Chapitre 9 : La vampire aux cheveux blancs

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Piotyr

Mon étude du carnet de la fausse reine me remplit d’horreur et d’effroi. Je bénis à chaque page Valass de ne pas avoir fait sombrer notre royaume comme pris des péchés de notre dirigeante. J’appris ainsi comment elle parvint à usurper le trône avec la vile complicité de parjure de duc de Kulmar, comment elle dévorait ses propres semblables grâce aux talents de cuisinier du duc de Kmar, comment elle captura puis supplicia des décennies durant l’honorable et preux duc de Cracvonia, et ce avec le consentement du roi Nikolaj III, le propre souverain de ce malheureux. Tandis que je pensais avoir lu le pire, ce dernier se découvrit à moi ensuite.

C’était une quinzaine d’années après la fin de la précédente guerre. Une vampire du nom de Natacha fut amenée au palais pour y être jugée. Elle avait semble-t-il commis un meurtre pour assouvir des penchants cannibales. Les chevaliers furent d’ailleurs assez surpris de voir que lorsqu’ils lui demandèrent de se rendre elle obéit sans opposer de résistance. Cette créature avait bien des particularités. Elle avait les cheveux blancs, les yeux rouges et sa peau était parsemée de toute sorte de blessures. Elle était également plus forte que n’importe quel vampire, même mâle, et, tandis que le soleil ne fait que nous affaiblir, ce dernier lui brûle littéralement toute partie du corps se trouvant à portée de ses rayons.

Il semblait toutefois qu’elle ne se souvenait de rien. Les seuls choses qu’on parvint à lui soutirer furent son nom et de vagues souvenir d’enfance sans qu’elle ne sache de quand exactement ils remontaient, ni qui étaient ses parents. Il est facilement compréhensible qu’étant donné l’engeance de la chose nul ne vint la revendiquer. Je me souvenais de cette affaire, elle avait fait grand bruit et l’on surnommait déjà l’accusée « la sorcière blanche ». Toutefois l’attrait retomba vite lorsqu’elle fut condamnée à mort et exécutée à huit-clos… Du moins c’est ce que je croyais, ce que tout le monde croyait. En effet la souveraine du moment s’était entichée de la créature et l’avait en secret épargnée et confinée dans une des salles secrètes du palais.

Elle commença à entretenir le même genre de relation malsaine avec elle qu’avec la véritable Vassilissa en son temps. C’est au cours d’un de moment de débauches que d’autres caractéristiques de la sorcière lui apparurent. Elles dégustaient du vampire ensemble lorsqu’à la première bouchée Natacha entra en transe. Cette dernière n’en sorti que lorsque sa maîtresse lui ordonna de lui dire comment elle allait. Intriguée la reine commença à faire de petites expériences, anodines au départ, de moins en moins par la suite, afin d’analyser et définir au mieux cet étrange comportement.

Il semblait qu’après avoir mangé un de ses semblables, Natacha entre en transe jusqu’à ce qu’on lui donne un ordre qu’elle s’empressait aussitôt d’exécuter du mieux qu’elle pouvait. Une fois sa tâche accomplie elle oubliait tout depuis sa dernière dégustation de vampire. On ne pouvait lui donner une nouvelle directive avant que la précédente n’ait été réalisée. Il fallait ensuite lui redonner du vampire afin de réitérer l’expérience. Vassilissa écrivit même certains conseils qu’elle se donnait à elle-même tant le contrôle d’une telle engeance paraissait peu évident :

« Natacha exécute à la lettre les ordres qu’on lui donne après qu’elle a dévoré un vampire. Elle ne fait aucun travail d’interprétation et des choses paraissant évidentes pour quiconque ne le sont pas pour elle. Si on lui ordonne de voler une orange et que quatre gardes l’empêche d’exécuter sa tâche, elle les tuera sans hésitation ni difficulté afin de s’emparer de l’objet de sa quête. Elle l’a fait. Il est donc impératif de préciser les conditions dans lesquelles doit être menée la mission tel que « soit discrète », « revient me voit une fois la mission effectuée », « évite de mourir ou de te blesser pour l’accomplir », « ne révèle ton commanditaire en aucun cas » et ainsi de suite… »

La cruelle dame vit rapidement le potentiel qu’elle pouvait tirer d’une vampire immensément forte et agile qui lui obéissait au doigt et à l’œil. Si tout ce que faisait la vampire au cheveux blanc en mission lui échappait une fois cette dernière effectuée, elle pouvait néanmoins apprendre toute sorte de chose en temps normal. Il lui fut ainsi enseigné l’art du déguisement, de la discrétion, de la séduction, de l’assassinat et plein d’autre choses afin d’en faire une espionne et une meurtrière redoutable… Chacun de ses précepteurs lui servait ensuite de repas afin que nul autre que la reine ne soit au courant de son existence.

Je ne sais pas si cette créature est un ange ou un démon mais je me souviens de la phrase du roi : « La manière change, la fin demeure la même ». Je dévoilerai les trahisons des ducs de Kulmar et Kmar et informerai mon souverain qu’un agent tout spécial est à sa disposition pour accomplir ses basses œuvres mais je garderai pour moi le secret de sa réelle nature. Le seul vampire qu’elle dévorera désormais sera moi. Les souffrances que cela impliquera seront ma pénitence pour les horribles choses que je m’apprête à faire afin que le nom et la gloire de Valass perdurent.

