Chapitre 2 : Les plaisirs d'Isgar

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Andrei

17 juillet 5130

Nous sommes enfin partis vers Sussmar. Toute la cour de Valassmar s’est mise en route et même Stanislas et Anastasia semblent excités par la perspective d’enfin quitter leur royaume. Nikolaj paraît également satisfait par la tournure des évènements, ses projets de réforme de l’armée nécessitant encore quelques générations d’humains. En effet, sur quelques fiefs bien précis, notamment sur celui du porteur de Buve-Sang, le comte de Gamar, il essaye de reproduire les méthodes de feu le généralissime duc de Sartov qui avaient permis à notre royaume de remporter tant de batailles par le passé. Cela semble néanmoins prendre plus de temps que prévu étant donné qu’une vie n’est pas suffisante pour insuffler un esprit à la fois guerrier et soumis à ces êtres. L’éducation doit être faite tant par nous les vampires que par leurs propres parents et cela implique donc que ces derniers doivent également avoir été éduqués.

Pourtant, après bien des décennies de travail, les résultats semblent enfin concluants : il n’y a dans ces territoires presque plus de prêtre de Renaud, ce maudit roi des hommes qui aura provoqué tant de révoltes bien après sa mort et encore aujourd’hui. Les manœuvres ressemblent enfin à quelque chose et l’on commence à dénoter un véritable attachement de la part de ces humains à leurs chefs vampires. Ces fiefs militaires, après plus d’un siècle de tâtonnement, portent enfin leurs fruits. Nikolaj estime qu’ils atteindront leur apogée d’ici quarante ou cinquante ans, le temps d’appliquer nos nouvelles méthodes de formation à deux ou trois générations supplémentaires afin que la troupe gagne en effectifs, fidélité et efficacité.

Même en ce début de trajet il garde un œil attentif sur le développement de son armée, d’autant plus qu’il essaye de garder tout cela le plus secret possible. Les fiefs militaires sont les plus loins possible des royaumes de l’ouest et, bien que ces derniers ne puissent pas totalement ignorer la montée en puissance de nos forces, l’éloignement géographique de ces préparatifs doivent leur en faire occulter la nature profonde à savoir la résurrection des forces qui les ont jadis plongés dans l’abime de la défaite sous Boleslaw le fort.

La prince Stanislas aussi d’ailleurs s’enquiert sans cesse de ces préparatifs et il rêve d’un jour commander lui-même à ces forces. Aucune autre affaire que la chose militaire ne semble l’intéresser et à vingt et un ans il fait preuve d’une impatience telle qu’on croirait qu’il n’a qu’une vie d’homme devant lui.

Pour l’instant Nikolaj ne s’en soucie pas davantage que cela, à l’heure actuelle sa principale préoccupation est que le mariage se passe bien et il s’inquiète plus du comportement de sa fille sur place. En tant que précepteur et ami de la famille, du moins j’ose me l’imaginer, il m’a chargé de rester auprès d’elle pendant le trajet afin de m’assurer qu’elle maîtrise parfaitement l’étiquette au combien rigide et compliquée de la cour de Sussmar. Ce n’est bien sûr qu’un prétexte car cela fait des décennies que c’est le cas mais je finis par connaître notre souverain à force de passer tant et tant de temps avec lui et ses enfants. En réalité il ne veut pas seulement qu’Anastasia épouse le prince Yegor mais bien qu’elle le séduise. Il veut qu’elle ait le plus d’influence possible sur ce dernier dans les intérêts d’Orania et pour cela tous les moyens sont bons... Même les plus intimes mais c’est aussi pour cela que j’ai été choisi comme précepteur après tout. Cela a beau être contre la nature de la princesse de tromper et de se servir d’autrui, elle semble néanmoins avoir des aptitudes dans ce domaine, tant grâce à son éloquence que par sa beauté, qu’elle tient plus de son père que de sa mère. Et pour ce qui sera de la couche je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle réussira à mettre en pratique tout ce que moi et les dames de la cour lui avons appris.

Au fond elle est le contraire de son frère sur bien des points, ce dernier est bien moins subtil et tient plus de sa la reine Youlia que du roi pour ce qui est de l’attrait physique. Il n’en demeure pas moins très énergique, il a des aptitudes physiques remarquables et montre bien moins de scrupule que sa sœur pour tout ce qui est intrigue... Mais il a également bien moins de talent pour cela. Après tout il ne m’a pas eu comme précepteur. Le plus surprenant reste que ces deux-là s’entendent si bien malgré toutes leurs différences. Tant mieux pour eux ! Maintenant je dois faire part à la princesse de tout ce que j’ai réussi à amasser comme information sur son promis afin qu’elle puisse le séduire au mieux et le plier à sa volonté et donc à celle de son père. Cela ne lui plaira sans doute pas mais, comme d’habitude, le sens du devoir l’emportera sur les scrupules.

Pierre

Les préparatifs vont bon train, la cérémonie aura donc lieu dans le palais d’Injima, à quelques lieues de Sussmar, dans le fief du prince Yegor. Cette bâtisse est la plus grandiloquente de toutes celles qui ont été érigées ces dernières années, le fleuron d’Isgar selon beaucoup. Le futur marié a affirmé qu’il la rendrait encore plus grandiose pour l’occasion et, lorsqu’il dit « il », il veut bien sûr parler de nous les hommes.

