Chapitre 9 – Les pommes du voisin sont les meilleures.

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20 octobre 1999

Les feuilles jaunies des platanes virevoltaient sous la tempête digne d’un mois d’octobre. Les enfants s’étaient enfermés chez eux, à s'empiffrer de bonbons et de Pop-Corn en regardant pour la centième fois Hocus Pocus, loin de cette agitation.

Scarlett éteignit son ordinateur et se dirigea vers la cuisine. Monsieur Darcy, son chat angora obèse clopina vers sa gamelle pleine à craquer. Il manifesta son mécontentement lorsqu'elle lui caressa la tête.

— Vilain chat ! le somma-t-elle.

Scarlett referma le paquet de croquettes et le rangea dans le débarras. Monsieur Darcy releva le museau et d’un œil dubitatif suivit attentivement sa trajectoire.

— Tu en as bien assez, petit gourmand, le réprimanda-t-elle affectueusement.

Elle enfila ses imposantes lunettes à monture métallique, extirpa L’attrape-cœur de sa bibliothèque et s’installa dans son fauteuil Chesterfield. Elle retira ses pantoufles en tissu duveteux et ses pieds nus rencontrèrent le parquet usé. Le matou vint se frotter contre ses chevilles, ronronnant avec autant de ferveur qu’une locomotive à vapeur. Le téléphone sonna et l’animal bondit. Il trouva refuge sous l’armoire ancienne, l’un des seuls meubles sous lesquels il pouvait encore se faufiler. Ses poils se hérissèrent lorsque Scarlett s’avança dans sa direction. Elle s’arrêta devant la console en marbre ambré et décrocha le combiné.

— Allo ? demanda une voix d’homme.

— Mademoiselle Van Büren ? Ici Marcus Wolff, journaliste pour le Figaro, à l’appareil. Je souhaiterais vous poser quelques questions au sujet de Cordélia Oberkampf.

Scarlett se figea, incapable de prononcer le moindre mot. Elle savait ce que ce vautour voulait. La prescription concernant l’affaire Oberkampf approchait à grands pas.

— Mademoiselle ?

— Je … Je ne … peux … pas, acheva-t-elle la gorge nouée.

Elle raccrocha, préférant ignorer ses vieux démons que de les affronter. Elle se précipita vers l’évier de la cuisine, ouvrit le robinet et s’aspergea le visage d’eau. Quel toupet ! Si elle s’attendait à cela !

Le téléphone retentit à nouveau, laissant Scarlett pantoise.

Elle se posta devant la fenêtre à gueule de loup pour y observer discrètement ses voisins. Une vague de chaleur s’empara d’elle et elle regagna peu à peu ses esprits. Épier le locataire du quatrième de l’immeuble d’en face lui procurait un certain soulagement. Il pouvait vivre sa propre vie, sans s’imposer de limites. Elle vivait sa vie par procuration. Elle s’imaginerait même entreprendre une romance avec cet homme. Il faut dire que son physique était loin d’être des plus disgracieux. Mais la distance jouait peut-être les trompe-l'œil.

Elle alluma l’imposante lampe de chevet posé sur la commode du salon, pensive. Si seulement quelque chose d’excitant — autre que les idées saugrenues de sa sœur et les questions, d’un journaliste peu scrupuleux, vouées à déterrer un passé méritant de rester enfoui — pouvait venir mouvementer son quotidien. Elle n’avait pas la force de sortir de chez elle, ses angoisses la terrassaient. Pourtant elle refusait d’endurer une vie morne. Travailler égayait son quotidien, certes, mais jusqu’à quand ?

Un fracassement en provenance des parties communes la fit bondir. Scarlett se hâta vers la porte d'entrée. Elle prit appui sur ses orteils peints dans une couleur proche de l’orange sanguine et regarda par le judas. Un carton de déménagement était posé à même le sol. Cela faisait bien longtemps que la résidence n’avait pas accueilli un nouvel habitant. Scarlett se réjouit de cette nouvelle. Le piment qui briserait son ennuyeuse routine se présentait enfin à elle. Scarlett avait pleinement conscience que la comparaison qu’elle venait de faire n'avait pas le moindre sens, mais elle s’en contrefichait. Elle pourrait, enfin, porter son intérêt sur quelqu'un d'autre sur les piétons déambulant le long de l’avenue et ce voisin logeant trop loin pour être observé convenablement.

Son cœur se pinça. Elle mourait d’envie de découvrir l’apparence de cet individu. Puis, elle pensa à une chose des plus assourdissante. Et si personne n’emménageait ? Et si ce carton appartenait à quelqu’un qu’elle connaissait très bien ? Comme Carla ?

Scarlett remonta les manches de son pull en cachemire, ne sachant que faire de ses mains. Elle songea à détourner le regard de cet œil-de-bœuf pour retourner à ses occupations et se décider enfin à pondre un article digne de ce nom. Mais, la curiosité la dévorait ! Ou peut-être était-ce son besoin impérieux de découvrir si sa sœur se trouvait derrière cette porte ?

Elle distingua des bruits de pas montant l’escalier en colimaçon, et elle se surprit à trépigner sur place. La lumière du couloir vacilla, plongeant son passager dans le noir. Le fantôme du troisième étage jouait encore un de ses mauvais tours !

— Formidable ! maugréa une voix masculine.

Scarlett retint sa respiration. Elle avait déjà entendu cet accent.

Les lumières se rallumèrent.

— Manquait plus que ça, renchérit-il, en enfonçant sa clef dans la serrure.

Celle-ci semblait coincée et dans l’incapacité d’en sortir. Il remonta le col de son pull demi-zippé côtelé Ralph Lauren, vert sapin, prêt à en découdre. Mais, la clef restait indéniablement crochetée. Ses cheveux mi-longs, d’un châtain clair doré, emmêlés par l'effort, soulignaient l'ampleur de cette tâche. Scarlett gloussa et l’inconnu se retourna. Il fronça les sourcils et dériva dangereusement vers le palier voisin, pour se retrouver face à la porte d’entrée de la jolie rousse. Il colla son visage contre le judas.

Scarlett recula à toute volée, heurtant le mur. Elle entraina avec elle le portemanteau qui s’écrasa sur le parquet dans un raffut tel qu’il ne pouvait être ignoré. Elle était certaine qu’il l’avait vu. Si elle espérait être discrète, c’était loupé...

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