Pierre

A peine arrivée et ma situation clarifiée je fus remis entre les mains du prêtre Gilles, un homme qui avait la quarantaine à l’air toujours sérieux. Il m’inculqua les préceptes du culte jours après jours. De toute évidence ces préceptes se rapprochaient davantage du code de conduite et de survie du mouvement que de la foi. Quelle religion de benêt. N’importe qui ayant été éduqué ailleurs… Non en fait n’importe qui ayant été réellement éduqué eut décelé les incohérences et les absurdités qui m’étaient énumérées à longueur de journée. « Plonger son regard dans celui d’un vampire revient à faire brûler son âme à petit feu », « La désobéissance au clergé équivaut à la désobéissance à Renaud et l’enfer est promis à ceux qui détournent l‘humanité de sa voix » ou encore « Qui n’est pas marié à seize ans et parent à dix-huit est un traître à sa race ».

Je comprenais l’intérêt de pareils préceptes. Ils étaient là pour éviter que les vampires ne s’intéressent à nous, que la discipline soit maintenue et que le rapport démographique continue à évoluer à notre avantage. La peur du châtiment éternel et la fidélité au Dieu-Roi son naturellement de biens meilleurs moteurs que les explications longues et fastidieuses. De toute évidence le prêtre qui m’enseignait tout cela croyait dur comme fer à ce qu’il disait et j’eus été bien peu avisé d’en discuter avec lui. La religion n’en était pas moins assez peu développée et finalement très basique, il ne me fallut pas deux mois pour tout intégrer et comprendre. A cet instant j’aurais pu, si je l’avais voulu, être meilleur théologien que quiconque ici. Il fut d’ailleurs rapidement question de remédier au troisième précepte me concernant. Une indulgence avait naturellement été invoquée à mon propos étant donné les circonstances.

Il sembla rapidement que la foi et la connaissance des textes étaient de biens meilleurs arguments de séduction que la beauté ou la force de telle sorte que je n’eus que l’embarras du choix pour me choisir une épouse. Mon dévolu tomba sur Julie, une jeune et magnifique fille de quatorze ans qui était un tantinet moins fanatique que les autres. Le mariage fut rapidement célébré dans la clandestinité selon les préceptes du culte.

Cette période fut sans nul doute l’une des meilleures de ma vie mais elle ne devait pas durer. Un beau matin Phillipe vint me voir et m’expliqua :

« Bonjour Pierre ! Ecoute, j’ai quelque chose d’important à te dire. Comme tu le sais nous communiquons beaucoup avec les autres villages dans lesquels le culte est présent et Rolland a eu vent de ton existence et tient absolument à te rencontrer ! Tu devras partir demain pour te rendre au village d’Angrimar où il vit. C’est à une petite semaine de marche. »

A cet instant il eut comme l’air émus puis me serra la main en me souhaitant bonne chance. La nouvelle de mon départ fit rapidement le tour de la bourgade et tous vinrent me saluer et me dire au revoir de façon plus ou moins familière et ostentatoire selon les caractères et affinité. Me voilà donc pour ma dernière nuit dans le village de Mov et ce dernier me manque déjà… Les vampires d’ici étaient bien calmes et tant que l’on faisait le travail exigé nul ne nous portait la moindre attention. Je touchais du doigt pendant deux mois ce que serai la vie de l’humanité libérée et si ma haine pour nos bourreaux demeura inchangée j’appris à aimer les hommes et à espérer le futur promis pour nous. Dans quelques heures je serai sur les routes avec Julie vers une destination inconnue mais j’ai déjà hâte de rencontrer ce fameux Rolland dont tout le monde parle.

Marie

Jours après jours le temps se réchauffe, le printemps approche et avec lui le temps de la révolte ! les hommes s’entrainent chaque jour avec plus d’entrain que le précédent et les gardes qui nous ont rejoint s’échinent à en faire des guerriers : « Accompagne l’arme avec ton bras », « plus large la taillade ».

Nos entrainements dans des caves sur des parodies de mannequin ne payent pas de mine mais le cœur y est ! Mon ainé, Jacques se débrouille extrêmement bien et mes deux cadet, Gontran et Vivien se démènent pour le rattraper bien qu’ils n’aient que douze et treize ans. Mes deux filles Laura et Aliénor sont déjà mariées et la première sera bientôt mère. Aucune d’elles ne néglige ni la prière ni ses devoirs conjugaux ! Si seulement mon mari était encore là pour les voir… Lui qui a été tué pour avoir croisé le chemin de deux vampires quelque peu affamés… Augustin, tu serais si fier de tes enfants !

Mes sermons se doivent d’être encore plus incisifs à l’approche du grand jour :

« Fidèles de Renaud ! N’oubliez pas que la santé physique va de pair avec la pureté de l’âme quiconque néglige l’une voue l’autre à la vanité ! N’oubliez pas ! Nous avons perdu notre dernière guerre car les graines de la corruption ont germé dans nos esprits ! ne laissons pas cela se reproduire, taillons nos corps par l’exercice et l’âme par la prière. Une fois cela fait, nous serons invincibles ! Je vous le dis, le jour de la révolte est proche et lorsqu’il sera là, nous serons prêts ! Puisse Renaud nous guider ! »

« Puisse Renaud nous guider » répétèrent les fidèles.

Je dois moi aussi préparer mon âme car les missives se font de plus en plus resserrées les unes des autres… Il ne faut pas pêcher par impatience, la coordination sera une des clefs du succès. Que Renaud nous donne la force de supporter les brimades des vampires encore une saison de plus et nous les détruirons !

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