Chapitre 3 : L'incendie

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Andrei

8 août 5130

Notre arrivée à Sussmar s’est parfaitement passée. Retrouver ces somptueux décors me ravit au plus haut point quand bien même ils ne semblent pas être du goût du prince : « pas assez guerriers » selon lui. Bien que timide au départ il a de plus en plus de mal à contenir ses railleries : « Vos goûts en matière de mobiliers sont tout à fait particuliers, on reconnaît bien là la patte des humains », « Voilà l’avantage d’avoir une reine à la tête de son royaume, à défaut de gaspiller son or en armes, vous avez des tapisseries ! » et autres remarques peu subtiles mais qui permettent néanmoins aux seigneurs d’Aartov de rebondir dessus en cœur.

Alors que je pensais que Nikolaj recadrerait prestement son fils, il semble se satisfaire de la situation, presque comme s’il l’avait anticipée. En effet à chaque pique du prince, ce sont tous les nobles d’Aartov, Nikita II en tête, qui lui emboitent le pas, trop contents de venger par ces mots les humiliations que subit quotidiennement le roi consort Branislav à la cour de Vassilissa. Ainsi, si cette dernière déteste de plus en plus le prince Stanislas, sa haine envers le royaume d’Aartov augmente également et cela convient tout à fait à notre souverain. Ce dernier se contente de tenir ses chevaliers et de laisser libre cour aux railleries, malgré tout mesurées et ponctuelles, de son fils qui, de par son rang, semble prémuni de toute critique ouverte de la part de la reine et à fortiori de tout autre noble de sa cour ; ce qui n’est pas le cas des chevaliers d’Aartov qui provoquent accidents sur accidents avec les suivants de Vassilissa.

En ce qui concerne les festivités tout est à la hauteur de la cour la plus raffinée du monde, les mets sont exquis, les musiques toutes plaisantes et les broderies du plus bel effet ; sans compter que la reine avec qui j’ai eu l’honneur de partager une danse a la grâce d’une déesse et son maquillage, masquant certes la presque totalité de ses traits, n’en est pas moins superbe mettant en valeur tant ses yeux que ses crocs.

La princesse se comporte quant à elle admirablement avec le prince Yegor et, bien qu’elle le trouve un tantinet vantard, elle semble l’apprécier. Voilà qui me rassure.

Le plus réjouissant demeure néanmoins qu’avec l’arrivé de la cour d’Erhiv cet après-midi nous partirons demains pour le palais d’Injima, merveille de ce monde et qui fut encore enjolivé pour l’occasion à ce qui se dit. C’est lorsque je vis de pareils moments que je regrette de servir Orania et non Isgar. Leurs mœurs ont beau dérouter quelques peu nos chevaliers je ne peux m’empêcher de les trouver d’une infinie délicatesse. Hélas mes ancêtres et mon sang me rattachent à un autre royaume... Profitons-en pour d’autant plus apprécier le mariage à venir !

Christina

Moi qui pensais que les splendeurs d’Injima auraient impressionné les nobles d’Aartov… Je me suis bien trompée, ils n’ont même plus besoin que Stanislas prenne l’initiative des railleries pour se moquer ! J’ai déjà dû exclure trois seigneurs des festivités, dont le prince héritier Javor qui pensait pouvoir profiter de son rang pour insulter ouvertement mon royaume. Mais cela ne semble que galvaniser ceux qui restent. Non seulement les seigneurs d’Aartov se débrident complétement mais je sens que même certains de mes propres vassaux leur emboîtent le pas, de façon infiniment plus discrète il est vrai. Ces seigneurs de la vieille école ne supportent toujours pas l’idée d’avoir une femme comme souveraine et, à part dans de telles occasions, ils préfèrent rester terrés dans leurs ridicules châteaux en pierre.

Ils rêvent de voir mon « frère » Valentyn sur le trône. Il est vrai qu’il a le double mérite d’être très pieux, ce qui demeure important pour un prince, et d’en plus se désintéresser du pouvoir ce qui leur laisserait bien plus de libertés pour se quereller entre eux et tirer les ficelles à l’insu de ce bigot. Je dois toutefois avouer être bien tombée avec ce frère de substitution. Contrairement à feu Dmitri dont les derniers supplices bercent encore mes rêves, Valentyn m’est d’une fidélité absolue et bien qu’il m’ait avoué désapprouver presque tous les changements que j’ai pu introduire à la cour depuis le début de mon règne, sa loyauté au trône et à la couronne due à sa foi n’en font pas moins un de mes plus précieux alliés. Il demeure donc naturellement fort éloigné de la capitale, n’échangeant depuis son monastère que les lettres que la courtoisie exige et ne se déplaçant que pour les plus grandes occasions, un mariage royal en étant l’exemple parfait.

