57 : Meet Solenn Avryle

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« Le cinéma ne me faisait pas rêver. Je n’ai été épatée que par des rencontres. »

Catherine Deneuve

Cité Paul Eluard

Bobigny (93)

octobre 1993

Tu as branché ton micro à un ampli, lui-même relié à de puissants haut-parleurs. Du matos emprunté à une MJC qui n’a pas oublié ce que tu as fait pour ses jeunes désœuvrés quelques années plus tôt. C’est ta voix qui pousse ma curiosité à jouer des coudes et des épaules pour te voir. Pour voir celle qui prend la parole en public pour nous défendre, nous soutenir. Une icône du cinéma français me dit-on, une célébrité, une femme du gotha mondain. Et c’est vrai que les mots que tu scandes sont magnifiques. Te rendent magnifique. Ou peut-être est-ce l’inverse : ils ne sont magnifiques que parce qu’ils sortent de ta bouche. Tu es belle et il fait froid. Sauf dans mon cœur. Parce que je ne vois que toi.

***

— Ecoutez-les, bon sang ! Moi, je l’ai fait. J’ai pris le temps de les écouter me raconter leur histoire. J’ai entendu ce qu’ils m’ont dit : « Nous sommes sortis de nos familles et de nos pays la rage au cœur avec l’envie de réussir… » Et mes oreilles résonnent encore de ce mot qu’ils prononcent inlassablement : « bonheur ». Vouloir être heureux à tout prix, mettre sa vie en jeu et ne pas renoncer, quelle que soit la difficulté, quel que soit le temps qu’il faudra y consacrer : un quitte ou double que vous, politiques ou forces de l’ordre, n’osez pas regarder en face ! Ils fuient la famine, la misère et la guerre. Ils fuient l’Éthiopie, le Sahel, le Mali ou le fleuve Niger. Parce qu’on y crève. Oui, les gens crèvent dans ce pays, les gens crèvent… Certes, migrer, quitter sa mère-patrie, quel qu’en soit le motif, est toujours un choix douloureux, mais un choix dont le droit est inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Migrer est un choix personnel ; et aucune mesure étatique, dans un monde où la liberté de circulation des marchandises, des services et des capitaux existe, ne pourra jamais empêcher les personnes de circuler. S’il est légitime que les États contrôlent les entrées et sorties à leurs frontières, il n’est pas légitime qu’ils considèrent comme des criminels les personnes qui les franchissent pour survivre…

***

C’est à ce moment-là que je suis tombé amoureux, je crois. Amoureux de ta voix, tes convictions. De ton physique, emmitouflé dans un trench-coat sans strass, de ton visage aux joues rougies par le vent glacial de cette nuit-là, de tes cheveux emmêlés, de ton regard déterminé à leur faire face. Une magie interrompue par les tirs de bombes lacrymogènes, par l’assaut des CRS et des matraques. Et ils nous arrêteront, tous. Même toi. Mais personne ne saura jamais te faire taire, y compris du fin fond de cette cellule dans laquelle tu passeras près de quatre heures à t’égosiller pour que les médias t’entendent. Ces quatre premières heures où j’ai pu te côtoyer de près, silencieux, hypnotisé. Mina le percevait : j’étais en train de succomber complètement, et elle se fit un devoir de me mettre en garde. Contre ce fantasme qui surgissait du tréfonds de mes entrailles et me possédait doucement. Nous n’étions pas du même monde, alors comment pourrais-tu t’intéresser à moi, à moins d’un miracle ? Un miracle…

J’ai vingt-trois ans, tu en as dix de plus. J’ai vingt-trois ans et je ne sais rien de l’amour, de la passion qui transporte ou submerge. Toi, tu as cru les voir passer un soir d’hiver, sous les traits de Paul. Ils n’étaient qu’un leurre. Une erreur que tu paieras au centuple le reste de ta vie. Pour toi, l’amour n’était qu’un spectre ou une parenthèse. Qui fait mal et ne dure pas. Qui s’échoue aux portes de Buenos-Aires et vibre encore des accents argentins d’un certain Rodrigue… L’amour est éphémère, du moins paraît-il. Il paraît qu’il se meurt dans les tourments de l’oubli. Pourtant, celui qui m’habite et me consume te survit et ne s’éteint pas. C’est ce que j’ai inconsciemment saisi de ma première nuit dans tes draps…

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