THE SLAVE - seconde partie

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Tout était à sa place. La table au centre, vide. Les statues de marbre le long des murs. Une étrange phosphorescence verdâtre enveloppait la pièce. Je fis quelques pas. La porte se referma brusquement derrière moi. Je me retournai pour constater qu’un mur avait remplacé ce qui, il n'y a encore qu'un instant, était une entrée. Je posai mes mains sur ces pavés de roche calcaire. Je n’arrivais pas à croire ce qu’il c’était passé. Je fis le tour de la salle. Il n’y avait aucun moyen de sortir. Et ces mannequins qui me dévisageaient ! Je m’approchai de l’un d’eux, intriguée. De son visage, en apparence austère, émanait une profonde détresse, si humaine. Cette pierre renfermait quelque chose. Je vis soudain une larme couler le long de sa joue. Je tendis la main pour la toucher, lorsqu’un vacarme monstrueux m’arrêta net. Les portes étaient réapparues, toutes ouvertes. Je courus vers la sortie la plus proche, mais ma course fut vite stoppée par le comte, qui se dressait devant moi, menaçant. Sourire en coin, il me dit :

— Je manque de personnel.

Sans que j’eus le temps de réagir il m’asséna un coup de poing qui me fit perdre connaissance. Je repris conscience dans une des geôles du château. Mais quelle idée j’ai eue de me mettre dans une telle situation ? Je tentai de me lever mais mon corps ne répondait pas. M’avait-il droguée ou étais-je en train de rêver ? Les questions se bousculaient dans ma tête, je commençais à comprendre ce qu'il se tramait dans cette forteresse maudite. Von Krieff enlevait les gens pour les enfermer comme il venait de le faire avec moi. Mais dans quel but ? Les statues étaient le fil conducteur de cette macabre mise en scène. J’ai bien vu l’une d’elle pleurer ! Serait-ce possible d’emprisonner une âme dans un bloc de pierre ? Cette idée me glaça le sang. Je sentis soudain mon petit doigt tressaillir, mon corps commençait à se réveiller, j’essayai alors de bouger ma main. Rien. Il était hors de question d’abandonner, tout comte qu’il était, je ne serais jamais son esclave ! Je refusais de finir ma vie dans un caillou ! L’absurdité de la situation me mit dans une rage folle. Comment pouvait-on déloger une âme de son corps et l’asservir pour l’éternité ? Je devais savoir ! Cependant, tout le mécanisme me paraissait assez logique. Si on tue la personne, son âme s’évapore, il n’y a plus rien pour la retenir sur terre, le corps doit donc rester en vie comme dans un coma artificiel. Bon sang, mais quelles idioties étais-je en train de penser ?! Je ne crois ni en Dieu, ni en toutes ces fadaises qu’on nous raconte sur l’au-delà ! Je sentis brusquement mon torse brûler, quelque chose était posé dessus. La douleur fut si intense que mon bras la saisit d’un coup et la jeta violemment contre le mur. Je me relevai, puis regardai ma main . J’avais une brûlure au troisième degré sur toute la paume et, sur ma chemise, se dessinait un petit cercle d’étoffe calcinée. Je recherchai l’objet responsable de tout ce cirque. C’était un talisman sur lequel était gravé un sigle étrange. Une sorte de S traversant un cercle, de chaque côté duquel deux pointes ressortaient légèrement. En observant l’objet je me rendais compte que je n’étais plus paralysée. C’était donc ce truc qui m’avait clouée au pavé. Je fourrai l'objet dans ma poche. En me relevant je remarquai un tracé sur le sol à l’endroit même où j’étais allongée. Ce scénario ne présageait rien de bon. Tout ce que j’avais pu imaginer sur les âmes et les statues ne me paraissait plus si absurde, finalement. De la sorcellerie, il ne manquait plus que ça pour corser l’enquête ! Comme si les tueurs en série et les criminels en tous genres ne suffisaient pas, il fallait en plus que je me farcisse un marabout ! Cette réflexion sonnait bizarrement dans ma tête.

— Si on t’entendait penser, ma pauvre fille, on te mettrait la camisole sans te laisser le temps de t’expliquer ! me dis-je dit à voix haute, tant la situation me paraissait invraisemblable.

Je devais me ressaisir, il fallait trouver les autres otages de ce comte diabolique. Pour cela je devais sortir de cette cage. On se serait cru dans l’antre de Norman Bates à quelques nuances près. Un psychopathe magicien qui, au lieu de zigouiller ses victimes, emprisonnait leur âme dans des rondes-bosses ! Je me demandais s’il avait fait la même chose à sa mère ? Je commençais à comprendre comment tout ceci fonctionnait, l’amulette posée sur le torse des victimes devait séparer leur âme du corps au moment où elle devenait incandescente. J’y avais échappé de peu ! Par chance, le cachot n’était pas verrouillé. En sortant, je tombai sur une galerie serti d’une multitude de portes en bois massif. Mais bien sûr, il ne manquait plus qu’une fiole avec l’inscription « buvez-moi » étiquetée dessus ! Je commençais sérieusement à en avoir assez de ce manège infernal ! Des couloirs, encore des couloirs sans fin ! Je regardai par un trou de serrure et y découvris sans trop de surprise, une personne allongée comme je l’étais quelques instants plus tôt. Un talisman posée sur son torse rayonnait de cette même lueur verdâtre dont était enveloppée la salle principale. Tout était clair, le pouvoir de cette breloque était liée aux statues. Dans chacune des cellules gisait un otage et parmi eux, mon amie Lizbeth. Je devais agir. J’essayai d’ouvrir l’une des portes mais elle ne cédait pas. Je réitérai l’opération sur toutes les autres. Rien. Je donnai des coups de pieds et hurlai à pleine gorge afin de réveiller les détenus, mais nul ne semblait réagir. Ce satané talisman contrôlait leur « coma artificiel ». J’étais là, témoin impuissant de cette comédie maccabre ! J’entendis soudain des pas résonner au loin. Dans le fond du corridor se dressait un escalier en colimaçon. C’était le comte, assurément. Je ne différenciais plus les battements de mon cœur du bruit de semelle dure des bottes, qui se faisait plus net, au fur et à mesure qu’il descendait. Il apparu enfin. Sa sombre silhouette avançait vers moi, menaçante. Il mit sa main sur sa ceinture, puis détacha son fouet. Je restai figée, incapable de réfléchir et encore moins d’agir. Il s’approcha me me fixant de ses prunelles abyssal. Brusquement, il enroula son fouet autour de ma gorge et serra, comme un Boa étouffant lentement sa proie. Le sang me montait au crâne, il me regardait m’éteindre, un air de satisfaction extrême brûlait dans ses yeux d’obsidienne. D’un geste de désespoir je saisis l’amulette dans ma poche, puis l’écrasai contre sa poitrine. Von Krief lâcha son fouet, reculant horrifié. Une forte quinte de toux m’assaillit, je n’arrivais pas à reprendre mon souffle, mais je continuai de brandir le talisman sous ses yeux en dégageant le fouet d'un coup de pied. Aussi, je criai, si on peut appeler ça crier :

