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« Tu sais ce qu’il faut faire pour vivre au milieu des sirènes ? […] Tu descends au fond de la mer, très loin, si loin que le bleu n’existe plus, là où le ciel n’est plus qu’un souvenir. Une fois que tu es là, dans le silence, tu y restes, et si tu décides que tu veux mourir pour elles, rester avec elles pour l’éternité, alors elles viennent vers toi et jugent l’amour que tu leur portes. S’il est sincère, s’il est pur et si tu leur plais, alors elles t’emmèneront pour toujours… »

Jean-Marc Barr à Rosanna Arquette, dans Le Grand Bleu (version longue, dite Director’s cut – 1989), long métrage de Luc Besson.

Villa Lagune

Le Brouillet

Sevrier (74)

19 mars 2001

6:15

Du bleu irisé m’enserre de partout.

Dans mon sommeil, je me bats et me débats contre une force invisible qui m’empêche de regagner la surface miroitante et glacée d’une eau lacustre.

En apnée totale, je cherche en vain une trouée d’oxygène salvatrice.

Le soleil m’éblouit mais ne t’éclaire pas.

Je scrute les profondeurs se figeant dans ton regard azuré, qui se referme sous tes paupières brunes avant que tu ne lâches ma main, que tu ne lâches prise.

Je hurle.

Je hurle, mais tu ne m’entends pas.

Le son de ma voix s’étouffe comme moi, dans ses propres échos.

Et puis, il y a Werner qui se gausse sur son bateau.

Et moi, je n’ai plus rien.

Rien que ce solitaire entre mes mains, celui que je t’avais offert pour notre dernière Saint-Valentin…

***

Un réveil en sursaut.

Un cri de panique.

J’ouvre les yeux, embrasse la pièce d’un regard circulaire, en happant de grandes bouffées d’air.

Crisant d’angoisse et peinant à respirer, à l’image d’un asthmatique.

Un cauchemar.

Ce n’était qu’un cauchemar.

Ou une prémonition…

Un haut-le-cœur, il s’emballe, palpite un peu trop vite.

Ton absence m’indispose, j’en suffoque et en tremble de tous mes membres.

Il ne fait pas froid pourtant.

Ta place est vide et je le réalise.

Je réalise que tu n’es plus à côté de moi, ne me tiens plus la main.

Comme dans ce sinistre songe.

Tu m’as quitté.

Tu as quitté notre lit king-size et la chambre.

Quelque chose cloche.

Solenn ?

Une lueur noire de suie.

Seuls le feu de cheminée crépitant dans son antre et la lampe de bureau old style tamisent la pénombre.

Un halo de lumière.

Celui que tu as laissé en évidence sur ton secrétaire en pin blanchi.

Celui qui semble émaner d’une présence irréelle, m’attirer comme un aimant.

Solenn ?

Je me lève, foule de mes pieds le parquet rougeoyant d’ébène, brûlant comme la cendre, et me dirige vers ce plan de travail abandonné que j’approche.

Ton aura baigne encore le fauteuil damassé caramel dans lequel tu aimes te lover, enrubannée d’un châle sombre.

Tu viens d’y apposer les quelques lignes d’une lettre inachevée à mon adresse.

Sur le cuir d’un sous-main griffé, ton Mont-Blanc non rebouché la voisine, et témoigne en silence des larmes que tu as peut-être versées en la rédigeant.

***

Zack,

Tu auras sans doute du mal à le comprendre, seulement la souffrance ne s’explique pas.

La souffrance et le regard des autres, l’impuissance…

Je t’imagine déjà objecter qu’il n’y a pas de souffrance qui ne puisse être surmontée, et en d’autres circonstances, tu aurais raison.

Parce que j’ai toujours pu compter sur ton inconditionnel soutien, comme j’ai souvent pu compter sur celui de mon entourage, mes proches, pour m’épauler dans tous mes combats, publics ou privés.

Mais pas pour le dernier.

Non, pour le dernier, je serai irrémédiablement seule.

Toute seule à me battre contre le plus sournois de mes ennemis…

***

Ta plume s’est interrompue dans son élan, détachée de tout ce qui pourrait encore te retenir.

Werner.

C’est lui, le plus sournois des ennemis que tu désignes dans ce qui ressemble à un adieu.

Alors, je percute et je cours.

Oui, je cours te rejoindre dans la salle de bain qui jouxte les couloirs de ta mémoire.

Parce que je sais que c’est là que tu t’isoles quand tu as trop mal, quand tu ressasses toutes tes défaites.

Solenn ! m’égosillé-je en tambourinant la porte qui me sépare de toi. Solenn, ouvre-moi !

Je n’entends que de timides sanglots en guise de réponse.

C’est ce qui me décide à actionner vigoureusement la poignée pour libérer le battant verrouillé à double-tour.

Dans l’urgence, je farfouille vainement l’un des tiroirs de la commode, à la recherche d’un quelconque tourne-vis de fortune pour forcer la serrure.

Putain, Solenn, ouvre-moi, merde !

Tes sanglots redoublent, alors je tente d’enfoncer la porte.

Une fois, deux fois, puis celle-ci cède sous mon poids, au moment même où retentit la détonation de ton arme.

Un instant qui se grave, indélébile : celui où tu t’effondres au sol, te vides de ton sang sous mes yeux.

Les images se syncopent, atténuent le déchirement de ma voix et des bruits alentour.

Je me vois encore me précipiter vers toi, te prendre dans mes bras pour te ramener à cette vie que tu ne supportes plus.

Le carrelage se macule d’écarlate quand mes prunelles embuées distinguent à peine le « pardon » rouge à lèvres que tu as tagué sur ce miroir, qui ne reflète plus rien d’autre que ton agonie.

Tu t’es éteinte.

Tu as claqué comme la led incandescente d’un spot.

Déjà, tu n’es plus là.

Et ne subsiste plus que l’immensité de cette plaie béante que ton suicide a creusé en moi, l’immensité de ce désespoir qui lézarde les murs de tout ce qu’on avait construit ensemble.

Le cri d’un animal blessé, un hurlement à la mort.

Le mien.

***

Je chouine.

Je chiale comme un gosse qui se démantibule dans ce gouffre qui l’appelle et le bouffe.

Je chiale comme un inconsolable idiot qui croit pouvoir sécher ses larmes en explosant la tête de ton assassin.

Mais si je ne te venge pas, Solenn, qui le fera ?

Stephen ?

Non, Stephen a sa verve et son art pour s’en sortir.

Il a toujours été là pour toi, en ami fidèle.

Pour l’éternité.

Un ami fidèle qui n’a pourtant jamais été ton amant.

Cet ami fidèle sans qui tu ne te serais jamais autorisée à être à nouveau femme dans les bras de quelqu’un d’autre.

Dans les miens…

Un paternel d’apparat à la scène, ton père de substitution.

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