35 : Les choses de la vie

4 minutes de lecture

« Pardonnez-moi si je m’exprime de façon aussi sotte, mais tout aurait pu aller bien mieux dans ma vie… »

Romy Schneider, au cours d’une interview accordée au journaliste Michael Jürgs, assisté du photographe Robert Lebeck, pour le magazine allemand Stern, en 1981, à Quiberon.

Les environs de Biarritz (64)

le 1er janvier 1990

dans le courant de l’après-midi…

L’année précédente s’est achevée comme celle-ci débute, morose. Margaux a fait le déplacement depuis Annecy, avec Guillaume et leurs trois mômes, entassés dans leur antique R14 chargée à bloc. Un réveillon célébré dans la simplicité, bien qu’agrémenté d’un festin de roi – Stephen l’avait toutefois exigé sans alcool pour ne pas que tu sois tentée de replonger. Tu y as feint la bonne humeur, la légèreté, mais en réalité, tu n’étais pas vraiment là. Tu n’as pas pu t’empêcher de repenser aux Saint-Sylvestre précédentes, toujours fêtées dans l’intimité familiale, toujours aux côtés de tes parents. De ta mère qui ne parvient pas à te pardonner. De ton père qui s’est en allé sans que tu puisses une dernière fois le serrer dans tes bras… Une larme s’écoule sur ta joue ; d’un revers de la main, tu l’effaces, comme l’océan efface de quelconques initiales entrelacées dessinées sur le sable. Mais ta tristesse subsiste, comme les stigmates de ces derniers mois qui te collent encore à la peau.

Ton père… C’est à lui que tu dois ton amour pour le Septième Art. Tu n’as pas six ans quand il récupère ce vieux cinématographe qu’il restaure et qu’il utilise pour la première fois dans la grande remise de votre chalet de La Clusaz. C’est là que la petite fille que tu étais s’émerveille et se rêve impératrice devant le destin extraordinaire de Sissi. C’est lui qui t’emmènera voir plus tard, dans une grande salle de projection lyonnaise, le fameux César et Rosalie. Des étoiles plein les yeux, tu lui diras alors, sur le chemin du retour :

« C’est ça que je veux faire comme métier, Papa. Être Romy. T’as vu comme elle est belle, comme elle fait tourner les têtes ? Ça doit être fabuleux d’être actrice, de colorer la vie des gens, de ne jamais être la même femme, non ? »

Il en sourira, mais au fond, il sait que tu es très sérieuse du haut de tes douze ans. Et il t’encouragera toujours à suivre cette voie que tu t’es choisie. Parce que rien n’est jamais trop beau pour sa princesse. Il sera ton premier fan, tellement fier de la fulgurance de ton succès. Il te croira épanouie, la violence des révélations médiatiques à ton encontre le démentira et lacérera la fragilité de son corps, malade. Malade de ne pas avoir su te mettre en garde, te protéger contre tout ça.

Pardon papa… Pardon de t’avoir déçu, de ne pas avoir réussi…

Les sanglots affluent, tu lâches pour la seconde fois les vannes. Tu ne te brides plus.

La main de Margaux se pose sur ton épaule, tu ne l’as pas entendue venir te rejoindre sur la plage.

Ça va ?

Un oui silencieux, des larmes qui s’estompent et laissent place à un sourire de gratitude.

Stephen et Guillaume jouent à La Bonne Paye avec Fabien et Jules. Noémie dort encore…

Tu opines du chef sans quitter l’océan des yeux.

Crozats est vraiment épatant avec les enfants…

Oui, tout le contraire de moi…

Hey, ma So-so, te dévalorise pas comme ça ! T’as pas le droit d’être aussi dure avec toi-même !

Je n’y arriverai pas, Margaux. Je n’arriverai pas à remonter la pente.

Mais bien sûr que si, tu y arriveras, fais-toi confiance ! Et puis, t’es pas toute seule, on est tous là pour te soutenir, pour t’aider…

So-so, écoute-moi : il faut que tu apprennes à te confier, à lâcher prise, à te reposer sur les autres quand tu perds pied. Si tu m’en avais parlé, Solenn, si tu m’avais parlé de tes problèmes, avec Paul, avec Jérémie, je ne t’aurais pas jugée, je ne t’aurais jamais laissée tomber. La preuve, je suis là parce que tu as besoin de moi…

Je ne pouvais pas t’en parler, Margaux, je te jalousais ! Oui, absolument, je te jalousais ! Tu es la mère et l’épouse parfaites que je ne serai jamais. Et puis, j’avais tout en apparence : l’argent, la célébrité, la gloire. Alors de quoi aurais-je pu me plaindre quand Guillaume et toi tiriez sans cesse le diable par la queue pour ne pas finir tous les mois dans le rouge ?

La seule vraie différence qu’il y a entre toi et moi, ma So-so, c’est la chance que j’ai eue de tomber sur un homme qui m’aime et a toujours cru en moi. Même quand je me sens nulle, même quand je doute, même quand je suis à deux doigts de craquer. Parce que je ne suis pas plus formidable que toi. C’est juste qu’il est toujours là, sa bienveillance et son amour aussi. Il n’est pas parfait, mais il n’a rien à voir avec Paul. Lui n’est que l’incarnation du vrai salaud. Avec lui, n’importe quelle femme aurait échoué, moi la première !

Enlacement sororal. Margaux et toi vous retrouvez enfin, aussi unies qu’à l’adolescence. Le show-business ne s’invite plus entre vous et a laissé place à cette impérieuse nécessité de renouer avec tes racines. Désormais, tu sais qu’elle sera toujours là, dans l’ombre, prête à te tendre la main. Même quand les autres s’absenteront, qu’il n’y aura plus personne. Pas même Stephen…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0