Travailler pour ce vampire est un véritable calvaire, il ne connaît presque rien sur l’architecture. Que l’on échoue à réaliser quelque chose d’infaisable et la sentence tombe, implacable et impitoyable. Il n’y a qu’à cela que les vampires sont bons. J’ai d’ailleurs réussi à me maintenir à mon poste, à l’inverse de mes prédécesseurs, non pas tant grâce à de meilleures compétences mais parce que, contrairement à eux, j’ai compris qu’il était essentiel de s’entourer de quelques incapables à qui faire porter le chapeau en cas d‘échec… Avec les exigences absurdes de notre prince bien des incompétents ont péri depuis que j’ai atteint ce poste. Cette longévité assez rare à un tel niveau m’a permis d'acquérir la confiance et même une certaine forme de sympathie de la part du prince. Ce n’est pas pour me plaire mais cela a le mérite de me faciliter la tâche.

Après toutes ces années me revoilà donc au palais d’Injima. J’avais déjà œuvré sur cette bâtisse lors de sa finition et il est vrai qu’elle n’a rien à voir avec les vieux châteaux de pierres parsemant encore le royaume. Ici les tableaux et les tapisseries s’entremêlent autour de larges fenêtres tandis que la structure en bois et en brique peinte permet les fantaisies les plus folles, d’autant plus qu’il n’y a pas de contrainte due à un quelconque usage militaire. Le tout est comme assiégé par d’immenses jardins dans lesquels des centaines d’hommes se tuent à la tâche pour entretenir et soigner le moindre plant.

Je ne pensais pas y remettre un jour les pieds mais me voici donc en compagnie de Yegor pour qui je dois réaliser en un temps record des travaux d’une incroyable complexité, comme si ce fabuleux palais était encore trop sobre pour les goûts de mon maître… Qu’importe, quelques têtes tomberont pour satisfaire ce dégénéré.

Je ne sais pas si tous les désirs architecturaux du marié seront assouvis à temps mais les miens ne souffriront pas du moindre retard… Voilà bien un avantage de travailler sous les ordres d’un prétentieux incapable, je peux préparer mon affaire à son nez et à sa barbe sans qu’il ne s’en rende compte.

Je ne suis pas gâté par mes ouvriers non plus d’ailleurs, tous me détestent à cause de l’apparente proximité que j’entretiens avec notre bourreau… Après tout je m’en moque, qu’importe qu’ils m’acclament ou me damnent ; tous périront bientôt dans les flammes, Renaud reconnaîtra les siens.

Vivement les festivités !

Christina

La cour de Valassmar est enfin arrivée, trois jours à peine après celle d’Aartovmar. Ne manque plus que celle d’Erhiv. Jamais depuis notre alliance contre les hommes pareille assemblée n’avait été réunie. Il faut dire que ce mariage unie toutes les monarchies du monde, l’enfant qui en résultera aura comme aïeux tous les souverains de notre temps.

Toutefois l’ambiance n’est pas aussi égayée qu’elle le devrait. Malgré les banquets qui se succèdent depuis maintenant une semaine, montrant tout le savoir-faire de notre royaume en matière de gastronomie, de danse et de jeux, le prince Stanislas semble éprouver un malin plaisir à disséminer ici et là quelques remarques sur notre prétendue décadence, bien aidé en cela par les nobles d’Aartov trop heureux de pouvoir me critiquer sous couvert de soutenir le prince d’Orania. Il faut dire que le roi Nikita II n’apprécie guère la façon dont je traite son fils Branislav… Ce dernier est d’ailleurs sorti pour l’occasion de son alcoolisme de plus en plus chronique afin d’aller voir son père, ses frères et neveux. Bien que l’honneur et le sens du devoir l’empêche de participer aux critiques de moins en moins voilées que je reçois jour après jour, il semble on ne peut plus heureux à chaque pique.

Les butors se complaisent dans leur médiocrité, je suis en revanche très agréablement surprise par la princesse Anastasia, comme quoi on peut venir d’une contrée barbare et malgré tout faire preuve d’éducation et de savoir-vivre. Son père ne doit pas être étranger à cette attitude raffinée, il a lui-même toujours la conversation élégante et pertinente. A croire que son seul défaut est qu’il ne fut pas capable de réussir l’éducation de ses deux enfants. J’eus préféré l’épouser lui que mon idiot de mari. Enfin, mon fils devrait être heureux avec sa fiancée, il n’arrête pas de lui parler d’art et elle l’écoute religieusement. Feint ou pas cet intérêt semble ravir mon Yegor. Quand bien même il dispose d’une armée de courtisans pour chanter ses louanges à ses moindres gestes, la princesse semble tous les éclipser.

Ce n’est pourtant là qu’un avant-goût des véritables festivités qui commenceront dans quelques jours au palais d’Injima. Le roi Piotr IV ne devrait plus tarder à arriver. Une fois cela fait nous iront dans la résidence de mon fils que ce dernier a pris soin d’encore embellir et ce alors que nul ne croyait cela possible. Dans ce temple du raffinement, entourée de mes enfants et accompagnée par tout le savoir-faire dont mon royaume est capable, mon extase et ma joie seront totales.

Nul doute qu’à la vue de ce monument, joyau de mon royaume, même les ignares chevaliers d’Aartov ne resteront pas indifférents… En attendant plus les jours en leur compagnie passent, plus mon envie de rompre mon alliance avec eux et d’en forger une nouvelle avec Nikolaj III se renforce… Ce dernier a l’art et la manière d’utiliser les bons mots pour m’en convaincre. Pas de décision hâtive toutefois, il reste encore bien des jours pour réfléchir à cela… Je ne voudrais pas que de sérieuses pensées viennent polluer la sensation de plénitude que je ressens en écoutant nos plus grands chanteurs, en dansant avec les vampires les plus habiles de toutes les cours et en dégustant ces délicieux humains préparés avec soin par mes meilleurs chefs.

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