I'M DERANGED

8 minutes de lecture

W. Agency. Victoria.

Madame Montgomery, assise en face du bureau, s'adresse à Law sur un ton fébrile :

— Avez-vous retrouvé le miroir ?

— Oui, lui répond Law.

Ren lui sert un thé.

— Merci.

— Auriez-vous un lien de parenté avec un certain Beaumont... Félix ?

— C'est possible, je ne sais pas... Beaumont était le nom de jeune fille de ma mère.

— Je croyais que c'était celui de votre mari... Pardonnez-moi ma question, mais comment sont morts vos parents ?

— Dans un accident de voiture. Ils rentraient de voyage, lui répond la femme, intriguée.

Law acquiesce les yeux dans le vide.

— Le passé de votre famille est quelque peu sulfureux... Le schéma se répète...

— Que voulez-vous dire ? Vous m'accusez de quelque chose ?

— Loin de moi cette idée, Madame, mais comprenez que je ne peux pas vous rendre ce miroir sans être sûre qu'il appartient bien à votre famille. Une photo ce n'est pas suffisant. Auriez-vous des preuves quelconques, une facture, le témoignage d'un cousin, d'un oncle ?

Law guette la réaction de Madame Montgomery. La cliente reste stoïque.

— Je n'ai personne. Pas d'oncle. Mes grands-parents sont morts. Éventuellement, un vieil album de famille que mon grand-père gardait dans son bureau. Cela vous conviendrait-il ? Je peux même faire un test ADN, si vous le souhaitez.

Law sent poindre l’ironie dans la voix de son interlocutrice.

— Nous n'irons pas jusque-là. Apportez l'album de famille, cela suffira. Nous ne sommes pas de la police, répond Ren, puis s'adressant à Law : n'est-ce pas ?

— Bien sûr que non. Monsieur Beaumont est prêt à vous céder l'objet, nous n'allons pas nous formaliser.

Law se lève, suivie de Madame Montgomery. Tout le monde se serre la main. Ren accompagne la cliente, referme la porte derrière elle, puis se retourne vers Law qui la regarde l'air de dire : « je sais ».

*

Paddington flat. 7 AM.

Law, Ren et Felicia prennent leur petit déjeuner dans le salon.

— Attendez les filles, vous êtes sérieuses ?! Y'a un homme enfermé dans mon miroir et ce serait votre cliente qui l'aurait coincé dedans ?!

— C'est l'idée.

— Et Montgomery, aujourd'hui, aurait quatre-vingt-quartoze ans et pas une ride ?!

— C'est ça.

Félicia s'adresse à Law :

— D'où ta question, un peu cliché, sur le vaudou, l'autre nuit.

Law lui répond, un peu gêné :

— C'est ça...

— Faut sortir ce mec de là !!

À ce moment, un livre tombe sur le canapé. Le titre : Alice de l'autre côté du miroir. Law le prend puis le pose sur la table basse.

— Il m'a l'air d'être d'accord. Vous en pensez quoi les filles ?

— On le sort de là !

Felicia se tourne vers Law, l'air malicieux :

— Il est comment ?

Law rétorque, sourire en coin :

— Plutôt beau mec.

— Tu l'as vu ?! interroge Ren, surprise.

— Le jour du rendez-vous avec Madame Montgomery, je suis arrivée en retard. J'avais rêvé de Louise, enfin de Madame Montgomery, bref peu importe. Elle était en train de tuer son oncle. Un poison qu'elle a mis dans son thé. J'ai pas percuté de suite à cause de la couleur de cheveux et des yeux. Surtout que la cliente a la quarantaine, alors que Louise n'a que quinze ans. Mais en creusant un peu le visage, c'est bien elle. Alors je suppose que c'est bien lui. Pas très clair, hein ?

— Si, si. Toi et tes rêves prémonitoires. Et c'est moi la sorcière vaudou…

— Pas vraiment prémonitoires, c'est plutôt comme une lucarne sur le passé ou un autre monde... Je suis peut-être un flic bourru à la syntaxe suspecte et au vocabulaire peu recommandable, mais tout de même, j'aime la poésie ! ajoute Law, pensive.