Je ne peux m’empêcher de penser que si les grands chevaliers et généraux de mon royaume se sont tenus sages pendant tout ce temps c’est grâce à l’intervention de Valentyn qui les a retenus par fidélité tant à la famille qu’au trône. Il est étonnant de voir comment ce prêtre peut malgré tout être respecté par ces guerriers ne jurant que par l’épée et ne voyant en lui que le membre le plus faible de la famille royale. Sa dévotion non feinte couplée au rejet que j’exerce ne doivent pas y être pour rien. Il est tout de même remarquable de voir que ce vampire qui n’élève jamais la voix soit capable de calmer une assemblée de vampires en colère. Du moins y parvenait-il car c’est de moins en moins le cas. Leur patience semble mise à rude épreuve à chaque nouvelle œuvre d’art révélée. Ils y voient dans chacune d’elle une insulte aux valeurs ancestrales du royaume et donc à leur honneur personnel tandis qu’il ne s’agit là que de l’expression la plus pure du génie isgarien.

Je les punirai après le mariage, il ne doit pas être dit que l’on peut impunément insulter la reine au sein même de sa propre cour ! Demain l’union sera proclamée et après-demain ces grands seigneurs seront châtiés à tel point qu’ils ne seront guère plus puissants que des petits barons. Enfin je ferai payer à Nikita et ses chevaliers chacune de leurs insultes, une alliance avec Orania ferait certainement un excellent cadeau de mariage et je n’ose imaginer que Nikolaj ferait un jour la guerre à sa propre fille, ce serait là du jamais vu et il est même possible que certains des seigneurs oraniens se révoltent à la simple évocation d’une pareille aventure. Que les chevaliers d’Aartov rient tant qu’il en est encore temps, ils riront moins lorsque les armées du monde se ligueront contre eux !

Pierre

BRÛLEZ ! BRÛLEZ ! BRÛLEZ maudites créatures ! La soirée avait pourtant si bien commencé pour vous ! Après avoir scellé leur union, Yegor vint inaugurer la salle de balle que j’avais faite pour lui… Tout en se vantant de son exceptionnel sens artistique… Je ne pus m’empêcher de laisser s’exprimer un petit rire à ces mots. Tous les plus éminents vampires des quatre royaumes étaient là. La musique commença alors et les mariés ouvrirent le bal, tandis que les souverains leur emboitèrent le pas puis enfin le reste de la noblesse.

Le petit trou que j’ai confectionné derrière un de ces tableaux m’a été fort utile pour apprécier la scène. Quand bien même je prenais un léger risque en faisant cela je n’aurai manqué ce spectacle pour rien au monde !

Il devait être vers minuit lorsque la bougie du chandelier que j’avais préparé finit de se consumer. A cet instant toutes les tapisseries de la salle prirent feu et bientôt la panique la plus totale gagna ces vils monstres. Et bien alors ? Je croyais que vous étiez la race supérieure ! Visiblement même vous avez peur des flammes ! Ils se marchaient dessus, se piétinaient les uns les autres et seuls de très rares chevaliers semblaient garder un semblant de calme et protégèrent leur souverain. Pendant ce temps certains sautaient par les fenêtres tandis que d’autres enfonçaient les portes bloquées par les débris qui commençaient à s’accumuler.

Mais le clou du spectacle arriva lorsque la maigre charpente qui j’avais pris soin d’ériger avec le pire bois possible s’affaissa sur tout ce beau monde dans un fracas infernal. Je ne pus rester davantage sous peine de finir brûlé mais le carnage était total et des dizaines de vampires ont dû mourir sur le coup et bien d’autres asphyxiés ou, et je préfère ainsi, brûlés !

Lorsque je fus sorti du palais je le voyais fondre sous l’incendie « Le joyaux d’Isgar » partait en fumée avec l’ensemble de la noblesse vampirique ! J’apercevais quelques rescapés commencer à s’attrouper autour de la bâtisse en flamme… Vous ne perdez rien pour attendre, le temps des vampires s’achèvera et plus vite que vous ne le pensez !

Je ne pus toutefois m’attarder, je ne sais pas s’ils auraient fait le lien entre moi et ce brasier mais je suis certain que dans leur rage les vampires ne laisseront pas un humain ayant travaillé sur ce chantier s’en sortir vivant… Les plus heureux sont ceux qui brûlent en ce moment même.

Me voilà donc sur les routes. Je ne sais trop vers où je me dirige, en réalité je n’y avais pas pensé jusqu’à maintenant… mais je n’ai pas peur, Renaud guide mes pas et « qu’importe les horreurs de la nuit, le jour se lèvera et le temps des hommes viendra ! »

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