Chapitre 8 – Neuf ans plus tard

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15 octobre 1999

Un verre de Chardonnay à la main, Scarlett Van Büren se trémoussait sur le divan ornant le salon de son splendide appartement du sixième arrondissement. Il était quatre heures et elle n’avait pas encore écrit un seul mot. Alors, elle avait débouché une bouteille de vin, espérant qu’une idée lumineuse la frapperait. En vain. Son article n’était pas près de voir le jour à cette allure...

— Scarlett ! Ouvre-nous ! brailla Carla, depuis le palier.

— Pas la peine de te cacher, on sait que tu es là, renchérit joyeusement Isobel.

Scarlett jura et se traina, à contrecœur, jusqu’à l’entrée. Elle détestait quand les jumelles s’invitaient à l’improviste. Pour être honnête, elle détestait la venue de n'importe quel visiteur. Elle n’aimait plus sortir non plus. Elle vivait comme un ermite depuis la fin de ses études et cela lui convenait parfaitement.

— Ce n’est pas trop tôt, brailla Carla.

Cette dernière se moucha bruyamment dans son mouchoir en tissu sur lequel étaient gravé, au fil doré, ses initiales. Sa frange d'un blond doré resplendissant, tombant lâchement sur ses yeux gris et ses joues rosies par le froid lui donnaient un air fiévreux. Isobel arqua son sourcil d’un roux flamboyant, signe qu’elle n’approuvait pas la conduite de sa sœur.

La jolie blonde s’engouffra dans l’appartement d’un pas pressé, sa jupe plissée métallisée fouettant ses cuisses de grenouille.

Isobel embrassa Scarlett sur la joue gauche, lui chuchota un bref “Désolée” et se rua dans la cuisine bordélique. Elle ouvrit les placards un à un puis s’empara d’un paquet de Kix. La jeune femme plongea ses mains fraichement manucurées à l’intérieur.

Carla l’observa avec dégoût.

— Vas-y mollo ou tu finiras à la une des magazines “grande taille”, la réprimanda-t-elle.

Travailler pour Élite ou n’importe quelle agence de mannequinat avait toujours été un rêve pour Carla. Pourtant, alors qu’elle venait de fêter ses seize ans, elle s’était fait coiffer au poteau par sa propre sœur. La faute à sa taille, rédhibitoire dans ce monde si sélectif. La mort dans l’âme, elle avait enterré avec elle tout espoir de défiler sur un podium. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle en voulait à Isobel. Eh oui ! Madame se fichait bien d’intégrer une agence aussi prestigieuse. Elle n’avait postulé que parce que Carla l’avait fait. Isobel n’avait aucune aspiration, aucun but dans la vie. À moins qu’elle n’eût pas souhaité mettre Carla dans la confidence.

L’orage gronda, arrachant un frisson à Scarlett. La jeune femme noua ses cheveux emmêlés en un chignon bas. Elle avait horreur des éclairs, tout comme elle craignait de finir, un jour, foudroyée par la foudre.

— Vous allez me dire ce que me vaut votre visite ? leur demanda Scarlett, les bras croisés.

Carla se racla la gorge.

— J’aimerais tourner un film, avoua-t-elle.

— Et en quoi ça me concerne ? rétorqua Scarlett, d’un ton dur.

Un peu trop à son goût.

— Maman ne veut pas en entendre parler.

La rouquine s’avança vers l’imposante bibliothèque murale et fit semblant de chercher un peu de lecture. Elle imaginait très bien ce que sa sœur s’apprêtait à lui dire.

— Et il se trouve que ton appartement est un lieu de tournage idéal. Sa déco rococo presque terrifiante est idéale, argumenta Carla, en essuyant la poussière jonchant le pied d'une lampe de chevet.

— Nous y voilà, souffla Scarlett.

Elle qui rêvait de tranquillité. Elle pouvait aller se rhabiller.

— Quant à cette vue. Comment dire... Elle est idéale pour épier ses voisins..., poursuivit Carla, en effleurant le rideau du bout des doigts.

Comment avait-elle deviné que Scarlett s’intéressait d’un peu trop près aux résidents de l’immeuble d’en face ?