*

Louise tâte le pouls de son oncle. Il est entre la vie et la mort :

— Parfait.

La jeune fille se relève, regardant l'homme gisant par terre, puis scrute la glace sur le mur d'en face. Le pauvre bougre s'y reflète. Se redressant, le regard horrifié en direction de sa nièce, il constate qu'il n'est plus à ses pieds. Louise décroche, du haut du miroir, une pièce représentant une chouette entourant un crâne de ses ailes, la met dans sa poche et sort de la pièce.

*

Paddington flat. 6 AM.

Law se réveille en sursaut, se lève du canapé et fonce dans sa chambre. Sa collègue y dort du sommeil du juste.

— Ren, bouge ton cul ! Je sais comment faire !

Ren s'extirpe de son lit en gémissant. Law sort de la chambre, puis court réveiller Félicia. Elle lui tire sa couette en beuglant :

— Felicia ! On a besoin de toi ! Bouge de là !

— Espèce de barge, lui lance la colocataire se levant mollement pour traîner instinctivement ses pieds vers la cuisine.

Quelques minutes plus tard, la bouilloire fume. Félicia remplit une théière et l'amène au salon. Law et Ren sont assises sur le canapé. La colocataire sert le thé puis s'installe dans le fauteuil, faisant face aux deux enquêtrices.

— Bon, c'est quoi le plan ?

— On sort l'oncle du miroir, lance Law sur un ton convaincu.

— Comment ? demande Ren perplexe.

— En utilisant le principe d'équivalence des charges, d'après la théorie de science fiction de ma petite fée vaudou, répond Law, faisant un clin d’œil à son amie.

— OK. Mais ce n'est qu'une théorie, lance Félicia, quelque peu désarçonnée.

— On n'a pas le choix. Le gars vit un enfer depuis près d'un siècle. Au pire, s'il meurt quand on l’aura sorti de ce piège, on aura abrégé ses souffrances ! J'ai une autre théorie, qui expliquerait certaines choses, en supposant que Louise soit Madame Montgomery. Tout ce que j'ai rêvé sur la gamine se passait dans les années vingt. Je suis une grande fan des séries Hercule Poirot et Miss Fisher's Murder Mysteries, alors vous pouvez être certaines que je ne me plante pas ! Bref, la mère Montgo aurait aujourd'hui près de quatre-vingt-quartoze ans. Elle aurait conservé sa jeunnesse, mais comment ? En enfermant son oncle entre la vie et la mort, de l'autre côté du miroir... C'est l'état de Bardo. Genre, les limbes chez les bouddhistes. En le sortant de sa temporalité, elle fige le temps. Pas de temps, pas de fin, pas de mort. C'est source d'immortalité et l'amulette au hibou fait le lien, comme un cordon ombilical lui transmettant l'énergie saturée, extraite du « moment cristallisé ».

Law regarde ses amies, fière de sa théorie. Soudain, Ren s’exclame :

— Mais la Montgomery ne fait pas quinze ans ! Si ce processus arrête le temps…

— Ouais, ça aussi j’y ai pensé ! Le seul truc possible, c’est que ça ralentisse le vieillissement. En fait, le flux ne s’arrête pas complètement vu qu’il est intégré à celui de la réalité !

— Comme une temporalité à double vitesse. Être sur l’autoroute et sur une départementale, en même temps, lance Félicia pour soutenir les déductions de l’enquêtrice.

Les aventurières du bizarre finissent de boire leur breuvage, plongeant dans un silence méditatif. Le dénouement est proche.

*

W. Agency. Victoria.

Londres s'éveille. Les trois comparses arrivent à l'agence. Elles se lancent dans les préparatifs de leur embuscade.

— On place les miroirs l'un en face de l'autre et on les cale avec des chaises pour la perpendicularité. Faudrait du ruban adhésif les filles. Ren tu peux les tenir s'il te plaît ?

