami-amant de Stephen, et sorti dans les bacs à l’automne 99.

Des chansons, des musiques, des piano-voix très épurés, comme autant de déclarations d’amour, aussi privées qu’universelles.

Pour leur donner corps et les habiller d’un classicisme de bon aloi, tu as très vite songé à Séb afin de t’épauler dans ce projet, son travail de virtuose t’ayant bluffé sur la bande originale de Mitchell Vanbrugen : a life, qu’il avait composée trois ans plus tôt. Et votre collaboration artistique fera mouche. Jusque dans la co-écriture de ce titre, sur une mélodie qu’avait jadis composée pour toi Harvey : Soulful Ballad for Solenn, simplement rebaptisée Soulful Ballad… pour la circonstance, et tout autant dédié au défunt jazzman qu’à ton père.

Oui, ce sont tes mots qui dédicacent les quatre titres, ta calligraphie y mêlant pleins et déliés. J’en feuillette le livret en allumant l’autoradio. J’écoute tes doigts dansant sur le clavier, l’ouverture, et puis ta voix, si cristalline.

***

Ces quelques rimes sont de toi /

Je les ai pensées dans tes bras /

C’est dans un moment si tendre que /


J’ai cru comprendre /

Et te le dis sans trop de peine /

Que les années jamais n’reviennent /

Qu’on n’a pas l’choix, rien à refaire /

La première chance s’ra la dernière /

Qu’on rebâtit sur du néant /

Sur du détruit, sur du présent /

Que le passé a laissé là /

Qui a dit qu’on se r'faisait pas ? » (45)

***

Qu’importe si cet EP ne rencontrera pas son public, qu’importe si la critique le jugera trop timoré, sa sobriété, son élégance et sa grande classe passeront à la postérité. En adaptant les paroles de Chère amie (toutes mes excuses) (46) pour les adresser à Stephen afin de te faire pardonner des César 92, ou en reprenant l’Ex-fan des sixties de Birkin, en souvenir de tes quatre cents coups d’adolescente partagés avec la môme Margaux, tu y as dit tout ce que tu voulais dire, et c’est tout ce qui compte à tes yeux. Le reste, tu t’en fous… Oui, le temps de l’audace sera pour plus tard, l’aube de ton quarantième anniversaire se teintant d’une quasi inédite – mais trop brève – sérénité.

(43) : Paroles extraites du titre Si j’étais un homme, écrite, composée et interprétée par Diane Tell.

(44) : Idem.

(45) : Paroles empruntées à la chanson J’ai cru comprendre de Camille et Nicolas, du groupe Anima, le duo.

(46) : Chanson issue du répertoire de Marc Lavoine.

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