— Ne comptez pas sur moi pour devenir une de vos poupées de marbre !

Il tenait devait moi, immobile, fixant l’objet infernal. S’il tentait quoi que ce soit, je la lui faisais avaler !

— Vous allez libérer ces gens, immédiatement ! ajoutai-je, la rage au ventre.

— Impossible, le jour s’est levé. Je ne peux plus rien pour eux.

— Parce que vous vous inquiétez de leur sort maintenant ?!

Le comte resta silencieux. Il ne voulait pas me dire davantage.

— Ça les tuerait ?

Il continuait de fixer l’amulette sans desserrer sa mâchoire.

— Répondez ! Ça les tuerait ?

Je me ruai sur lui, il recula et trébucha sur une dalle démise. Je profitai de mon avantage pour lui écraser l’objet sur le torse. Le comte poussa un hurlement déchirant. Cette chose me brûlait les mains, qu’importe, je continuai de le presser contre sa poitrine. Soudain, toutes les portes s’ouvrirent violemment, le sol se mit à trembler, les murs se fissurèrent comme des coquilles d’œufs. Je me redressai précipitamment et commençai à comprendre mon erreur. Le sorcier se releva avec peine. Les dalles s’effondrèrent, juste derrière moi. Von Krief me saisit par le bras pour m’entraîner vers l’escalier. Nous remontâmes et aboutîmes la salle de réception. Toute la forteresse s’écroulait comme un château de cartes. L’îlot était en train de sombrer. Bon sang, tous ces gens ! Le bâtiment n’était plus qu’une ruine branlante, tandis que les abords de l’ile, ainsi que le désert de dunes avaient déjà disparu sous les flots. Un pan de mur s’affaissa sous nos yeux emportant le sol dans l’abîme. Un trou béant, baigné d’une eau noire, s’ouvrait sous nos pieds. Nous étions pris au piège, voués à une funeste fin, orchestrée par le sinistre dessein d’un homme qui voulait être l’égal des dieux ! Une violente secousse fit glisser le comte. J’eus le temps de le saisir par le poignet et tentai de le tirer vers moi, mais la violence du séisme m’empêchait de le remonter.

— Laissez-moi ! me cria-t-il.

Il était hors de question que je le laisse s’en tirer à si bon compte ! La ruine s’enfonçait progressivement, l’eau bouillonnait autour des roches qui disparaissaient une à une sous les flots. Tenant fermement le bras de Von Krief, je remarquai que son visage avait vieilli, que ses cheveux avaient blanchi. Brusquement, le rocher auquel je m’agrippais désespérément céda et nous emporta dans le remous des eaux déchaînées par l’agonie de l’île maudite. C’était la fin de cette macabre épopée.

Je me réveillai sur le pont d’un bateau de pêche. Le corps du comte gisait à côté de moi. Les habitants de Malte avaient vu le cataclysme. En bons marins, ils avaient décidé de porter secours aux éventuels survivants de l’îlot, et ce, malgré la superstition de ces derniers le concernant. Je tentai de retrouver le pouls du sorcier, son cœur battait faiblement. Je restai agenouillée devant ce visage de vieillard. Posant ma main sur sa joue, j’espérai un quelconque signe de vie. Il ouvrit les yeux, puis me fixa. Son regard n’avait pas changé. L’homme avait vieilli de près de cinquante ans. Je relevai doucement sa tête, me penchai sur lui.

— J’avais besoin de ces âmes pour faire vivre mon île.

Ce furent ses dernières paroles. Il rendit son dernier souffle sur un bateau de pêche maltais, dans mes bras. Depuis ce jour, à l’endroit où se dressait la forteresse, flotte un halo de brouillard verdâtre : ce sont les âmes perdues qui errent autour de ce que fut autrefois l’île de Lyrh. Aujourd’hui encore je regrette de n’avoir pu les libérer de l’envoûtement. J’enterrai le comte sur Malte et fit inscrire sur sa tombe :

« ci-gît le comte Edward Von Kriff, maître des âmes damnées ».

J’étais sans aucun doute la seule à comprendre ce que signifiaient ces quelques mots. Le talisman qui m’était destinée fut perdue à jamais dans la mer. Je gardai, cependant en mémoire le symbole gravé dessus. Je devais découvrir tout ce que ceci pouvait signifier. Cet épisode de ma vie allait marquer le début d’une longue carrière dans le « bizarre ».

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