— Maman est d’un ennui. Elle nous couve comme si nous avions encore douze ans. Allez dis oui..., l’implora la blondinette.

Les jumelles venaient de fêter leurs vingt et un ans, et pourtant, elles ne parvenaient pas à quitter le nid. Isobel gagnait convenablement sa vie comme mannequin, elle aurait pu trouver un pied-à-terre où s’installer paisiblement. Mais, elle s’évertuait à rester dans le triplex des Van Büren, comme si la perspective de devenir indépendante l'effrayait.

Ce petit scénario aurait pu être évité si l’une et l’autre avaient pris leur courage à deux mains...

— Hors de question, répliqua Scarlett, d’un ton sec.

Elle en avait assez de capituler. La dernière fois qu’elles les avaient laissées s’installer dans son quatre-vingts mètres carrés, elle avait dû passer sa matinée à trier les morceaux de verres répandus sur son parquet chevron. Et elle ne parlait même pas des taches de vin maculant le sol... Non, il lui était inconcevable que les jumelles s’invitent, une fois encore, dans son intimité pour y organiser une petite beuverie. Même si en l'occurrence, cela n'était pas l'objet de leur demande. Hélas, les choses viraient toujours au drame avec elles.

— Qu’est-ce que tu peux être chiante quand tu t’y mets, s’impatienta Carla tandis qu’Isobel se décida enfin à lâcher son paquet de céréales.

— Et si on allait faire tes courses à ta place ? insista Isobel.

Scarlett lui jeta un regard noir qui voulait en dire long.

Son agoraphobie se lisait-elle sur son visage ?

— Tu crois qu’on ne se sait pas ? minauda Carla, les mains derrière le dos, se balançant d’une jambe à l’autre.

— Carla ! la réprimanda Isobel.

Elle n’aimait pas quand sa sœur dépassait les bornes.

— Quoi ? Je ne dis que la vérité. Tu pensais que l’on ne s’en apercevrait pas ?

Ses yeux gris se posèrent sur Scarlett.

— Vous racontez n’importe quoi, nia la principale intéressée.

— Tu crois qu'on a oublié ce qui s’est passé avec Darling ?

Scarlett tressaillit. Carla poursuivit tel un chien qui ne veut pas lâcher son os.

— Tu as refusé de venir le voir une dernière fois avant qu’on l’enterre. Ça ne te ressemble pas... Tu pensais vraiment que nous n’allions pas nous poser quelques questions ?

Carla aimait obtenir ce qu’elle voulait, quitte à être piquante.

— Je ne vois pas en quoi cela a à voir avec notre film, la rappela à l’ordre Isobel.

Celle-ci ouvrit le robinet et remplit son verre à ras bord.

— J’allais dire exactement la même chose, répliqua la cadette des Van Büren.

Carla leur tourna le dos et tira à nouveau sur le rideau. Elle ne capitulerait pas si facilement. Ce film était une occasion de faire enfin quelque chose de sa vie bien rangée.

Son regard se porta sur les passants qui arpentaient la ruelle sous une pluie diluvienne. Parapluies dressés au-dessus de leurs têtes, les piétons offraient un agréable panel de couleurs.

— Ce ne serait pas Judith Oberkampf ?

Isobel s’empressa de la rejoindre, gagnée par la curiosité.

— Elle a pris du cul non ? lança Carla, en époussetant le col de son chemisier Miu Miu.

— Et pas qu’un peu ! pesta Isobel, en secouant sa frange.

Dire que Scarlett pensait que la jolie rousse valait mieux que sa sœur. La réalité était bien triste. Pas une ne rattrapait l’autre !

Scarlett s’affala sur son divan moelleux en patchwork et étira ses jambes fines sur sa table basse, manquant de peu de renverser son mug tournesol. Il fallait qu’elle fasse le vide. Entendre le nom Oberkampf lui donnait de l’urticaire.

— Vu que tu refuses de sortir, tu pourrais au moins faire le ménage. Cet endroit est une vraie porcherie, lâcha Carla.

Elle retira sa veste et remonta les manches de sa chemise.

D’une voix douce, presque inquiète, Isobel ajouta :

— Scar’, tu ne veux pas nous dire ce qui ne va pas ?

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