1. La cérémonie

5 minutes de lecture

Année 4518

Nerveuse, j’ai du mal à respirer. Ma trachée se serre, accompagnée de ce sentiment de détresse qui ne me lâche pas d’une semelle depuis mon réveil. D’ailleurs, la boule de nerfs que je suis à cet instant est une preuve de mon anxiété. Ma mère serait bien déçue en me voyant, elle qui n’a pas cessé de me répéter : « Arrête de te ronger les ongles ! ». Sauf que c’est plus fort que moi. Je ne parviens pas à laisser mes doigts tranquilles. Surprise par une claque venant me frapper la main, je lance un regard furieux à l’instigatrice de ce geste. C’est Ambre, ma meilleure amie. Elle affiche un sourire moqueur. Je ne me retiens pas de râler.

— Pourquoi tu as fait ça ?

— Tes mains vont être dans un sale état. Tu es au courant que la cérémonie est dans vingt minutes ? Oui ? Alors, arrête de stresser. Tu vas encore finir par t’évanouir. Et cette fois, ce sera devant la communauté tout entière, Ava. Alors, calme-toi.

Ambre a raison, je devrais me réjouir de cette journée. Pourtant le nœud que j’ai au ventre ne veut pas me quitter. J’ai beau me dire que la cérémonie est un bond en avant dans la société, une évolution, je reste inquiète. Une tonne de questions entre en collision avec mes pensées et mes certitudes.

Je me demande même si le fait d’avoir grandi parmi les anges m’avantage. Et si la lumière ne m’avait pas touchée ? Si j’étais une enfant des ténèbres ? Et si je finissais seule, loin de mes parents, loin de tous ceux que je connais ? Les démons se feraient-ils une joie de gagner un ange déchu ? Et si je ne trouvais pas ma place dans ce monde qui est le mien ?

Ma respiration se coupe à nouveau alors que je me perds dans le tourbillon de mes interrogations. Bien entendu, Ambre le remarque. Elle me secoue l’épaule jusqu’à ce que je reprenne mon souffle. D’un simple merci murmuré, mes idées se remettent en place. J’essaie de me concentrer sur la cérémonie à venir.

Plus qu’un évènement, elle est un passage de l’enfance à l’âge adulte, elle est le rituel qui annonce notre destinée. Sa création a permis au cercle de contrôler la séparation du blanc et du noir. Je me souviens encore de celle de l’année passée, et du passage d’un jeune homme issu des démons devant les commandants.

Au moment du retrait de son bracelet inhibiteur, de magnifiques ailes blanches sont sorties de son dos. Éclatantes, et coiffées d’immenses plumes soyeuses. Ce qui m’a le plus choquée dans cette éclosion, c’est la réaction des démons. Le pauvre garçon fut hué et ridiculisé pour sa véritable appartenance, sa pureté… À la fin du rituel, il fut séparé de l’ombre pour être installé du côté de la lumière. Ce souvenir me donne un haut-le-cœur, c’est d’ailleurs celui qui me fait craindre ma destinée.

En y pensant, je ne peux m’empêcher de fixer mon bracelet. Je le fais tourner plusieurs fois autour de mon poignet. Il est avec moi depuis ma naissance, mis à mon bras pour empêcher mes ailes d’apparaître. Alors de savoir que je dois m’en séparer aujourd’hui m’inquiète. Je m’interroge d’ailleurs une nouvelle fois sur ce qu’il peut bien renfermer.

Les battements de mon cœur s’accélèrent tandis que l’heure tourne et que la sentence se rapproche. Pour moi, c’est une punition, une décision qui peut tout changer, mais pour Ambre, c’est plutôt de l’ordre d’une libération. Son impatience se lit sur son visage, elle sourit et sautille au fur et à mesure que le temps passe.

— Arrête de t’en faire, tu as une tête d’ange.

L’intervention d’Ambre me ramène à la réalité, et une moue légère se dessine sur mes lèvres. J’ai du mal à la croire. Pourtant les images d’ange diffusées par notre communauté me ressemblent fortement. Une longue chevelure blonde avec des yeux bleus, je suis le portrait de l’innocence et de la pureté. De plus, notre robe traditionnelle, blanche et lisse accentue la porcelaine de ma peau. Un spectacle digne des plus grandes sculptures d’ange qu’on voit dans les livres.

Je déteste cette comparaison. Depuis que je suis jeune, les gens n’ont su dire que ça à mes parents, « votre enfant est parfaite, un vrai petit ange ». Le pire, c’est quand ils se penchaient vers moi pour me pincer les joues, et crier enjoués « Elle a la peau aussi douce qu’une pêche ». Alors que moi, j’avais juste mal à mes pommettes.

Mieux encore ! J’avais horreur de ceux qui venaient dîner chez nous et qui félicitaient mes parents pour ma clarté. Mais qu’est-ce que ça signifie au juste ? Sûrement que je représente pour eux, l’incarnation de l’ange originel. Je me souviens d’une fois où nous sommes allés à la cérémonie de l’éclosion, ma mère m’avait forcée à porter une robe en dentelle blanche, avec de longues boucles blondes et une couronne tressée sur la tête.

À notre entrée dans la salle, un murmure s’est fait entendre, « Azylis ». Avant qu’un second ne suive, « La petite est son portrait craché, c’est un ange né ». De quoi faire espérer à mes parents que je le sois vraiment. Le suis-je ? Comment pourrait-on croire à la perfection quand on doute de soi constamment ? Je me le demande.

Ambre quant à elle, c’est tout l’inverse comparé à moi. Brune, élancée et un regard noisette perçant, elle est une fleur qui n’attend plus qu’à éclore pour partager sa splendeur. D’ailleurs, si nous devions nous comparer à des émotions, je dirais qu’elle est la joie, tandis que moi, je serais plutôt la distraction. Toujours perdue entre rêve et réalité.

— En avoir l’apparence ne signifie pas pour autant que j’en suis un. Qui te dit que je ne suis pas un démon ?

— Toi ? Impossible ! Tu es la meilleure en tout, et tu as toujours respecté les règles.

— Ouais enfin, reste que ça ne veut rien dire. Et de toute façon, notre destin est déjà scellé.

Et je ne crois pas si bien dire. L’instant d’après, les enfants des démons font leur entrée. Pour cette journée exceptionnelle, qui a lieu une fois par an durant l’équinoxe du printemps, les deux classes de notre société ont le droit de se retrouver. La boule de nerfs dans mon ventre grossit surtout quand l’un d’eux prend place à mes côtés.

Son regard de démon se pose sur moi, alors que je me tords les doigts une nouvelle fois. Ambre vient s’installer à ma droite et m’attrape la main pour la prendre dans la sienne, et ainsi me montrer qu’elle me soutient. J’observe les autres s’installer, les images sont floues, dans un brouillard d’angoisse que je ne parviens plus à contrôler.

Je souffle un bon coup, au moment où le carillon du début de la cérémonie retentit. Les minutes se resserrent, le couloir dans lequel nous devons attendre se plonge dans le silence. Nous attendons. Les trois ambassadeurs de chaque classe doivent entrer en scène et faire leur discourt de bienvenue avant d’annoncer le prénom du premier enfant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Sandra Malmera ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0