L’associée s'exécute aussitôt, tandis que Law part chercher du matériel dans la cuisine.

— Tu veux dire qu'en l'enfermant de l'autre côté du miroir elle aurait créé, disons, un générateur d'immortalité ? demande Félicia, se tournant vers la kitchenette.

— Et de l'autre côté du miroir, l'atemporalité qui l'empêcherait de mourir, serait un peu comme une aiguille de montre qui tente sans cesse de passer à la seconde suivante, mais à chaque fois recule et ce mouvement perpétuel serait ce générateur d'énergie vitale qui l’empêche de mourrir. J'ai bien appris ma leçon ? lance Ren à Félicia, tout en s'adressant à Law, qui apparaît à l'embrasure de la porte, l'air surpris :

— C'est ça.

L'enquêtrice brandit la boite à outils.

— On va pouvoir passer aux choses sérieuses.

Les filles placent deux chaises face à face, puis scotchent les miroirs aux dossiers. Ensuite, Félicia vérifie avec une équerre et un mètre ruban, que le parallélisme soit bien exact. Ensuite, les trois « drôles de dames » se positionnent fièrement devant leur création.

— Mais, attends Law, si on le sort de là, il va mourir ! s’exclame Félicia.

— On l'a dit : « c'est un risque à prendre ». Prêtes les filles ?

Les deux camarade acquiescent. Law éteint la lumière. Un lourd silence emplit l'agence. Les jeunes femmes guettent, tendues. Soudain, une boule d'énergie commence à se former entre les deux miroirs. Ren chuchote :

— La vache, ça fonctionne !

Shush. Rien n'est sûr.

Le halo chatoyant commence à prendre forme humaine. Au bout de quelques minutes, un homme se matérialise face à elles, agenouillé, tête basse. Il lève la tête, les regarde. Ren court allumer la lumière. Law se tourne vers elle :

— Attends !

Ébloui, il couvre ses yeux de ses mains, comme si son visage brûlait. Ren l'observe, désolée. Law avance vers lui pour le relever. L'associée se jette sur la chaise derrière le bureau. Les deux jeunes femmes l'aident à s'asseoir. Felicia s’éclipse dans la cuisine, faire du thé. L'ex-inspectrice s’appuie sur la table, le regard fixe, concentrée sur ses objectifs. Tout ce petit monde, quelque peu décontenancé, reste réactif malgré la singularité de la situation.

— Vous vous appelez comment ? interroge Law.

— James Montgomery.

Ren et Félicia se regarde, l'enquêtrice avait vu juste.

— Montgomery...

Law se lève brusquement, saisit le miroir qu'elle a acheté, puis donne un coup de cutter sur le scotch.

— On range tout !

Elle se rue dans l’autre pièce, pose l'objet contre le mur a côté du canapé. Puis, revient cacher celui de Félicia derrière le bureau, après que les filles ont démonté leur installation improvisée. Le voyant, James se pétrifie d'horreur, aveuglé par un flashback de Louise le regardant mourir. L'ex flic se tourne vers sa collègue :

— Vire les chaises, s'il te plaît. On va avoir de la visite, il faut faire place nette.

Ren s'exécute. Félicia disparaît dans la cuisine. S'adressant à James, Law indique le salon :

— Allez vous cacher.

Engourdi, l'homme se lève avec difficulté, puis se rend dans la pièce. Félicia ressort, à ce moment, plateau en main.

— Le thé est prêt. Je vais m’occuper de notre otage, je pense qu’il en a besoin.

— Parfait.

D'un léger mouvement de la tête, Law remercie sa colocataire, qui y entre, refermant la porte derrière elle. James, assis sur le canapé, se frotte nerveusement le visage. Il ne comprend rien. Félicia pose le service sur la table basse, s'assoit, puis lui sert une tasse.

— Merci.

— Ça va bien se passer. Cette timbrée sait ce qu'elle fait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Salt Penry ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0