Chapitre 7 - “Un enterrement est une cérémonie au cours de laquelle chacun des invités juge indûment occupée par le mort une attention qu'il voudrait fixée sur lui.”

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20 juillet 1991

Ce qui est fantastique lorsque vous mettez les pieds dans un monument, telle que l’église Saint-Augustin, c’est que vous pouvez admirer son chœur particulièrement vaste, sans que les yeux ne soient braqués sur vous. Car personne ne peut ignorer son imposante coupole, son ossature métallique et son orgue conçu par Charles Spackman Barker. Un des premiers organes à avoir intégré l’électricité. Rien que ça ! Un cadre idéal, donc, pour éviter de loucher sur le cercueil qui se tient droit devant vous, songea Scarlett Van Buren. L’adolescente étouffa un hoquet. Elle se sentait comme prise au piège à l’intérieur de cette immense structure. Elle ne pourrait plus jamais se reposer sur Cordélia. Adieu, leur projet de voyage autour du monde, leur brunch dominical et les soirées un peu trop arrosées. Elle devait lui dire au revoir et elle en était incapable.

La chaleur éreintante de ce mois de juillet, contraignait les convives, à se servir de leur livret de messe comme éventail. Scarlett, quant à elle, avait la désagréable sensation d’assister à un défilé de mode, monochrome, pour une grande maison de couture. Casques à plumes, perles et robes fourreaux dominaient l’assemblée présente. Avec son œil acerbe, Cordy aurait certainement procédé à une critique peu élogieuse de ses proches et cette vision la fit sourire.

C'est à cet instant, qu’un moineau s’engouffra dans l’église, extirpant Scarlett de ses pensées. Il piaillait si fort qu’il mit à rude épreuve le chant du psaume par les choristes. L’adolescente retint un ricanement entre ses mains gantées. Cet écart lui valut les regards noirs du rang devant elle.

— Quoi ? leur chuchota-t-elle avant de gonfler ses joues comme un hamster.

Ces individus lui donnaient la nausée. Ils ne connaissaient pas Cordélia Oberkampf comme elle la connaissait.

Un gamin, arborant une coupe au bol, l’observa avec intérêt. Scarlett lui fit la moue puis leva les yeux en l’air telle une épileptique. La bouche du garçon forma un O et il tira sur la manche de sa mère. La femme, d’une quarantaine d’années, leva son index pour le réprimander en silence.

Scarlett fouilla à l’intérieur de son sac à main en cuir noir Yves Saint Laurent et porta à sa bouche un Stoptou. Elle défit l’emballage et sa voisine de droite lui donna un coup de coude. La rouquine l’ignora. Elle, au moins, ne se faisait pas entendre dans toute l’église.

Depuis le décès de son amie, elle ne pouvait plus sucer un Ricola. La douleur était encore trop vive. Et comme si la mort de Cordélia n’était pas assez tragique, il avait fallu que le médecin requière une autopsie. Quinze jours plus tard et une nouvelle coupe de cheveux pour Hyppolite, la cérémonie pouvait enfin avoir lieu.

Et les voilà tous réunis en ce lieu saint, agissant comme si cette demande n’avait jamais existé. Mouchoir serré contre sa paume, les yeux baissés vers le sol, personne n’osait manifester le moindre son. Le cliché d’une bourgeoisie bon chic bon genre dont Scarlett avait horreur.

Le prêtre s'approchait du cercueil pour l’asperger d’eau bénite lorsque Scarlett croqua dans son bonbon à la réglisse. Sa voisine claqua la langue pour manifester son mécontentement. L’adolescente sentit la colère lui monter aux joues.

Par tous les saints ! Sa meilleure amie venait d’être retrouvée inanimée au pied de l’escalier en tire-bouchon, l’atout phare du duplex familial. Alors, Scarlett n’avait aucune envie qu’on lui enseigne les bonnes manières, ni qu’on lui fasse la leçon. Elle encaissait. Point.

— Ce ne serait pas la fille Van Büren ? murmura une jeune femme blonde au visage poupin.

— Des cheveux roux, des yeux en amande … Nul doute, ce ne peut être qu'une Van Büren, pesta un garçon aussi grand qu’un basketteur professionnel, mais trop banal pour apparaître sur un panneau publicitaire.

— Tu crois que c’est elle ?

— Elle. Quoi ? poursuivit son interlocuteur.

— Qui l’a poussé, couina la blondinette.

— Parce qu’on l’a poussé ?

— Qui sait, maugréa-t-elle, avec fierté. On ne pratique pas une autopsie comme on nettoie la litière d’un chat. Sa mort est suspecte, c’est sûr. On n’enterre pas un corps deux semaines après sa mort...

L’athlète la fixa d’un air béat.

— Si tu lisais Le canard enchaîné, tu le saurais, mon cher, poursuivit-elle avec amusement.

Ce dernier la scruta avec avidité. Il n’avait encore jamais remarqué à quel point Hortense était sexy lorsqu’elle jouait les maîtres du suspens.

— Cette fille était surtout une marie-couche-toi-là, ajouta une gamine tout au plus âgée de treize ans.

Les deux jeunes gens l’observèrent avec attention. Le cœur de Scarlett s’emballa. Qui était-elle pour répandre de telles accusations ?

— Tu sais, c'est grave d'ébruiter ce genre de rumeurs, lui répondit doucement Hortense.

— Je ne dis rien de mal. Seulement la vérité. Je l’ai entendu de mes propres oreilles à l'exposition d’un certain Edgar Schinasi.

Scarlett se liquéfia. D'où sortaient ces ragots de bas étage ? Elle croisa et décroisa les jambes, anxieuse.

— Chut ! siffla une vieille dame aux cheveux argentés noués en un chignon bas.

— Qui te l’a dit ? continua Hortense, ignorant cette grand-mère aux lèvres pincées.

La gamine haussa les épaules et se retourna, son visage affichant un air suffisant. Elle ne voulait pas subir les réprimandes de la moitié de salle.

Ça en était trop, fulmina la jolie rousse.

Scarlett sortit en trombe de l’église et s’enferma dans sa chambre à double tour. Elle ne supportait plus les langues de bois qui l’entourait. Pas aujourd’hui. Pas lorsque tous se retrouvaient pour commémorer Cordélia. Celle qui depuis toujours était son bras droit, son acolyte et sa meilleure amie. Elle s’écroula à bout de souffle, au pied de la porte. Rien, ne serait plus comme avant.

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